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SPECTACLE - « Les femmes du saxophone » de Jawad el-Assadi au théâtre Babel (Hamra) Brillant et baroque tableau de femmes en crise de nerfs

À la salle Marignan, face à l’entrée de l’AUH à Hamra, rebaptisée théâtre Babel et joliment restaurée, un premier spectacle inaugure les lieux avec éclat et originalité. Bel élan d’optimisme et courage inébranlable des gens du métier quand on sait que beaucoup de théâtres, en ces sombres moments de désarroi, ont bien du mal à garder leurs portes ouvertes… Salle comble donc pour un public averti, qui brave toutes les conjonctures et porte plus d’intérêt au monde des planches qu’aux stériles et lassantes gabegies politiques... Dans une ville livrée à l’anarchie des armes et à la violence des tabous, des frustrations, de la folie et du refoulement, cinq femmes sont emmurées pour vivre un deuil que l’épouse du défunt voudrait inconsolable et irréprochable. C’est ce qui reste de l’œuvre dramaturgique, dénonçant la société traditionnelle espagnole, de Ferderico Garcia Lorca, La casa de Alba Bernarda. Mais c’était sans compter avec l’imagination féconde, la finesse dans les détails et la turbulente personnalité du metteur en scène irakien, Jawad el-Assadi, qui la transforme, dans sa très libre adaptation en arabe, intitulée Nissaa al-saxophone (Les femmes du saxophone), en un brillant, impertinent et baroque tableau « almodovardien » de femmes en crise de nerfs… Au fond des tentures sur scène, une immense toile de Jaber Aalwan, à dominance de tons rouges. Une toile qui prolonge le mariage de la peinture (une exposition d’œuvres dudit peintre orne l’entrée de la salle) et du théâtre pour célébrer les atouts, les artifices, les mystères et la séduction de la femme… Une scène plongée dans le noir avec ses canapés et ses personnages. Monde clos et étouffant pour un huis clos électrisé. Et surgit cette bonne à tout faire, la « Poncia », au physique inquiétant à la Haïgor, au verbe truculent et au geste délirant avec, piquées sur la jupe et dans les cheveux, des pinces à linge…Pour lui donner la réplique, arrive, tyrannique, rigide et dominatrice, la Bernarda Alba, une diva déchue, à l’allure entre Méphisto et la Castafiore. Au mieux, une sorte de Monserrat-Caballé outrancièrement emperlée et grimée, à la voix suave et d’une confondante tendresse… Rapport de force et de haine dans cette maison désertée par l’amour, où l’homme est lamentablement absent. Avec ses deux filles, sa mère et son intendante, Bernarda Alba mène l’inutile et austère combat de la respectabilité et des convenances trop scrupuleusement suivies. Conflits, querelles, mésententes, mesquineries et cruauté dans un panier de crabes au féminin. Le tout mené tambour battant, avec uniques armes pour dérider le spectateur, la dérision et la caricature intelligemment abordées. Sur des sentiments exacerbés et au bord de l’explosion, cinq femmes parlent, sur des registres différents, du besoin de vivre librement. Condition de la femme liée à l’homme et dont toute négation est un désastre. C’est dans cette confrontation oppressante, chargée de drames, que se déroule cette histoire extravagante et pourtant si naturelle, si simple, si universelle. Un texte percutant et incisif, dans un arabe vitaminé et tonique, qui ne craint ni la verdeur ni une certaine poésie empruntée avec dextérité à la banalité du quotidien. Étrange et savoureux mélange explosif des mots dans la bouche de ces actrices qui ne manquent pas de talent. En tête de liste, Aïda Sabra, à la composition saisissante de force et de drôlerie. Jamais bonne n’a été aussi proche du cœur et émouvante dans cette joyeuse et grinçante gesticulation et bordée de paroles. Jahida Wehbé fait une entrée remarquée et remarquable dans le monde des planches grâce à cette Alba Bernarda à qui elle prête chair et voix. Et dans les deux cas avec une souveraine opulence et maîtrise... Une distinction particulière à Rifaat Tarabay, l’unique homme égaré dans cet éruptif et ululant gynécée qui campe, en toute désinvolte contraction, une désopilante grand-mère. Une grand-mère octogénaire, chauve, à la voix chevrotante mais tout aussi bien incorrigiblement égrillarde avec ses pendentifs en pendeloques de lustres et ses breloques tintinnabulantes… Sans être de moindre performance, les deux filles, sorte de harpies à la Javotte et Anastasie de Cendrillon, ont les traits de Nadine Joumaa et Yvonne el-Hachem. Ambiguïté des désirs féminins, entre déshabillés vaporeux et collerette de couventine, rendue par des métamorphoses surprenantes et des rébellions fracassantes… La mise en scène de Jawad el-Assadi est brillante et ne fléchit à aucun moment, malgré une surcharge parfois de criailleries. Celui qui a signé autrefois Les bonnes de Genet en arabe a l’art de tordre les personnages et les situations, sans jamais omettre de toucher à l’essentiel. C’est-à-dire l’émotion. Fidèle à son inspiration au mordant musclé, Jawad el-Assadi, digne fils de Bagdad et de Beyrouth, défend avec véhémence ici la cause des femmes tout en n’oubliant guère la déplorable situation de la Cité en y faisant allusion, dans un symbolisme certes voilé mais perceptible. Un spectacle étrange, baroque, démentiel, onirique, outrancier mais ô combien attachant et mené avec virtuosité. Sans nul doute, le meilleur de la saison. Edgar DAVIDIAN * Jusqu’au 5 janvier, les jeudis, vendredis, samedis et dimanches. Tél. : 01/744033.
À la salle Marignan, face à l’entrée de l’AUH à Hamra, rebaptisée théâtre Babel et joliment restaurée, un premier spectacle inaugure les lieux avec éclat et originalité. Bel élan d’optimisme et courage inébranlable des gens du métier quand on sait que beaucoup de théâtres, en ces sombres moments de désarroi, ont bien du mal à garder leurs portes ouvertes… Salle comble...