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Actualités - OPINION

Le point Le veston et le treillis

Personne n’avait dit au loup qu’il lui fallait accepter les règles édictées par les agneaux pour être admis dans la bergerie. La querelle fratricide de ces derniers mois, dans laquelle tout le monde feint de voir le résultat d’un simple quiproquo, est née en fait d’une série d’erreurs de calcul et d’une totale méconnaissance de la situation sur le terrain palestinien. Ainsi, Mahmoud Abbas et ses coéquipiers du Fateh s’estimaient par avance vainqueurs de la consultation électorale du 25 janvier dernier ; la communauté internationale avait lourdement sous-estimé la popularité du Hamas ; enfin, en Israël même, rares étaient ceux qui voyaient dans l’organisation dirigée par les héritiers de cheikh Yassine autre chose qu’un groupuscule de dinamiteros incapables de remiser le kalachnikov pour s’asseoir à la table de négociation. Le verdict de la rue, au soir du scrutin, avait retenti comme un coup de tonnerre et sonné le glas des espérances de chacun. À commencer par celles de ce Mouvement de la résistance islamique qui découvre depuis combien il est difficile, voire impossible, de s’acheter une conduite. Depuis le mois de mars, les 165 000 fonctionnaires de l’Autorité palestinienne et leurs familles vivotent péniblement de menues tâches, faute de recevoir leur salaire. Un récent rapport du Programme alimentaire mondial évoque les dizaines de milliers de foyers de Gaza (1, 4 million d’habitants) où la viande a pratiquement disparu du menu, tout comme les œufs et le lait pour les enfants, où le nombre même de repas quotidiens a été réduit. La proportion de personnes vivant sous le seuil de pauvreté a augmenté de 9 pour cent et les médicaments en viennent à faire cruellement défaut. Constat unanime des organismes internationaux : ce n’est pas encore une catastrophe humanitaire, mais tous les éléments propres à une crise sont en train de se mettre en place. Fin mai, les Nations unies ont réclamé une rallonge de quelque 70 millions de dollars à l’enveloppe de 215 millions prévus pour le prochain exercice. Quant aux agences spécialisées, Unrwa et Unicef entre autres, elles ont déjà prévu à la hausse – dans une proportion de 70 pour cent – leurs demandes de fonds destinés à aider les plus démunis. Tenu pour principal responsable de la dégradation de la situation, le gouvernement d’Ismaïl Haniyeh a fini par accepter de lâcher du lest. L’arsenal d’opérations-suicide et de tirs de roquettes a été remisé au placard et nul ne fait plus référence à une charte qui préconise la lutte armée pour la libération des territoires occupés. Du coup, s’est éloignée la menace d’un référendum, le 26 juillet, brandie par le président de l’Autorité. À cette occasion, le peuple devait être appelé à se prononcer sur « l’initiative des prisonniers », un document prévoyant la reconnaissance de l’État hébreu et la création d’un État palestinien. Ses auteurs ? Marwan Barghouthi (Fateh), cheikh Abdel Khalek Natché (Hamas), cheikh Bassam Saadi (Jihad islamique), Abdel Rahim Mallouh (FPLP) et Moustapha Badarneh (FDLP). Cinq dirigeants qui, coupés de toute réalité sur le terrain, enfermés qu’ils sont, depuis des années, dans les geôles israéliennes, n’en font pas moins preuve ainsi d’un déroutant pragmatisme. Leur plan, le Hamas a fini par en épouser les principales clauses, cédant même – implicitement, a-t-il laissé entendre, mais cette réserve d’usage n’a trompé personne – sur la reconnaissance d’Israël. Il était grandement temps. Ces derniers jours, l’affrontement entre les deux formations rivales menaçait de tourner à la guerre civile et de plonger un peu plus la population dans la misère. Plus grave : rien de ce qui est palestinien ne pouvant être étranger au monde arabe et islamique, il y avait tout lieu de s’inquiéter de débordements sur l’ensemble de la scène proche-orientale, à l’heure surtout où le couvercle du chaudron irakien achève de sauter. Or, comme nul ne l’ignore plus depuis le tout récent bras de fer entre Téhéran et Washington, chacun est prêt à nombre de concessions pour faire l’économie de nouveaux fronts. L’ultime argument utilisé pour achever d’amadouer les irréductibles du Hamas est qu’on ne saurait, après tout, s’opposer à un projet de règlement avalisé par l’ensemble de la communauté arabe lors du sommet de 2002, à Beyrouth. Sans compter qu’à la faveur de toutes les confrontations passées, les Israéliens ont mis à profit la situation pour pilonner les localités arabes et lancer une guerre de liquidation des « terroristes ». Le Hamas n’avait pas vu, il y a cinq mois, le danger, à savoir qu’il lui serait impossible d’endosser indéfiniment , et l’habit politique, et le treillis de combat. Le moment venu, il lui a fallu choisir en payant le prix fort. Avec toutefois un retard de treize ans sur ses frères ennemis. Ses options, le Fateh les avaient déterminées dès 1993, à Oslo. Christian MERVILLE
Personne n’avait dit au loup qu’il lui fallait accepter les règles édictées par les agneaux pour être admis dans la bergerie. La querelle fratricide de ces derniers mois, dans laquelle tout le monde feint de voir le résultat d’un simple quiproquo, est née en fait d’une série d’erreurs de calcul et d’une totale méconnaissance de la situation sur le terrain...