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EN LIBRAIRIE - « Fais voir tes jambes, Leïla ! » de Rachid el-Daïf Les chroniques débridées d’une famille beyrouthine

Rachid el-Daïf est un incorrigible. Sa spécialité: les histoires en forme d’artichaut qui dévoilent, feuille après feuille, une nouvelle facette de ses personnages hauts en couleur. Dans son dernier opus, «Fais voir tes jambes, Leïla!» (traduit de l’arabe par Yves Gonzalez-Quijano, aux éditions Actes Sud), il tend à la société libanaise un miroir brisé, grossissant et raconte les chroniques d’une famille beyrouthine pour le moins débridées. Dans cet ouvrage comme dans «Qu’elle aille au diable Meryl Streep», l’humour va de pair avec une approche frontale de la sexualité. Le lecteur navigue entre voitures «piégées», désirs pornographiques et obsessions financières. Une réjouissante couverture, qui représente une jeune femme au soutien-gorge dégrafé et aux ballerines s’envolant dans les airs, annonce le contenu. Tout commence par une bête affaire de Subaru fabriquée aux États-Unis et dont les pièces de rechange sont introuvables au Liban. Le héros s’est laissé convaincre par un ami vaguement trafiquant d’acheter la voiture et se maudit depuis. L’histoire se corse lorsqu’il découvre, effaré, que son père de soixante-cinq ans envisageait sérieusement de se remarier et qu’il a fermement décidé de continuer de jouir des plaisirs de la vie. Ce qui le contrarie surtout, c’est de devoir assumer un jour l’éducation et les besoins de ses demi-frères s’il advenait que son père disparaisse avant lui, chose fort probable. Il s’emploie donc à mettre tout en œuvre pour empêcher le mariage… Il élabore des stratagèmes plus retors les uns que les autres, mais finalement voués à l’échec. Manipulateur, il ne recule devant rien. Allant même jusqu’à coucher avec sa future belle-mère tout en poussant son amie dans le lit de son père. De mauvaise foi, lâche, à l’immoralité flagrante. Mais sympathique quand même cet antihéros. Ses errements sont gouleyants, jusqu’à leur dénouement impeccable – une fois n’est pas coutume, el-Daïf ayant parfois tendance à achever ses romans en queue de poisson. La multitude de thèmes universels – l’amour, le sexe, la mort, l’ennui, la beauté, l’innocence, la cruauté –, qui sont brassés dans Montre-moi tes jambes, Leïla!, est étonnante malgré une intrigue aussi mince, et pourtant elle fonctionne avec une fluidité exemplaire. Évidemment, tout cela pourra paraître un peu facile. Et le consommateur de mauvaise humeur pourra juger que 19,80 euros pour 2 heures de lecture, c’est un peu abusé. Mais justement, si les romans paraissent si «faciles» – on préférera «fluides» –, n’est-ce pas parce que derrière, il y a un énorme travail de maîtrise, des heures d’orfèvrerie, au petit matin devant un café concentré et, par-dessus tout, un grand talent? Rachid el-Daïf nous promène dans un univers doucement paranoïaque où se succèdent des aventures invraisemblables ou au contraire totalement banales, mais dont la banalité même est surprenante. Rien ne passe vraiment, mais, par touches discrètes, l’auteur peint toute une société. Les mentalités libanaises sont décrites comme décadentes, futiles, profiteuses. Pour un téléphone portable ou quelques billets verts, une fille vend son corps. Pour quelques dollars de plus, le commerçant espère que la guerre reprenne, histoire de magouiller comme au bon vieux temps. Piraterie, copie, détournement sont les buts à peine désavoués des petits entrepreneurs avides de profits rapides. Il y a une réelle jubilation de la méchanceté, mais aussi une volonté de descente dans les abîmes des petits vices humains et leur variété infinie. Accrocheur, le titre Fais-voir tes jambes, Leïla! est, comme l’indique l’écrivain, un écho au Livre des chansons, immense fresque littéraire parue au Xe siècle à Bagdad et qui réunit des centaines de chroniques, de poèmes et de chants. On y trouve notamment l’histoire d’une courtisane qui faisait chavirer les cœurs par la seule beauté de ses jambes. À noter que le roman est paru en arabe en 2002, aux éditions Rida el-Rayess, sous le titre de Insi el-Sayyara. Les lecteurs friands de la description des mœurs amoureuses et des rapports hommes/femmes doivent donc se procurer ce livre. Maya GHANDOUR HERT

Rachid el-Daïf est un incorrigible. Sa spécialité: les histoires en forme d’artichaut qui dévoilent, feuille après feuille, une nouvelle facette de ses personnages hauts en couleur. Dans son dernier opus, «Fais voir tes jambes, Leïla!» (traduit de l’arabe par Yves Gonzalez-Quijano, aux éditions Actes Sud), il tend à la société libanaise un miroir brisé, grossissant...