Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

Bravant la neige, la pluie et la boue, les partisans de la majorité prennent la rue Une marée humaine a déferlé hier, place des Martyrs Patricia KHODER

Ni la neige, ni la pluie, ni le froid, ni la boue n’ont empêché des centaines de milliers de Libanais de prendre la rue hier et de se rassembler place des Martyrs, à l’appel du 14 Mars, pour la troisième commémoration de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. Ils sont venus de Tripoli, de Denniyé, de Becharré, de Zghorta, du Batroun, de Jbeil, du Kesrouan, du Metn, de la Békaa, du Chouf, de Rachaya, de Hasbaya, de Saïda, de Beyrouth et d’autres régions du pays, pour rééditer, sous une pluie battante et sous un ciel gris et lourd, le rassemblement du 14 mars 2005, lorsque l’armée syrienne occupait toujours le pays et quand les Libanais pensaient que Rafic Hariri serait la dernière personne qui tombe pour le Liban. En un intervalle de trois ans, après une quinzaine d’assassinats et tentatives d’assassinats, une quarantaine d’explosions, la guerre entre le Hezbollah et Israël, les combats entre l’armée libanaise et les miliciens de Fateh el-Islam, le sit-in du centre-ville, la vacance à la tête de la présidence, et beaucoup d’autres événements, environ un million de Libanais ont décidé, encore une fois, de prendre la rue et de se rendre place des Martyrs. Partisans jusqu’au bout ou simples citoyens voulant défendre leurs idées, ils ont voulu montrer qu’ils n’ont pas baissé les bras, qu’ils n’ont pas lâché prise, qu’ils n’ont pas encore perdu espoir et que rien n’aura raison de leur volonté de défendre leur pays. Formée de partisans du Courant du futur, du PSP, des Forces libanaises, du parti Kataëb, du PNL, du Mouvement de la gauche démocratique et d’autres forces qui ont fait la révolution du Cèdre, ou aussi de nombreux indépendants, la foule a commencé à converger au centre-ville dès 8 heures, certains manifestants ayant quitté leur village à l’aube pour être au rendez-vous. Mohammad est venu de Tel Abbas, dans le Akkar, avec sa femme et ses six enfants. « Nous sommes là parce que nous sommes libanais. Je veux que l’opposition se mette bien ceci en tête, nous sommes de purs libanais, qu’elle arrête de nous taxer d’agents américains et israéliens », dit-il, arborant le drapeau du Courant du futur. Ayoub est venu avec un groupe d’amis de Rachaya el-Wadi. « Nous avons quitté le village à 6 heures. Il neigeait à Dahr el-Baïdar. Chaque année je viens au centre-ville le 14 février. Je le ferai chaque année, jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée », dit-il, agitant son drapeau PSP. Imad, venu de Saadnayel avec sa famille, indique, fier, que les habitants de la Békaa ont bravé la neige pour venir au centre-ville. Il marque une pause, se ressaisit et lance : « Qu’importe ! D’autres sont en train de mourir pour le Liban, ce n’est pas la pluie et la neige qui nous empêcheront de venir à Beyrouth pour montrer que nous sommes majoritaires et que nous avons notre mot à dire. » Son épouse Bassima renchérit : « Oui, nous sommes la majorité ; l’année dernière, ils ont voulu nous effrayer avec l’explosion de Aïn Alak, ils n’ont pas réussi. Que ce soit clair, ils ne réussiront pas à nous briser. » Becharré-Hasroun à pied Nasser a quitté Halba en pullman à 1h15, hier matin, avec plusieurs centaines de personnes. « Nous sommes arrivés au Forum de Beyrouth et nous avons dormi dans les bus, raconte-t-il. Rafic Hariri était un homme exceptionnel. C’est la Fondation Hariri qui avait financé mes études par exemple », explique-t-il. Saba est venu avec un groupe de Becharré avec femmes et enfants. Ils arborent tous des drapeaux FL. « Pour arriver au centre-ville, nous avons quitté le village à 6h30. La route était couverte de givre. Nous avons marché jusqu’à Hasroun. Puis nous avons pris le bus jusqu’au Forum de Beyrouth. Je ne sais pas si les autres parviendront à nous rejoindre. Mais je vous le jure, il n’y a plus personne à Becharré », raconte-t-il. Un autre groupe arbore aussi des drapeaux FL. Il vient de Aïnata (Békaa). « La route était couverte la veille de trois mètres de neige. Mercredi soir, nous nous sommes préparés. Nous avons ouvert la route. Nous avons quitté le village à 6 heures. Et voilà nous sommes là au rendez-vous », indique Tony. Ahmad, la soixantaine, est en complet-cravate ; il est venu de Tripoli avec famille, amis, chaises pliantes et thermos de café. Il ne rate aucun rendez-vous de la majorité. « Justement, il faut que l’opposition comprenne que nous sommes majoritaires. Et quand on est majoritaire on a le droit de gouverner le pays. Ailleurs, l’opposition ne paralyse pas l’État comme c’est le cas au Liban», dit-il, un sourire ironique au coin des lèvres. Un groupe de femmes et d’enfants est venu de Kfarmatta. Parmi eux, un petit garçon né le 14 février 2005, que sa maman amène à toutes les manifestations de la majorité, et une jeune femme, Chadia, qui n’a jamais pris part à un rassemblement. Chadia explique : « Je suis là, parce que je veux que toutes les milices soient désarmées et parce que je suis fidèle à la mémoire des martyrs, de Kamal Joumblatt à Rafic Hariri. » Un peu plus loin, un groupe de jeunes, originaires de Aley, portent des étendards du PSP et un drapeau de plusieurs couleurs. Ils expliquent que « c’est le drapeau des druzes, celui des cinq frontières ». Parmi eux, Ayad indique : « Nous sommes la majorité, nous voulons montrer que nous prenons part à des manifestations pacifistes, que nous ne brûlons pas des pneus. Mais nous voulons aussi que l’opposition sache que si elle a des roquettes, nous avons des couteaux. S’il y a une guerre, nous nous battrons. » Un peu plus loin, un groupe d’hommes brandit des drapeaux FL. Ils viennent de Mtolleh, dans le Chouf. Tony indique : « Nous sommes là pour montrer que le Liban est à tout le monde, à toutes ses communautés. Nous tenons à la convivialité. Nous avons fait la guerre. Nous avons remis nos armes. Que le Hezbollah remette ses armes aux autorités libanaises et qu’on en finisse. » Pierre et Georges sont venus de Jounieh, chacun porte un drapeau Kataëb. Ils expliquent que c’est naturel d’être au centre-ville pour défendre la souveraineté et l’indépendance du Liban. « Manifester pour mes enfants » Hier, au centre-ville, il n’y avait pas uniquement des militants de partis politiques, il y avait aussi de très nombreuses personnes indépendantes et non partisanes. Bassam, 37 ans, porte un foulard rouge et blanc et un badge au portrait de Gebran Tuéni. Il indique : « Je suis druze, j’habite Beyrouth. Je suis là pour Hariri, pour Gebran, pour Pierre (Gemayel) et tous les autres qui sont tombés pour le Liban. Je suis là aussi pour mon fils qui a quatre ans. Je veux qu’il vive dans ce pays. Je veux qu’il vive en paix. Nous avons chassé les Syriens en 2005. Nous pouvons changer les choses maintenant. » Trois femmes sont venues ensemble à la place des Martyrs : Amal est chrétienne, Nada est sunnite et Soumaya est druze. Toutes travaillent dans le domaine de l’éducation. Elles sont venues ensemble pour « défendre le Liban ». « Nous ne voulons pas que nos enfants quittent le pays. Nous ne pouvons pas vivre ailleurs. Nous n’avons pas un pays de rechange, nous devons donc défendre le Liban », explique Nada. Un peu plus loin, une femme arbore une casquette portant l’inscription « indépendance 05 », datant de mars 2005. « Je suis là pour dire à l’opposition que ce pays est à tous les Libanais. Je veux leur apprendre la participation démocratique », dit-elle, refusant de dévoiler son nom, probablement parce qu’il a une connotation religieuse et parce qu’elle tient à représenter les femmes de toutes les communautés qui ont pris la rue hier. Hier, il y avait de nouveaux slogans, s’adressant au Hezbollah, à la Syrie et au chef du CPL, le général Michel Aoun. Laissés au bord des routes, plusieurs portraits du général Aoun portaient l’inscription « l’ambassadeur d’Iran à Rabieh ». D’autres affiches avaient deux héros, le général Aoun et le président syrien Bachar el-Assad avec l’inscription : « Free Aoun Now » (Libérez Aoun maintenant). Une troisième affiche s’en prend au CPL. Elle est semblable à une affiche de supermarché, où les prix des fruits et des légumes sont inscrits. Bananes, pommes, oignons, tomates et autres produits portent des prix en livres libanaises alors que le prix des oranges – symbole du CPL – est de trente deniers d’argent, soit la somme que Judas avait reçue pour livrer le Christ. Il semble aussi que la phrase prononcée par le général Aoun qui avait accusé, lundi après-midi, la majorité de mener ses partisans comme des moutons n’avait pas laissé indifférents les militants du 14 Mars. D’ailleurs, plusieurs manifestants chrétiens ont tenu à souligner : « Nous ne sommes pas des moutons. » Le serment de Gebran Pas un instant de répit. La pluie n’a pas cessé un seul instant. Pire, dès midi, elle est devenue torrentielle. Mais cela n’a pas empêché la détermination de la foule qui a convergé place des Martyrs et qui a tenu à rester au centre-ville jusqu’à la fin du meeting oratoire. C’est à côté de la mosquée Mohammad el-Amine, là où se trouve le mausolée de l’ancien Premier ministre assassiné, que la tribune, avec sa vitre pare-balles, devant accueillir les leaders politiques, a été dressée. Plusieurs rangées de barbelés ont séparé la foule des places réservées aux journalistes et aux invités officiels. La zone était survolée par des hélicoptères de l’armée qui avait posté des tireurs d’élite sur les toits des immeubles. La majorité a aussi déployé son propre service d’ordre comptant quelques centaines d’hommes non armés, identifiables à leurs uniformes bleus. Ruisselante d’eau, faisant fi de la pluie et du froid, la foule a accueilli les discours des intervenants qui se sont relayés à la tribune en agitant joyeusement ses drapeaux. Un enregistrement du serment de Gebran Tuéni a été diffusé. Le mouvement des drapeaux est devenu plus calme, plus discret. À midi 55, l’heure à laquelle l’ancien Premier ministre avait été assassiné, une minute de silence a été observée. On a alors entendu le chant du muezzin et les cloches des églises. Ensuite, les quatre ténors de la majorité ont pris la parole : le chef du PSP, Walid Joumblatt, l’ancien président de la République, Amine Gemayel, le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, et le chef du Courant du futur, Saad Hariri. Sous une pluie diluvienne, la foule agite encore et encore ses drapeaux, les intervenants reviennent tous ensemble à la tribune comme s’ils voulaient s’assurer que la place des Martyrs est effectivement noire de monde malgré les intempéries… La manifestation se termine dans le calme. Ceux qui ont participé au rassemblement d’hier savent qu’ils reviendront place des Martyrs à « chaque fois qu’il le faudra » et « jusqu’à ce que les choses changent », et « elles changeront indubitablement », affirment-ils. Les centaines de milliers de personnes ayant bravé le mauvais temps hier n’ont pas perdu courage, ils ont gardé espoir malgré toutes les misères vécues. Rien ne peut les briser. C’est peut-être bien ça le miracle libanais.
Ni la neige, ni la pluie, ni le froid, ni la boue n’ont empêché des centaines de milliers de Libanais de prendre la rue hier et de se rassembler place des Martyrs, à l’appel du 14 Mars, pour la troisième commémoration de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. Ils sont venus de Tripoli, de Denniyé, de Becharré, de Zghorta, du Batroun, de Jbeil, du Kesrouan, du Metn,...