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Actualités - OPINION

Une guerre des mots ne présage pas nécessairement une guerre civile

La guerre d’Israël au Liban contre le Hezbollah a été dramatique. Pour les Israéliens d’abord dont l’enlisement, qui pousse à l’usage démesuré de la violence, ne traduit que l’impuissance d’une puissance à définir une politique cohérente avec son voisinage et à assurer à ses citoyens, après soixante ans d’existence, la paix et la sécurité. D’autant plus que les Arabes ont abandonné il y a longtemps l’idée d’un affrontement militaire avec l’État hébreu, que certains d’entre eux l’ont définitivement reconnu, que l’offre de paix en 2002 – proposée, absurdité de l’histoire, à Beyrouth même – par les États de la Ligue arabe est restée sans réponse de la part d’Israël et que l’écrasant ascendant militaire de celui-ci ne s’exerce désormais que sur des sociétés civiles qui ont mieux à faire que servir de chair à canon, en Palestine ou au Liban, à chaque escalade. D’autant aussi que la société civile libanaise ne supporte plus qu’on la prenne pour cible, pour otage d’idéologies nationalistes ou religieuses étrangères à la vie, chaque fois qu’un dictateur lève le doigt, s’enflamme et menace de rayer Israël de la carte. Dramatique, cette guerre l’aura été pour nous ensuite, avec un avenir hypothéqué, un pays à reconstruire, une émigration galopante et une prise de conscience de la véritable faiblesse de l’État libanais, après tant d’espoirs investis dans un certain Printemps de Beyrouth, dont le souvenir semble de plus en plus lointain. Pour le Hezbollah enfin, malgré une étonnante résistance militaire et une démonstration moderne de la guerre asymétrique ou l’art de la guérilla. Pour le Hezbollah surtout, malgré le ton triomphaliste de Hassan Nasrallah et de ses alliés. Pour le Hezbollah parce que si le pays a sombré, il est tout aussi concerné et qu’il aurait dû reconnaître combien sa politique, en marge de l’État, aux dépens de l’État, contre l’État des fois, est destructrice. Combien son idéologie est dans l’impasse, comme ce mur de Cisjordanie préfigurant l’apartheid, autre mur idéologique, au sens propre cette fois. Le Hezbollah divise le pays en profondeur. Son arsenal a cristallisé le clivage national au point d’occuper une place centrale dans le débat politique et à partir duquel se sont fondées les positions de chacun, dans un climat de stigmatisation, de diabolisation et de radicalisation à outrance. Ainsi, nous demande-t-on de ne pas pousser à l’excès la controverse avec le Hezb, par peur d’un nouveau recours à la violence physique. L’antagonisme innervant notre champ politique, suscitant des rancœurs tenaces, pourrait, nous prévient-on, dans une logique où les points de vue sont irréductibles les uns aux autres, déboucher sur un retour à la guerre civile. D’autant que Hassan Nasrallah, dans une menace à peine voilée, a demandé à ses hommes de faire fi de ce qu’ils ont entendu comme critiques, au moment où les combats faisaient rage entre sa formation et l’armée israélienne. Une rhétorique étouffante, préférant le statu quo apocalyptique à une tentative de sortie de crise qui puisse, tant bien que mal, satisfaire tout le monde et qui rappelle l’ancien mot d’ordre que Damas prenait pour argument imparable : la pax syriana ou la guerre fratricide. La dictature, stabilisatrice à sa manière, ou la discorde, l’éternel combat entre les Caïn et Abel libanais. On connaît le refrain. Sincèrement, quel Libanais est-il prêt encore à prendre les armes ? Comme si nous n’avons rien retenu des erreurs du passé. Une guerre des mots, métaphorique, symbolique il est vrai, ne présage pas nécessairement une guerre civile. Loin de la soi-disant fureur des masses dressées les unes contre les autres, il est du droit, et même du devoir, de tout citoyen libanais de demander des explications, de vouloir comprendre pourquoi on en est arrivé là et de réclamer des comptes au Hezbollah, comme il réclame chaque jour des comptes à la majorité. Ce n’est qu’à partir de là qu’un dialogue sage et constructif pourrait aboutir à une solution, à condition aussi que le Hezbollah tranche définitivement la question de ses allégeances, révèle la nature de ses intentions, de son projet politique, et concède par les actes, non pas seulement par les mots, ses ambitions. Aucun dialogue ne peut être mené sérieusement sans un cadre précis. En rappelant à Hassan Nasrallah une question essentielle, Walid Joumblatt a voulu délimiter le cadre des discussions : le Hezbollah voudrait-il de l’enveloppe de Taëf et donc d’une reconnaissance de l’armistice de 1949 et d’une réintégration au sein de l’armée ? La question du leader druze à propos de l’ancienne trêve avec les Israéliens est tombée comme un couperet, même si Hassan Nasrallah a prétendu lundi, lors de sa dernière intervention sur la chaîne New TV, avoir reconnu l’accord de Taëf, et surtout que l’État hébreu a renoncé à ses rêves d’empire, à ses ambitions de Grand Israël depuis qu’il est confronté à sa propre réalité démographique. Il n’est plus question de bâtir un pays sans une majorité juive à l’intérieur. La politique des retraits unilatéraux, au Liban-Sud et à Gaza, le plan de désengagement de Cisjordanie (même gelé) et la volonté d’un tracé définitif des frontières israéliennes avant 2010 ne font que renforcer cette perspective. Le déploiement de l’armée libanaise au Liban-Sud, acclamée par la population, a quelque peu changé la donne. L’armée est certes un facteur stabilisateur, mais elle est insuffisante. Conformément à la résolution 1701, le renforcement de la Finul devrait lui aussi aider le gouvernement libanais dans sa recherche d’une souveraineté perdue. Dès lors, le revirement momentané de la France, qui avait commencé par revoir à la baisse les effectifs engagés par elle au sein de la nouvelle force onusienne avant de revoir à la hausse sa participation, n’était pas sans soulever des inquiétudes. Il est évident que le spectre du Drakkar hante toujours les esprits de la diplomatie française, que celle-ci attend plus de clarté de l’ONU quant à la mission qu’auront ses hommes, que le manque de précision dans le mandat de l’ancienne Finul a été une des causes directes de son échec, mais les démocraties occidentales devront elles aussi assumer leurs responsabilités envers un pays qu’elles ont longtemps abandonné. À commencer par leur silence durant les quinze ans de mainmise syrienne sur le Liban. N’avaient-elles pas prévu l’armement inévitable du Hezbollah, la désintégration de l’État, phagocyté par la tutelle ? L’activisme de la France au cours de ce dernier mois a fait prévaloir une vision libanaise de la solution. Si Washington n’a en quelque sorte que très peu montré de réserves c’est parce que la France devait jouer un rôle essentiel dans la nouvelle force d’interposition internationale. Dans un contexte où les causes du conflit demeurent présentes, toute marche arrière de sa part, depuis le sommet Chirac-Merkel, fragiliserait le processus politique et mettrait en danger une situation plus que précaire. Amine ASSOUAD

La guerre d’Israël au Liban contre le Hezbollah a été dramatique. Pour les Israéliens d’abord dont l’enlisement, qui pousse à l’usage démesuré de la violence, ne traduit que l’impuissance d’une puissance à définir une politique cohérente avec son voisinage et à assurer à ses citoyens, après soixante ans d’existence, la paix et la sécurité. D’autant plus...