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REPORTAGE - L’armée, une présence rassurante, malgré le scepticisme des habitants Le lotissement des terres de Qaa, une urgence Anne-Marie EL-HAGE

Le village de Qaa est pratiquement désert. En ce jour de pluie, l’une des dernières de la saison, ses habitants se sont calfeutrés à l’intérieur des modestes maisonnettes, autour des poêles à mazout. De sa population, 12 500 inscrits au total, il ne reste plus grand monde. Entre 1 200 et 3 000 personnes au maximum y vivent encore à longueur d’année, principalement des enseignants, des retraités de l’armée et de la fonction publique, et des agriculteurs. Les autres ont émigré vers la ville. Qaa n’en peut plus de traverser les guerres et les crises. Les bombardements de juillet n’ont pas épargné les alentours du village. Laissées à l’abandon, les cultures ont été décimées. Durant les pires moments de la guerre libanaise, les habitants de Qaa se sont toujours tournés vers leur voisin syrien de Jousseh el-Amar. Ils continuent de le faire aujourd’hui. L’attention actuellement accordée à la lutte contre le trafic d’armes et la contrebande à la frontière libano-syrienne alimente les discussions des Qaaiotes. Mais elle ne parvient pas à détourner leur attention des problèmes dans lesquels ils se débattent. Des problèmes causés aussi bien par le non-lotissement, de la part de l’État, des terres du village, que par le grignotage par la Syrie de terres libanaises. Autant de problèmes qui mettent en danger la survie de leur communauté. Treize mois déjà que l’armée libanaise s’est déployée à Qaa, dernier village frontalier de la Békaa-Nord, avant le poste-frontière syrien de Jousseh el-Amar. Mais ce n’est que depuis le 14 août 2006 qu’elle est chargée de verrouiller la frontière libanaise et d’empêcher le trafic d’armes en provenance de Syrie, conformément à la résolution 1701. Cette présence est certes rassurante pour la population, d’autant qu’elle a été renforcée, il y a deux mois environ, par des forces d’intervention spéciales des FSI, placées sous le commandement de l’armée libanaise. « L’armée est ainsi chargée des points de passage illégaux. Les FSI, eux, contrôlent les passages légaux », précise une source militaire. Une confiance accordée avec parcimonie À 1 km du poste frontière syrien, les camions en provenance de Syrie sont contrôlés par les FSI. Ces derniers n’hésitent pas à jeter un coup d’œil dans les cargaisons de carburants. De leur côté, les patrouilles de l’armée sillonnent la région jusqu’aux limites frontalières, des deux côtés de la porte de Jousseh et jusqu’aux confins de la montagne. Elles atteignent même les remblais de terre qui ont été érigés en territoire libanais par les gardes-frontières syriens, baptisés « hajjanis ». Ces même « hajjanis », que l’on peut entrevoir, qui terrorisaient la population locale avant l’arrivée de l’armée et ne se privaient pas de tirer en l’air, dès qu’un paysan s’approchait de leurs positions. Mais l’efficacité de telles mesures n’en reste pas moins sujette à discussion au sein d’une population qui hésite à accorder sa confiance à l’armée et qui demeure sceptique quant à sa réelle détermination à stopper le trafic d’armes. Une population qui se demande aussi pourquoi le barrage des FSI le plus proche de la frontière est situé à environ 1 km de celle-ci. Et puis, absurdité qui date de l’ère syrienne, les douanes et la sûreté générale, chargées d’empêcher la contrebande et de contrôler le passage des marchandises et des personnes, sont toujours placées, elles, à plus de 10 km de la porte de Jousseh el-Amar. « Pendant la guerre de juillet, observe un habitant, le trafic entre les deux pays a été extrêmement facilité. Cela nous porte à douter, même si nous n’avons pas été témoins d’un quelconque trafic d’arme. » Craintes que le président de la municipalité, Nicolas Matar, tente de dissiper, précisant que « si un trafic d’armes devait avoir lieu, ce ne serait pas à partir de la frontière de Qaa, village dont la population est exclusivement grecque-catholique ». « D’ailleurs, ajoute M. Matar, je n’ai personnellement été témoin d’aucun trafic d’armes. Et je reste persuadé que l’État est aujourd’hui capable d’empêcher ce trafic, si toutefois il en a la volonté. J’ai moi-même observé des patrouilles militaires qui procédaient à la fouille de camionnettes, et ce à maintes reprises », raconte-t-il à ce propos. Voisinage cordial et familial Mais la rumeur court, d’autant que la contrebande de mazout et d’essence n’a toujours pas pris fin, selon la population. « Il nous arrive souvent de constater, au petit matin, que les routes sont souillées de mazout renversé par les contrebandiers, raconte un habitant. Et puis la frontière est si longue entre le Liban et la Syrie », ajoute-t-il, montrant des montagnes à perte de vue, qui ne sont séparées par aucune route, aucune barrière ou aucun tas de sable. Certes, la contrebande en provenance de Syrie a toujours existé. Et même si la population de Qaa s’est vue contrainte au fil des années d’abandonner une agriculture qui n’était plus rentable, vu la concurrence illégale des produits syriens, elle a, elle aussi, su profiter des avantages de son voisinage avec la Syrie. Comme le font d’ailleurs nombre de populations frontalières dans le monde. Isolée durant la guerre dans un environnement hostile, et étant donné son éloignement des villes de la Békaa, elle n’a eu d’autre choix que de se tourner vers son voisin syrien de Jousseh, pour effectuer la totalité de ses achats, parfois aussi pour se soigner. Même l’électricité du village est syrienne, sans compter l’essence, le mazout, le gaz et évidemment les produits de consommation courante. Car en Syrie, tout est nettement moins cher. Entre les deux villages frontaliers de Qaa et de Jousseh, les relations ne sont pas que commerciales ou professionnelles, elles sont aussi bien cordiales que familiales. Il n’est d’ailleurs pas rare pour les célibataires d’ici ou là de trouver l’âme sœur de l’autre côté de la frontière. Les mariages se font généralement en Syrie, où le coût des cérémonies est nettement plus abordable. Et puis les Libanais, connus pour être plus aisés que leurs voisins, peuvent se permettre de payer les frais de transport. Cette convivialité frontalière est la raison pour laquelle la contrebande n’est pas le souci majeur de la population de Qaa. Ce dont elle souffre principalement aujourd’hui, c’est d’être oubliée de l’État libanais. Et pour cause, sur une superficie totale de 172 km2, seulement 40 km2 de terres de Qaa sont loties, et 12 km2 appartiennent à la municipalité. Le restant des terres est cadastré mais non loti. Cette négligence de la part de l’État, qui touche également les villages du Hermel et de Younine, prive les propriétaires d’actes officiels de propriété. Elle les empêche aussi de cultiver leurs terres, d’y entreprendre une quelconque activité, d’y construire des habitations ou même de les vendre. D’immenses superficies de terres sont ainsi laissées à l’abandon. Litiges territoriaux entre Beyrouth et Damas Et le président de la municipalité d’expliquer que Qaa est divisé en quatre régions, dont trois ne sont pas loties. Les propriétaires de ces trois régions de Wadi el-Khanzir, Jouar el-Ma’yé et Behyoun sont identifiés, mais les terres ne sont pas distribuées entre eux. Chaque propriétaire sait donc qu’il détient un nombre précis de parts dans telle ou telle région, mais il ne sait pas où se trouve son terrain. Il n’a pas non plus la possibilité de cultiver sa terre, car il ne peut pas prouver que celle-ci lui appartient. « Pire encore, déplore Nicolas Matar, certaines personnes influentes extérieures au village, profitant de cette situation, ont effectué une mainmise sur les terres des Qaaiotes, avec la complicité de notaires crapuleux. Ces personnes ont ainsi amassé des fortunes colossales, car elles ont cultivé les terres et créé des projets rentables, au détriment des véritables propriétaires, découragés, qui quittaient le village pour s’installer en ville. » Le président de la municipalité précise encore qu’il a présenté une plainte à ce propos auprès du ministère de la Justice. « Mais les choses en sont toujours au même point. Je n’ai plus qu’à encourager la population à poursuivre l’État en justice, car il empêche les propriétaires de gérer leurs terres », dit-il, déplorant que l’État soit « plus préoccupé par la politique que par les problèmes des citoyens ». À ce grave problème vient aussi s’ajouter le vieux litige entre le Liban et la Syrie concernant des parcelles de terres de Qaa, notamment la parcelle numéro 7 de Jouar el-Ma’yié et la parcelle numéro 43 de Behyoun. « Des parcelles dont les Qaaiotes ont des actes de propriété donnés par l’État libanais, spécifie Nicolas Matar, mais qui se trouvent aujourd’hui dans le village syrien de Jousseh el-Amar. » Les vieux du village racontent, à ce propos, qu’ils plantaient leurs terres jusqu’au mur du couvent Saint-Élie situé aujourd’hui dans le village syrien de Jousseh el-Amar, à 1 km et demi de la frontière actuelle. Le litige entre les deux pays ne s’arrête pas là. Durant la guerre et au fil des années, les gardes-frontières syriens ont érigé un certain nombre de remblais en territoire libanais, comme pour dessiner les limites d’une nouvelle frontière. Non seulement ils empêchaient les bergers d’atteindre les pâturages ou les habitants de s’en approcher, mais grignotaient des terres libanaises. « Le ton est souvent monté entre nous et les Syriens concernant ces remblais. Après une grave crise, nous avons obtenu gain de cause auprès de la Commission mixte libano-syrienne concernant un remblai que les hajjanis avaient placé sur l’une des collines de l’Anti-Liban, à l’intérieur des terres de Qaa. Les hajjanis l’ont finalement remplacé par un nouveau remblai érigé en territoire syrien. Nous venons d’obtenir l’autorisation de détruire l’ancien remblai », dit-il avec satisfaction. Mais il ajoute que de nombreux remblais empiètent toujours sur les terres de Qaa. Difficile pour les Qaaiotes de ne pas perdre patience dans ce contexte. Difficile pour une population minée par la crise de rester dans son village où elle n’a plus aucun moyen de subsistance. Dans l’attente d’une solution émanant conjointement de Beyrouth et de Damas pour régler les vieux litiges territoriaux, rien n’empêche l’État de s’atteler à la tâche et de se pencher sur le sort de ce sympathique village, où nombre d’habitants portent encore l’habit traditionnel (abaya, agal et keffié). Les immenses étendues laissées à l’abandon pourraient alors être exploitées et le village retrouver sa raison de vivre.
Le village de Qaa est pratiquement désert. En ce jour de pluie, l’une des dernières de la saison, ses habitants se sont calfeutrés à l’intérieur des modestes maisonnettes, autour des poêles à mazout. De sa population, 12 500 inscrits au total, il ne reste plus grand monde. Entre 1 200 et 3 000 personnes au maximum y vivent encore à longueur d’année, principalement des...