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Les islamistes sont prêts à offrir une alternative aux régimes autoritaires, estime Élisabeth Picard La mondialisation joue un grand rôle dans les successions héréditaires politiques Dossier réalisé par antoine ajoury

L’émergence et l’ubiquité des républiques héréditaires dans le monde arabe suscitent des interrogations variées concernant leurs causes ainsi que leur prospérité. Élisabeth Picard, politologue et directrice de recherche au CNRS (Iremam) dissèque pour « L’Orient-Le Jour » le mode de fonctionnement de ces régimes. Alors que beaucoup d’auteurs et d’analystes expliquent le phénomène des républiques héréditaires au Moyen-Orient par des causes culturelles liées à la région, d’autres n’y voient qu’un simple concours de circonstances. Ainsi, pour Élisabeth Picard, « le contexte joue une très grande part » dans la formation et le maintien de ces régimes. « C’est un phénomène que l’on voit beaucoup depuis une dizaine d’années et qui risque de se développer puisqu’il se situe dans la période de la mondialisation où, d’une certaine façon, on n’est plus sûr des régimes politiques, de leur ligne idéologique et de leur programme », explique Mme Picard qui fut pendant quinze ans chercheur au Centre d’étude et de recherche sur le Moyen-Orient contemporain. « Nous sommes dans l’idéologie commune de la mondialisation, une sorte de magma unique, de démocratie de marché, souligne-t-elle. On a ainsi du mal à avoir une succession politique qui se construit sur un programme, sur une lutte entre des partis aux idéologies différentes. » « Il reste donc des choix politiques qui se font à partir de la connaissance personnelle », explique-t-elle. « Dans un monde où toutes les identités sont brouillées, on a tendance à se raccrocher le plus possible à ce que l’on connaît, à ce qui est proche, à ceux avec qui on a des liens personnels ou individuels », ajoute Mme Picard, qui insiste sur le fait que « le contexte joue beaucoup et qu’on a tort d’analyser les choses uniquement comme un phénomène culturel lié au passé, ou bien à la transmission du pouvoir au sein d’une société où le rôle du patriarche ou de la dynastie est très important ». « Beaucoup de choses ont changé avec la mondialisation qui a remis à neuf cette question d’héritage héréditaire en politique. Il y a donc une dimension nouvelle et moderne dans ce phénomène. » Mme Picard considère que cette situation est également liée aux régimes et aux hommes au pouvoir. « Dans le monde arabe aujourd’hui, quand on dit position du pouvoir, on dit domination de richesses et de ressources économiques et symboliques. Il y a donc un lien très fort entre le fait d’être au pouvoir et de pouvoir maîtriser la distribution des richesses. C’est la notion de néopatrimonialisme », explique la politologue française. Élisabeth Picard explique par ailleurs « qu’à partir du moment où un régime se referme en refusant les réformes et la modernisation ou en refusant d’être remis en cause, il se resserre sur le groupe familial ». « Ainsi, dans un régime autoritaire, les personnes au pouvoir font tout pour ne pas céder leur position et les richesses qui y sont attachées aux rivaux, aux ennemis ou aux concurrents et les garder pour soi, dans la famille », ajoute-t-elle. « Les régimes autoritaires ne se trouvent pas uniquement dans le monde arabo-musulman. On les retrouve également en Asie du Sud-Est comme en Corée du Nord, ou en Amérique latine comme à Cuba, où l’hérédité conforte l’autoritarisme », souligne-elle. Mme Picard refuse en outre de construire une analyse qui serait fondée sur l’hypothèse selon laquelle il y a une exception arabe ou islamique. « Il n’y a aucune règle musulmane ou islamique qui soutient l’hérédité du pouvoir. C’est presque le contraire, précise-t-elle. En islam, on privilégie le meilleur des musulmans, le plus droit, le plus juste, ou encore les personnes ayant un savoir juridique religieux. Ce n’est jamais le fils de... » qui peut accéder au pouvoir. D’autre part, Élisabeth Picard explique le repli de certains États arabes et leur rejet des réformes qui balaient même les monarchies les plus conservatrices, par leur manque de légitimité. Les dirigeants de ces républiques « ont construit leur pouvoir et leur domination sur la société à partir d’un discours qui s’est révélé complètement faux et qui a échoué : le discours de l’unité arabe, du développement économique, de la libération de la Palestine ou de la démocratisation…» estime-t-elle. « Du coup, ils sont en contradiction avec leur discours. S’ils ouvrent le débat politique et passent à un système pluraliste même contrôlé, les erreurs de leur régime vont apparaître au grand jour. En ouvrant la voie à des opérations électorales libres, ces régimes vont tomber. Ils n’ont pas, comme les monarchies, des Constitutions ou des lois fondamentales qui protègent le chef de l’État, même en cas de victoire de l’opposition », explique Mme Picard. L’alternance politique étant un principe fondamental dans une république, l’arrivée au pouvoir de l’opposition implique nécessairement le changement au sommet de l’État. Pour Mme Picard, « ces républiques sont beaucoup plus fragiles que les monarchies, elles sont plus menacées en raison du décalage entre leur système constitutionnel et leur pratique politique. Elles savent bien qu’elles ne peuvent pas s’ouvrir, ni au niveau économique ni au niveau politique ». Dans ce contexte, Mme Picard estime que l’autoritarisme va profiter aux islamistes à l’avenir. « Les islamistes dans des pays comme la Syrie et l’Égypte sont complètement exclus du pouvoir, ils sont hors système, indique-t-elle. De plus, ils sont l’objet d’une répression, d’emprisonnements, d’arrestations, etc. Donc du point de vue du partage du pouvoir, ces régimes sont oppresseurs à leur égard. D’ailleurs, l’un des modes de légitimation de ces républiques par rapport à l’Occident est de contrôler les islamistes. » Toutefois, conclut Mme Picard, « on peut dire que les islamistes profitent de cette situation sociologiquement. En effet, dans un système politique verrouillé, le seul type de mobilisation qui a été possible et efficace est une mobilisation par le bas par un système d’encadrement social, d’éducation, de santé. Mobilisation utilisée par les islamistes exclus du pouvoir. Du coup, ils se sont créé une base qui leur permet d’entrer en politique dès qu’un pays opère une petite ouverture de son système politique. Les islamistes sont effectivement préparés à représenter la société et à construire une alternative possible aux régimes autoritaires ».
L’émergence et l’ubiquité des républiques héréditaires dans le monde arabe suscitent des interrogations variées concernant leurs causes ainsi que leur prospérité. Élisabeth Picard, politologue et directrice de recherche au CNRS (Iremam) dissèque pour « L’Orient-Le Jour » le mode de fonctionnement de ces régimes.
Alors que beaucoup d’auteurs et d’analystes...