Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Le prix d’une « victoire »

Par Sélim JAHEL * L’âpre résistance que les miliciens du Hezbollah ont opposée à l’armée israélienne, considérée comme l’une des plus puissantes du monde, mérite bien d’être saluée comme une victoire. L’on s’accorde de toute part à le dire, les Israéliens en premier. À qui cette victoire a-t-elle servi? D’abord au Hezbollah. Elle lui permet aujourd’hui de se positionner dans la région en puissance politique et militaire de premier plan avec laquelle il faut compter. Qu’importe si le Hezbollah n’a pas hésité à enfreindre l’article 288 du code pénal qui punit de la détention à temps « quiconque... troublera les relations (du Liban avec un État étranger) ou exposera les Libanais à des représailles dans leur personne ou leurs biens ». Cela est aujourd’hui complètement dépassé, recouvert par les ailes de la victoire. Et puis, un texte de cette nature est bon pour un « État de droit ». Il reste que le prix de cette victoire est extrêmement élevé. Outre les pertes en vies humaines et la destruction des infrastructures du pays, ce qui paraît être lourd de conséquences géopolitiques, c’est la démolition systématique par l’aviation et l’artillerie israéliennes des villes et des villages qui longent la frontière, et l’exode massif de leurs habitants que les Israéliens appelaient par tracts à partir. S’il est patent qu’Israël a géré la crise dans un désordre politico-militaire typiquement oriental, on peut toutefois se demander s’il n’y avait pas dans ces bombardements aveugles une volonté bien arrêtée de vider le Liban-Sud de sa population, terreau des combattants du Hezbollah, comme on vide l’eau d’un étang pour s’assurer de la mort du poisson. Israël se serait ainsi constitué en territoire libanais un cordon sécuritaire de plusieurs kilomètres de profondeur. Là, on peut craindre que le retour dans leurs foyers dévastés des habitants de la région et leur reconstruction ne dépende dans l’esprit des stratèges israéliens de sa totale pacification. Quel autre gagnant? Certainement la Syrie qui avait planté le Hezbollah durant les longues années d’occupation, l’a puissamment armé et dont les dirigeants n’ont jamais caché leur volonté de casser le Liban. C’est aujourd’hui chose faite par le biais de l’aviation israélienne. Il est tout de même frappant que la Syrie n’ait pas levé le petit doigt pour venir en aide à son protégé, ni profité des déboires de Tsahal face au Hezbollah pour tenter une percée au Golan. En fait, depuis la guerre d’octobre 1973, un état de non-belligérance semble s’être instauré entre les deux pays : la frontière qui les sépare est la plus sûre et la plus paisible du monde ; les responsables israéliens ont toujours affirmé tout au long des combats qu’ils ne s’en prendraient en aucun cas à la Syrie. Il reste toutefois que l’annexion par Israël du Golan alimente l’état de guerre, sans quoi, l’on serait tenté de se demander si le régime de Damas ne pratique pas à cet égard la « taquila ». L’Iran, lui, a tiré un bénéfice considérable de l’opération. La relation étroite qu’il entretient avec le Hezbollah aux divers plans spirituel, politique et militaire l’a propulsé dans la foulée de la victoire au premier rang de tous les États de la région, devenant ainsi l’interlocuteur privilégié du monde occidental. Pour autant, il n’est pas certain que l’Iran ait provoqué lui-même le conflit pour faire diversion, comme on le murmure dans les chancelleries, sur le dossier nucléaire. À vrai dire, il est difficile de mesurer le degré d’ascendance que l’Iran exerce sur le parti de Dieu. Inféodés, certes, à l’idéologie khomeyniste, ses dirigeants se défendent d’être les instruments de la politique iranienne en Méditerranée orientale, trop fiers pour cela. Ils le sont encore moins aujourd’hui, leur chef, secrétaire général du parti, étant devenu par sa victoire l’une des grandes figures spirituelles et politiques du chiisme. L’État libanais reste jusque-là le grand perdant. Les circonstances de cette guerre le font paraître de l’étranger comme un système complètement désintégré ; le terme « libanisation » que se transmettent les dictionnaires prend aujourd’hui un sens encore plus caustique. Comment expliquer au naïf Européen qu’un parti politique libanais, fort respectable par ailleurs, est allé faire la guerre à un État étranger sans le concours de l’armée nationale et à l’insu du gouvernement légal du pays, lequel comporte parmi ses ministres deux militants de ce parti? « En somme, c’est un peu comme la Somalie », dit l’un d’eux. Si une telle remarque mérite d’être rapportée, c’est pour faire prendre conscience aux dirigeants du Hezbollah, qui ont dédié leur victoire au Liban, de la nécessité de s’intégrer à l’ordre étatique libanais pour éviter que le pays ne s’enfonce dans le chaos. À quelque chose malheur est bon. L’ONU vient à nouveau au secours de l’État libanais. Le Conseil de sécurité engage une fois de plus le gouvernement à prendre possession de l’ensemble de son territoire. Assurée de cet appui, l’armée libanaise s’est ainsi déployée dans le Liban-Sud d’où elle s’était retirée il y a plus de trente ans, suite à une insurrection palestinienne à Saïda en février 1975, laissant derrière elle quelques unités assiégées à Marjeyoun sous le commandement de Saad Haddad. La mission qui est assignée à l’armée est extrêmement délicate. Elle doit, précise la résolution, « prendre des mesures de sécurité pour empêcher la reprise des actes de guerre, y compris l’instauration entre le fleuve Litani et la ligne bleue d’une zone dépourvue de toute présence armée ainsi que de toute arme et munition ». Cela revient en clair à écarter les miliciens armés du Hezbollah de la région. Pour réaliser sa mission, l’armée libanaise sera assistée d’une nouvelle Finul renforcée, mais dont le mandat reste flou et les moyens d’agir dérisoires – « Usage prudent de la force », dit le texte. En somme, il s’agirait, comme de la précédente Finul, d’une sorte d’ange gardien penché sur l’armée libanaise, qui sourit et bat des ailes. La résolution 1701 du Conseil de sécurité, fruit d’un difficile compromis entre les États membres, sera-t-elle plus opérationnelle que la 1559 ? Il est permis d’en douter. Le nouveau plan onusien établit une coopération laborieuse entre l’armée libanaise et la Finul, avec cohabitation dans la zone allant du Litani à la ligne bleue entre elles et la milice, invisible mais omniprésente, du Hezbollah. On sait combien une cohabitation de quelque nature qu’elle soit peut être source de conflits. Là, il est sûr qu’on ne manquera pas de les attiser de l’extérieur. Dans ce contexte, la tuerie dont furent victimes, en 1983, les soldats de la force multinationale envoyée à Beyrouth pour faire pendant à l’armée israélienne est dans tous les esprits. Ses auteurs et leurs commanditaires, qui n’ont jamais été inquiétés et dont on a toujours évité de rechercher la véritable identité, ne doivent pas être très loin... C’est dire que tous les ingrédients d’un clash majeur sont réunis. On se croise les doigts. * Professeur émérite à l’Université Panthéon-Assas Paris.
Par Sélim JAHEL *

L’âpre résistance que les miliciens du Hezbollah ont opposée à l’armée israélienne, considérée comme l’une des plus puissantes du monde, mérite bien d’être saluée comme une victoire. L’on s’accorde de toute part à le dire, les Israéliens en premier.
À qui cette victoire a-t-elle servi? D’abord au Hezbollah. Elle lui permet...