Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

La guerre civile aura-t-elle lieu ?

Les politiciens libanais sont confrontés à deux choix très simples : soit ils discutent aujourd’hui de la situation politique en vue d’une solution consensuelle qui évitera une guerre civile, soit ils en discutent après avoir mené une guerre larvée. Les problèmes nationaux stratégiques du Liban ont déjà été débattus à deux reprises par quatorze leaders politiques représentant la grande majorité des factions politico-religieuses libanaises. Ces dialogues n’ont pas réussi à trouver un consensus sur l’avenir du pays du Cèdre. Conséquence de ces échecs : une situation politique tendue qui risque de coûter cher. Et, pour nombre d’analystes, les ingrédients d’une nouvelle guerre civile au Liban sont rassemblés. En effet, les assassinats à répétition qui ciblent d’importantes personnalités politiques et médiatiques, depuis le meurtre de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, en février 2005, jusqu’à l’attentat qui a coûté la vie au ministre de l’Industrie, Pierre Gemayel, le 21 novembre, poussent les différentes factions libanaises vers la confrontation. Cependant, les ingrédients d’une guerre civile ne sont pas tous encore réunis. La mémoire de la période 1975-1990 marque toujours une société libanaise qui continue pour l’instant à refuser, fait inhabituel, de passer à la confrontation violente. Mais il faut aussi reconnaître que ces assassinats rongent rapidement cette résilience à la violence et installent une dynamique de confrontation dans une société très politisée. Les politiciens libanais, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, sunnites ou chiites, ne trouvent pas encore de bénéfice dans une guerre civile. La plupart d’entre eux, bien qu’élus, sont d’anciens chefs de guerre expérimentés qui se sont battus sans merci durant le conflit civil: les leaders chrétiens maronites, le général Michel Aoun et son ancien ennemi Samir Geagea, chef des Forces libanaises, le leader druze Walid Joumblatt et le président chiite de l’Assemblée, Nabih Berry. Tous sont d’accord pour considérer tout acte de violence interne comme étant catastrophique. Amine Gemayel, l’ancien président de la République et père du ministre assassiné, a appelé à la prière et au rejet de tout acte de vengeance. Le Hezbollah, seul corps armé non gouvernemental, a insisté, par le biais de son secrétaire général, Hassan Nasrallah, pour que toute action qui vise à renverser l’actuel gouvernement, y compris les manifestations de rue, soit pacifique et ne mette pas en danger la paix civile. Un autre ingrédient-clé d’une guerre civile potentielle est le facteur religieux : il n’est toujours pas assez puissant pour motiver des violences à grande échelle. Certes, la société libanaise est religieusement très polarisée, mais les divisions politiques du moment entre les prosyriens et les antisyriens ne se superposent pas à des clivages religieux clairs. Cette autonomie des divisions politiques par rapport aux clivages religieux traditionnels affaiblit la dynamique religieuse d’un conflit potentiel. D’un côté, la majorité des antisyriens au pouvoir est principalement formée du bloc sunnite dirigé par Saad Hariri, le fils de Rafic Hariri, de son allié druze, Walid Joumblatt, et de leur allié chrétien, Samir Geagea. De l’autre côté, les prosyriens sont dirigés par le Hezbollah allié avec le mouvement Amal, Michel Aoun et d’autres représentants druzes et chrétiens minoritaires. Face à cette situation, une division « traditionnelle » entre chrétiens et musulmans n’est pas probable dans un avenir proche. En revanche, l’explosion d’un conflit entre sunnites et chiites semble être plus plausible sous l’influence grandissante du conflit irakien sur l’ensemble du Moyen-Orient. Reste que la guerre en Irak n’est pas encore assez influente pour exporter sa propre dynamique au contexte libanais et impliquer toutes les sectes libanaises dans un conflit. Cela dit, les assassinats ciblés et les ingérences des acteurs régionaux et internationaux poussent la société libanaise à l’expression violente des idées politiques. Mais les courants politiques, tels que le prosyrianisme et son opposé, l’antisyrianisme, ne sont pas des idéologies qui peuvent motiver les citoyens à prendre les armes et se combattre. L’ingrédient essentiel pour une possible guerre civile au Liban reste les armements. Pour l’instant, seul le Hezbollah possède un arsenal et une organisation militaires. Il est également la seule organisation politique qui possède une idéologie suffisamment puissante pour entretenir et développer un armement significatif, avec le soutien populaire des chiites. Mais le Hezbollah a aussi répété que ses armes ne seront utilisées que contre Israël. Et, dans le pire des scénarios, il faudrait encore trouver une autre partie prête à faire la guerre au Hezbollah et qui soit armée et dotée d’une puissante idéologie contraire à celle du Hezbollah. Depuis le XIXe siècle, les guerres du Liban prenaient fin grâce à des accords supervisés par des puissances étrangères. Les pourparlers qui ont mis en place les fondements de l’actuel système politique libanais et arrêté la guerre civile en 1990 sont nés après quinze ans de conflit, 150 000 tués et 300 000 blessés. Ils étaient parrainés par la Syrie et se sont tenus, avec une bénédiction franco-américaine, en Arabie saoudite. Ce nouveau système politique a pris fin avec le retrait syrien du Liban en avril 2005. Depuis, des discussions ont eu lieu pour penser l’avenir du Liban et éviter une guerre civile, et elles ont échoué. Ce dialogue national ayant au moins le mérite de ne pas être parrainé par des partis étrangers, la guerre n’est donc pas encore là. Mais si ces pourparlers venaient à échouer, d’autres pourparlers se tiendront, mais après une nouvelle guerre civile. Nada DOUMIT Chercheur auprès de la société d’analyse des risques politiques au Moyen-Orient, MidEast Risk
Les politiciens libanais sont confrontés à deux choix très simples : soit ils discutent aujourd’hui de la situation politique en vue d’une solution consensuelle qui évitera une guerre civile, soit ils en discutent après avoir mené une guerre larvée. Les problèmes nationaux stratégiques du Liban ont déjà été débattus à deux reprises par quatorze leaders politiques...