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La guerre civile a-t-elle commencé en Irak?

Le 22 février 2005, un attentat à la bombe détruisit partiellement la mosquée chiite de Samarra et son dôme recouvert de 72000 plaques d’or. Ce centre de pèlerinage vénéré depuis 1200 ans abrite les tombes des dixième et onzième imams et voisine avec la mosquée de l’imam caché Mohammad al-Mahdi, douzième et dernier imam chiite dont le retour est attendu par les croyants. Malgré les appels au calme des chefs religieux des deux communautés, cet attentat savamment calculé contre un lieu saint hautement symbolique fut suivi de ripostes contre la communauté sunnite et ses mosquées qui firent 130 morts. Marquant une escalade sans précédent de la violence intercommunautaire, il a ouvert une nouvelle phase de la tragédie que connaît l’Irak, pouvant déboucher sur une véritable guerre civile. Quelles seraient les conséquences d’une telle éventualité et peut-elle encore être évitée? Pour répondre à ces questions, il convient d’abord de remonter aux origines du conflit. Le déclencheur de la vague sans précédent de violences que connaît l’Irak fut, bien sûr, l’invasion du pays en avril 2003 et son occupation par les troupes américaines et leurs alliés. L’incapacité de l’armée américaine, mal préparée à cette tâche, à gérer la situation engendrée par l’effondrement du régime baassiste et les nombreuses erreurs de l’administration provisoire qu’elle mit en place, notamment le démantèlement de l’armée irakienne, plongèrent le pays dans le chaos. Dans un premier temps, les soldats américains furent la principale cible des attaques, qui étaient surtout le fait de groupes sunnites proches du régime défunt, ou du réseau terroriste el-Qaëda. Alors que le triangle sunnite, dans et autour de Bagdad, plongeait dans l’horreur au quotidien, en revanche les régions chiites du sud étaient plutôt calmes. D’une part parce que les troupes britanniques surent mieux y gérer l’après-guerre et surtout pour la bonne raison que les chiites (60% de la population), qui avaient fait l’objet d’une répression impitoyable de la part du régime de Saddam Hussein, voyaient dans sa chute une occasion d’accéder enfin au pouvoir et considéraient majoritairement les troupes d’occupation comme des alliés objectifs. Il y avait eu, bien sûr, la révolte de Moqtada el-Sadr, attisée par l’Iran, mais elle fut matée par les troupes américaines, avec l’appui tacite de l’ayatollah Ali Sistani. Au fur et à mesure que s’affirmait la volonté de la communauté chiite de dominer les institutions du «nouvel Irak libre et démocratique» voulu par le tuteur américain, les attaques contre les troupes d’occupation étaient reléguées au second plan, tandis que s’intensifiaient les troubles intercommunautaires et leur cortège de tueries et de représailles sanglantes, visant surtout les civils des deux communautés. Les causes de cette évolution sont multiples. La principale est la détermination de certains éléments de la communauté sunnite, sinon de réaffirmer sa domination, du moins d’entraver à tout prix sa marginalisation. Cette détermination fut renforcée par la situation politique. Il y eut d’abord l’établissement en juillet 2003 d’un Conseil intérimaire de gouvernement, dont la composition reflétait les nouveaux équilibres sectaires et identitaires au détriment du sentiment d’appartenance à une même nation. Puis les élections de janvier 2005, qui virent la victoire de l’alliance chiito-kurde, suivies de l’adoption en octobre 2005 d’une nouvelle Constitution d’essence communautariste qui acheva d’aliéner la communauté sunnite. Ce sentiment d’aliénation est d’autant plus grand que les unités gouvernementales de commandos n’hésitent pas à effectuer elles-mêmes des représailles contre les sunnites. Enfin, les sunnites craignent que le caractère fédéral des nouvelles institutions ne les prive des retombées financières des ressources pétrolières de l’Irak. En effet, leur communauté est surtout concentrée dans le centre du pays dépourvu de pétrole alors que le sud à majorité chiite et le nord, où les Kurdes ont constitué une province largement autonome, en regorgent. À ces causes internes s’ajoute l’émergence d’une rivalité grandissante entre sunnites et chiites au sein de la «oumma». Causée par la volonté de la République islamique iranienne d’exporter sa révolution, elle suscite la méfiance des régimes arabes sunnites modérés, Arabie saoudite en tête, qui craignent que Téhéran ne cherche à imposer son hégémonie au Moyen-Orient. En effet, la survie de leurs régimes serait gravement compromise par la constitution d’un axe chiite allant de l’Iran au Liban, en s’appuyant sur un Irak à dominante chiite, le Hezbollah libanais, le régime alaouite de Damas et les minorités chiites des régions bordant le golfe de pays arabes comme l’Arabie saoudite et Bahreïn. Si l’on définit une guerre civile par un conflit armé opposant une partie de la population à l’autre, le conflit en Irak, qui se traduit jusqu’ici essentiellement par des attentats terroristes, n’en est pas une. Mais il pourrait le devenir, aux conditions suivantes: – Que le gouvernement issu des élections de décembre 2005 ne soit pas entièrement dominé par les chiites et les Kurdes et soit un véritable gouvernement d’unité nationale où les ministres sunnites ne seraient pas réduits à un rôle de figuration. – Qu’il arrive à désarmer les milices et à rétablir un minimum de sécurité, ce qui est loin d’être le cas à ce jour. – Que la Constitution soit modifiée en ce qui concerne les clauses relatives à la nature de la fédération qui ont notamment un impact sur la distribution des revenus du pétrole. – Que les aides extérieures privilégient les institutions non sectaires. – Que le gouvernement américain proclame clairement son intention de retirer à terme et graduellement ses troupes au fur et à mesure de la montée en puissance de forces de sécurité irakiennes non sectaires. Une guerre civile en Irak aurait de nombreuses implications. Certes, la coalition subirait encore moins de pertes, les insurgés sunnites cherchant plutôt à fomenter des dissensions susceptibles de déstabiliser le processus politique interne au lieu de s’attaquer aux soldats américains. Mais si la situation actuelle ne constitue pas un danger pour l’Occident, il n’en est pas de même pour les pays de la région. La Syrie et l’Iran seraient tentés d’y participer, ce qui hâterait l’éventualité d’une confrontation entre les États-Unis et ces deux États, avec qui ils ont déjà de fortes tensions. Le rêve de présenter l’Irak comme un modèle pour les autres pays du Moyen-Orient s’écroulerait, et avec lui l’effort d’y organiser des élections démocratiques. Cela aurait pour effet de freiner les velléités de démocratisation de pays comme l’Égypte ou l’Arabie saoudite afin d’empêcher les islamistes de se faire légitimer par le vote populaire, comme l’a fait le Hamas il y a quelques mois. Enfin, outre le fait que la guerre civile en Irak serait une tragédie humanitaire, elle risquerait de conduire à la partition du pays et à une balkanisation de toute la région qui serait la proie d’un surcroît de sectarisme religieux et ethnique. Mais n’est-ce pas le rêve d’Israël? Ibrahim TABET
Le 22 février 2005, un attentat à la bombe détruisit partiellement la mosquée chiite de Samarra et son dôme recouvert de 72000 plaques d’or. Ce centre de pèlerinage vénéré depuis 1200 ans abrite les tombes des dixième et onzième imams et voisine avec la mosquée de l’imam caché Mohammad al-Mahdi, douzième et dernier imam chiite dont le retour est attendu par les...