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Actualités - OPINION

Gemmayzé, les points sur les «i»

«Hier on était au bord du précipice, aujourd’hui on vient de faire un grand pas en avant. » Cette maladresse de rhétorique, le Conseil supérieur de l’urbanisme l’a presque faite en rendant publique une nouvelle « décision » concernant la réglementation de la construction dans le quartier de Gemmayzé. Sans trop se tromper hélas tant ce document a paru insuffisant et ambigu. Cinquante-deux ans pour sortir un texte timide de modification du zoning de Beyrouth, ne comptant, de surcroît, que pour une partie de la ville, c’est beaucoup de temps en effet, mais mieux vaut tard que jamais. Il s’agit, comme ce fut précisé au cours d’une table ronde tenue à l’ALBA, d’innovations élaborées en application d’une mystérieuse théorie de la « carrying capacity », ou capacité de contenance, comme si tout espace urbain devait nécessairement être rempli à saturation, faisant fi de toute valeur patrimoniale. Ces innovations traitent surtout : 1 - D’une servitude d’alignement obligatoire des constructions sur la voie publique. Elle est censée sauvegarder le caractère « ville à échelle humaine » de ce quartier et, principal objectif de cette décision, ne plus voir proliférer ces tours qu’un recul volontaire sur cette même voie permettait : c’est positif. 2 - D’une interdiction de fusionner les parcelles pour éviter de former des grandes entités de bien-fonds dans lesquels les grands ensembles et les grandes hauteurs domineraient. Mais des juristes contestent déjà la légalité de cette mesure : l’incertitude règne donc toujours sur cette question. 3 - Du contrôle de l’aspect des façades. Hormis le cas des demeures anciennes et aussi des maisons et immeubles de toutes époques dont la qualité architecturale, faite d’équilibre et de discrétion, est incontestable et qu’il faut impérativement sauvegarder, c’est une mesure regrettable parce qu’elle ne fait confiance ni à la compétence des architectes libanais, ni au modernisme en général. Elle risque d’imprimer une allure pastiche à tout Gemmayzé, à l’instar de la lamentable expérience de Saifi Village, dont le style ampoulé n’a rien retenu de l’ancien souk el-Najjarine que ce complexe a remplacé. Imposer aujourd’hui un style architectural est malvenu. Exiger des formes, des motifs architecturaux ou des matériaux particuliers serait pour une ville comme Beyrouth, dont le rayonnement est mondial, le reflet d’une lamentable mentalité passéiste. 4 - Du maintien, pour tout permis de construire, du passage obligé de l’approbation par le Conseil supérieur de l’urbanisme. Est-il nécessaire de rappeler la vétusté de cet organisme, formé dans son état actuel d’un aréopage de représentants de différents ministères, parfaitement ignorants des véritables enjeux de l’urbanisme et de l’environnement contemporains. Aujourd’hui, d’autres architectes, urbanistes, paysagistes, environnementalistes, historiens et écologistes, mieux formés et donc plus qualifiés, remplaceraient avantageusement la plupart de ces pseudo-spécialistes inamovibles. 5 - Du respect, sans modification, du sacro-saint coefficient total d’exploitation (surface totale des planchers utiles autorisée par rapport à la surface de la parcelle). Les coefficients d’exploitation élevés, inchangés depuis des décennies, sont une tare congénitale du zoning de Beyrouth. Ils perpétuent le jeu malsain de la spéculation foncière, facteur de paralysie de toute volonté d’amélioration du cadre de vie. On sait qu’ils sont et continuent d’être la cause principale de la densification de Beyrouth, la rendant plus minérale, moins verte, plus envahie par les voitures et, comme le conclut une récente étude de l’USJ, dangereusement plus polluée. Le plus désolant dans toute cette affaire reste la question d’une dizaine de tours d’habitation qui doivent s’ériger dans ce quartier. La « décision » du CSU ne faisant cas ni de réduction des taux d’exploitation ni de limitation de hauteur par rapport au zoning existant, leurs demandes de permis de construire ont été instruites en favorisant les promoteurs. Aucun progrès tangible n’apparaîtra donc sur le terrain et le tissu urbain particulier de ce quartier sera perdu comme l’a déjà été celui des autres quartiers de Beyrouth. Cette dure réalité ne devrait cependant pas décourager. Le texte se présente malgré tout comme une bonne base pour discuter d’autres réformes, plus substantielles, plus précises et plus efficaces. Il est bon de rappeler en passant qu’un président de conseil municipal reste l’autorité discrétionnaire définitive de la ville qu’il gère. Il peut s’il le veut approuver ou refuser n’importe quel permis de construire qui à ses yeux nuirait à la ville. On se souvient de Hammana et de Zouk Mikaël, pour lesquels leurs présidents de conseils municipaux respectifs ont refusé un grand nombre de permis malgré tous les zonings et règlements de construction en vigueur, les décisions du Conseil supérieur de l’ « urbanisme » et autres « pressions politiques insurmontables ». Leurs villes restent des exemples d’urbanisme pondéré, d’architecture convenable et d’environnement agréable. G. SÉROF Article paru le samedi 2 décembre 2006
«Hier on était au bord du précipice, aujourd’hui on vient de faire un grand pas en avant. » Cette maladresse de rhétorique, le Conseil supérieur de l’urbanisme l’a presque faite en rendant publique une nouvelle « décision » concernant la réglementation de la construction dans le quartier de Gemmayzé. Sans trop se tromper hélas tant ce document a paru insuffisant et...