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COMMENTAIRE Contraindre et convaincre, l’après-Rumsfeld Par Joseph S. NYE*

Les élections de mi-mandat de novembre 2006 ont représenté le pire camouflet populaire subi à ce jour par le président américain George W. Bush sur le plan intérieur. Après la victoire des démocrates qui se sont emparés du Congrès et la publication de sondages à la sortie des urnes montrant que six électeurs sur dix s’opposaient à la guerre en Irak, George Bush s’est enfin résolu à se séparer de Donald Rumsfeld, son calamiteux secrétaire à la Défense. Bien que les Américains aient clairement fait comprendre leur opposition à la guerre en Irak, les sondages indiquent aussi qu’ils continuent à soutenir le président dans la lutte contre le terrorisme. Malheureusement, les États-Unis ne sont pas en train de gagner la « guerre contre le terrorisme ». Une évaluation officielle compilée par les agences de renseignements américains (« National Intelligence Estimate ») confirme que le recrutement de nouveaux terroristes islamiques est plus rapide que leur élimination par les forces armées américaines. Bush ne se trompe pas en disant que el-Qaëda a été ébranlé, mais son attrait en tant que mouvement a été renforcé. Le cancer s’est métastasé. Bush a également raison de dire que la lutte sera longue. Dans le passé, la majorité des mouvements terroristes transnationaux ont mis une génération avant de disparaître. Les États-Unis ont gagné la guerre froide grâce à un mélange subtil de moyens coercitifs forts et d’idées séduisantes. Lorsque le mur de Berlin est tombé, ce n’était pas au moyen de tirs d’armes lourdes, mais avec les marteaux et les bulldozers maniés par ceux et celles qui ne croyaient plus au communisme. Il est toutefois peu probable que des terroristes tels que Ben Laden puisse être convaincus : seule la force peut venir à bout de tels extrêmes. Mais les personnes recrutées par les jihadistes peuvent être amenées à préférer la modération à l’extrémisme. L’Administration américaine commence seulement à comprendre cette possibilité, bien qu’elle semble n’avoir aucune idée sur la manière de mettre en œuvre cette nouvelle stratégie. À l’âge informatique, le succès ne dépend pas seulement de quelle armée gagne, mais également de quelle histoire gagne. La lutte contre le terrorisme islamique n’est pas un choc de civilisations, mais une guerre civile au sein du monde musulman. Aucune issue n’est possible sans une victoire du courant majoritaire musulman. Tous les sondages effectués dans le monde musulman montrent que les États-Unis ne gagnent pas cette bataille-là et que la politique américaine est perçue comme étant arrogante. La rhétorique de Bush sur les avantages de la démocratie a moins de poids que les images d’Abou Ghraib et de Guantanamo. Le débat politique interne sur la dilapidation du potentiel de conviction de l’Amérique au plan international a été insuffisant. Le « pouvoir de convaincre » (« soft power ») est un terme d’analystes et non un slogan politique et c’est sans doute pour cette raison qu’il a prospéré dans les analyses académiques et dans des régions du monde comme l’Europe, la Chine et l’Inde, mais pas dans le débat politique aux États-Unis. Surtout dans le contexte politique américain actuel, le « pouvoir de convaincre » apparaît comme une proposition de perdant. Après avoir été attaqués, les Américains rejettent tout ce qui évoque la conciliation. En tant que nation, les États-Unis ont peut-être besoin de savoir convaincre, mais les politiciens ont de leur côté besoin de brandir les menaces pour être réélus. Bill Clinton a su résumer l’état d’esprit du pays en disant que dans un climat de peur, les électeurs choisiraient « le fort dans l’erreur » à la place du « faible et juste ». La bonne nouvelle est que les récentes élections marquent peut-être un retour de balancier vers un juste milieu. Cette tendance sera confirmée si la commission bipartisane sur l’Irak présidée par James Baker et Lee Hamilton parvient à dégager un consensus pour une stratégie de désengagement progressif en Irak. Après ces élections, les démocrates devront donner la priorité au « pouvoir de contraindre », avec des questions comme l’échec de l’Administration à appliquer les recommandations-clés du rapport de la Commission sur le 11-Septembre, ou l’insuffisance des troupes stationnées en Afghanistan. De leur côté, les Républicains devront réfléchir à une stratégie qui donne plus de place au « pouvoir de convaincre ». Les États-Unis dépensent environ 500 fois plus en dépenses militaires qu’en médias destinés à l’étranger et en programmes d’échanges internationaux, et les discussions sur les concessions mutuelles sont inexistantes. Les différents aspects de la diplomatie publique – les émissions des médias vers l’étranger, les programmes d’échanges internationaux, l’aide au développement, l’assistance humanitaire, les contacts avec les armées d’autres pays – sont dispersés entre les différentes agences gouvernementales et il n’existe ni stratégie ni budget qui les intègre dans une politique nationale de sécurité globale. Les États-Unis n’ont pas non plus de stratégie sur la manière dont le gouvernement pourraient tirer parti des acteurs officieux du « pouvoir de convaincre » de la société civile, que ce soit Hollywood, Harvard ou la fondation Bill Gates. Bien sûr, le pouvoir de convaincre n’est pas la panacée. Bien que le dictateur nord-coréen Kim Jong-il adore les films hollywoodiens, il est peu probable qu’ils influent sur son programme d’armement nucléaire. De même, la persuasion n’a rien fait pour convaincre les talibans de renoncer à soutenir el-Qaëda dans les années 90 et le recours à la force a été nécessaire pour mettre fin à cette alliance. Mais d’autres objectifs, comme la promotion de la démocratie et des droits de l’homme, sont plus facilement atteints en utilisant le « pouvoir de convaincre ». La démocratisation par la force a ses limites, comme l’a découvert l’Administration Bush en Irak. Si les républicains et les démocrates persistent à ignorer le pouvoir de convaincre et que le débat public sur la politique étrangère continue à se limiter à une compétition sur le fait de savoir qui sera le plus fort, le malaise américain s’approfondira. Les États-Unis doivent se détourner des querelles partisanes qui ont sclérosé le débat public, reconnaître l’importance tant du pouvoir de convaincre que du pouvoir de contraindre, et élaborer une stratégie pour les intégrer. On peut espérer que les élections de 2006 ont marqué le début de ce processus. * Joseph S. Nye, professeur à Harvard et ancien secrétaire adjoint à la Défense, est l’auteur du livre Soft Power : The Means to Success in World Politics. © Project Syndicate, 2006. Traduit par Julia Gallin.
Les élections de mi-mandat de novembre 2006 ont représenté le pire camouflet populaire subi à ce jour par le président américain George W. Bush sur le plan intérieur. Après la victoire des démocrates qui se sont emparés du Congrès et la publication de sondages à la sortie des urnes montrant que six électeurs sur dix s’opposaient à la guerre en Irak, George Bush s’est...