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THÉÂTRE - Une œuvre dramaturgique de Gyorgy Schawdja à l’Athénée de Jounieh Cinglante satire pour un délirant hymne à l’amour

Le théâtre a le vent en poupe ces derniers temps et respire une belle vitalité. Les pièces se suivent et ne se ressemblent pas. Décoiffants déballages du sexe féminin, cinglantes critiques sociales et contestations politiques vitriolées vont bon train dans l’univers des planches. Les tabous se brisent, les langages crus s’intensifient, les audaces se multiplient et les langues se délient sous la flaque de lumière…En dehors de l’agitation de la capitale et de son vacarme incessant, plus précisément à l’Athénée de Jounieh, se présente, dans un ton résolument avant-gardiste, un nouveau lever de rideau. Mêlant en toute subtilité, dans une allégorie nourrie d’absurde, de surréalisme et de bizarre, le chant obstiné des cœurs simples et l’indéfectible attachement à la terre. La pudique voilette d’auteur étranger hongrois ne suffit pas à masquer les ardentes et profondes préoccupations nationales de la troupe entière, acteurs et metteur en scène confondus. Il s’agit de L’hymne de Gyorgy Schawdja, traduit d’abord du hongrois en français par Jean-Loup Rivière et Anna Lakos, libanisé ensuite par Gabriel Yammine et Randa Asmar. Que reste-t-il de l’essence initiale de cette percutante œuvre dramaturgique après deux transvasements ? Suffisamment de quoi séduire le public libanais à qui on offre un délirant et grinçant chant d’amour où la solidarité du couple se confond avec l’obsessionnel amour de la patrie. Dans un éclairage blafard, un décor simple et minimaliste. Deux chaises, une table, une caisse noire à charbon, une structure en bois et des écrans pour projection d’images et texte pour un surtitrage en français. Là, dans un dénuement total et une criante misère, se démènent Fawzi et Randa, un couple soudé par l’usure et les combats contre l’adversité. Ils vivent pauvrement. De cette harassante et éprouvante vie des damnés de la terre. Avec un pouvoir public faussement bienveillant. Lugubre atmosphère, presque onirique, pour un duo d’êtres hagards et dépassés, pris dans l’étau du manque et de la déchéance dans l’alcool. Mari ivrogne et brutal, qui violente sa femme dévouée et docile jusqu’à la plus bête des soumissions, parce que c’est le dernier carré de l’amour, Fawzi sombre de plus en plus dans l’isolement et la folie. Au point de préférer dormir dans la caisse de charbon plutôt que dans son lit conjugal ! Avec cela, il y a cette étrange, inquiétante, amusante manie-lubie de chanter l’hymne national. En famille, à tue-tête, à minuit… Belle performance d’acteurs On convient que les voisins en sont dérangés ! Vite, baîllonner les fous sous prétexte de leur venir en aide…L’aumône et les secours aux démunis n’ont pas toujours la dignité, la bonté et la grandeur de la charité chrétienne ! Surtout quand ils ont pour source les avares ressources des États eux-mêmes empêtrés dans les dettes…Aide rapace et empoisonnée, faite de répression, d’amende, de rétorsion, d’emprisonnement pour ces personnages désespérés, inconsciemment poussés au crime. Des personnages qui jurent par conséquent avec un système atone et bêlant d’uniformité. On punit toujours les putrides purs, ceux qui veulent chanter impunément et infatigablement leur Koullouna…Voyez-vous ces lendemains qui chantent, vous ?... Le théâtre de Schawdja est à la fois actuel et intemporel par son caractère allégorique, surréalisant par l’absurdité de l’histoire qu’il conte, mais réaliste parce que cet absurde est l’absurde vécu des sociétés des pays émergents, hallucinant de frustration. Hypocrite et courtois euphémisme pour nommer les pays du tiers-monde régis par des autorités bureaucratiques, aveugles et tyranniques. Émotions contenues, humour noir, contestation des forces qui laminent les classes laborieuses, raillerie des institutions, des valeurs consacrées et des pouvoirs établis s’imbriquent dans un secret et touchant chassé-croisé. Un chassé-croisé où ironie, sarcasme, cocasserie, silence, non-dit ont d’étroites correspondances. Telle est cette pièce où, sous le couvert de la fantaisie, dans un jeu subtil du bizarre, de l’insolite, de l’aliénation, de l’humour corrosif, du pathétique, de la violence camouflée, on dénonce, à travers une fausse simplicité et l’écrin d’une étouffante satire, une réalité insoutenable et sinistre. Les acteurs, Gabriel Yammine (qui assume aussi la mise en scène intelligemment, à contre-courant du texte, délibérément lente et un peu robotisée) et Randa Asmar, avec pantoufles, chaussettes noires, robe à fleurs style Ayyache, très femme du peuple, mais un port de tête trop séduisant pour la fonction (!), ont la part belle dans cette réussite. Avec des moments d’une belle intensité, pour une bonne performance d’acteurs distillant savamment mots, silence et émotions. Moments gâchés par des comparses à la présence, même courte, pesante. Notamment la déléguée de l’État qui fait un mauvais numéro de mannequin avec un accent inutilement italianisant, créant une fausse note dans un ensemble qui s’harmonisait dans sa sobriété, sa pudeur et sa retenue. À noter les excellents intermèdes musicaux entre deux scènes, deux répliques, deux situations. Judicieuse sélection musicale pour dérider une atmosphère oppressante ou accentuer un pathos effleuré comme une caresse de plume… Le langage du quotidien se transforme, avec L’hymne de Schawdja, en une noble cause, une angoissante pause de réflexion. Réflexion sur la mort, par asphyxie lente, dans une société et un univers, aveugles et sourds, qui ne portent pas de secours à personnes en danger… Edgar DAVIDIAN
Le théâtre a le vent en poupe ces derniers temps et respire une belle vitalité. Les pièces se suivent et ne se ressemblent pas. Décoiffants déballages du sexe féminin, cinglantes critiques sociales et contestations politiques vitriolées vont bon train dans l’univers des planches. Les tabous se brisent, les langages crus s’intensifient, les audaces se multiplient et les...