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Le lent déminage de Maroun el-Ras et de Sojod, pourtant prioritaires Des villages entiers, infestés d’engins explosifs, vidés de leurs populations

Il est difficile pour un Libanais de s’imaginer que dans son pays, une grande partie de la population, et principalement la population du Sud, est dans l’impossibilité de vivre normalement et de se déplacer librement, à cause de la présence de mines. Que les paysans ne peuvent exploiter toutes leurs terres. Que les bergers ne peuvent faire paître leurs troupeaux là où ils le désirent. Que les enfants doivent faire des détours pour aller à l’école, pour éviter de traverser des champs de mines. Que de nombreux projets d’habitations, d’infrastructure ou de développement sont carrément arrêtés. Que les populations n’osent toujours pas réintégrer certains villages, transformés depuis l’invasion israélienne en champs de mines. Mais que surtout, les victimes annuelles des mines ont considérablement augmenté pour atteindre le nombre de 26, rien qu’en 2005. Parmi ces victimes, de nombreux morts, inévitablement, et une majorité de blessés qui traînent de lourds handicaps, à vie, après avoir perdu une jambe, un bras, ou un œil. Ces villages du Sud infectés par les mines, nous en avons traversé quelques-uns, en compagnie de l’armée libanaise et de la MACC SL de l’ONU. De la Ligne bleue, longeant la frontière libano-israélienne, à la zone 6, regroupant 151 villages des cazas de Nabatyé, Hasbaya, Jezzine et de la Békaa-Ouest. Nous nous sommes arrêtés, çà et là, pour bavarder avec un paysan ou avec une victime, discuter avec un moukhtar ou un conseiller municipal et pour nous rendre compte des répercussions de la présence des mines sur le développement de toute la région. Nous avons également rencontré quelques équipes de déminage à l’œuvre, des équipes de l’armée libanaise, ou de l’ONG MAG qui travaillent à plein rendement et parent au plus pressé, avec les moyens du bord. Mais dont le résultat demeure extrêmement lent, vu l’absence de fonds et le nombre limité de spécialistes. Dans un champ du village de Ramya, un vieux paysan plante sa terre de tabac, assisté de trois enfants, dont une fillette ; probablement ses petits-enfants. Deux ânes les attendent patiemment sur le bord de la route, affublés de sacs remplis de pousses de tabac. Le terrain est réparti en trois terrasses. Le long de sa limite sud, plusieurs bâtons en fer indiquent la ligne à ne pas franchir. Car le terrain attenant est miné, jusqu’à la frontière libano-israélienne, au grand dam des propriétaires. Au grand désespoir du vieux paysan et de ses petits-enfants, qui travaillent quotidiennement à proximité des charges explosives, la peur au ventre. Comme tant d’autres villages de la bande frontalière, situés à l’extrême sud du pays, autour de la Ligne bleue, Ramya continue de payer les conséquences de l’invasion israélienne. « Nous en avons assez de ne pas pouvoir exploiter nos terres à fond », déplore le vieux paysan, après avoir terminé de planter ses pousses. « Occasionnellement, nous apprenons qu’un agriculteur, un berger ou même un enfant a sauté sur une mine. Qu’attend donc le gouvernement pour déminer tous ces terrains ? Le pire est que les propriétaires des terrains minés ne sont même pas dédommagés », observe-t-il. La proximité de la frontière israélienne n’effraie pas le paysan. Sa priorité, comme celle de tous les paysans de son village, est de pouvoir planter ses terres, jusqu’aux limites les plus éloignées, et en toute sécurité, pour nourrir sa famille. La découverte d’un enfant Mais la priorité du gouvernement libanais est tout autre. Pour le moment, tant que la situation entre le Liban et Israël est au même point de tension, la Ligne bleue est intouchable et les villages frontaliers avec Israël ne seront pas déminés, à moins d’être jugés prioritaires. Les 370 000 mines polluant la Ligne bleue sont donc condamnées à faire de nouvelles victimes, pour au moins quelques années encore. Il en est ainsi de Yaroun, village mixte de la Ligne bleue, où les régions limitrophes avec Israël sont considérées zones militaires et sont exclusivement contrôlées par le Hezbollah. Personne n’y a droit d’accès, ni l’armée libanaise, ni l’ONU, surtout pas les journalistes, sans autorisation du parti. Personne non plus n’a le droit d’en effectuer le déminage, car la décision émane des autorités politiques. Maroun el-Ras a aujourd’hui la chance d’être considéré par ces mêmes autorités comme étant prioritaire. Dans ce village de la Ligne bleue, situé à l’intérieur des terres, deux incidents récents ont poussé l’armée libanaise et la MACC SL des Nations unies à prendre la décision conjointe de déminer une parcelle de terrain située au cœur du village, à moins d’un km de la frontière. C’est d’abord un écolier qui a attiré l’attention des autorités. Un jour qu’il traversait un champ pour se rendre à l’école, il a été intrigué par un engin dont il a marqué l’emplacement avant d’alerter son institutrice. Engin qui s’est, par la suite, avéré être une mine antipersonnel. « Un autre jour, alors que la municipalité effectuait des travaux d’élargissement de la route qui traversait ce même champ, des explosifs ont endommagé le bulldozer », raconte le moukhtar du village, Abbas Farès, précisant que deux jeunes gens ont été blessés par ces explosions. Un mois plus tard, les travaux de déminage ont démarré. Un déminage qualifié d’humanitaire, car non seulement le champ de mines de Maroun el-Ras est traversé par une route, mais il se trouve au beau milieu du village, à proximité d’une école. « Il constituait une réelle menace pour les enfants du village, de même que pour les bergers, même si nous les avions avertis du danger », explique encore le moukhtar. Et d’ajouter que le terrain n’était même pas protégé par des fils de fer, car si l’on se doutait de l’existence de mines, çà et là dans la région, personne ne soupçonnait la présence d’un champ de mines en plein village. « Il aurait été miné par l’armée libanaise dans les années soixante-dix », estiment les experts de l’armée libanaise et des Nations unies présents sur les lieux. Des équipes en sous-nombre À Maroun el-Ras comme dans toute la région du Liban-Sud, le déminage est le fruit d’une collaboration totale entre la MACC SL des Nations unies et l’armée libanaise. À partir des informations recueillies par la MACC SL et conformément au plan de travail établi par l’organisation, une équipe constituée de 11 militaires de l’armée libanaise, dont 7 démineurs, 2 contrôleurs, un secouriste et un chef de chantier, conduit les opérations depuis déjà 71 jours. « Nous avons nettoyé une surface de 4 048 m2 et accompli le tiers du travail, raconte le responsable de l’équipe. Nous avons trouvé 162 mines anti-personnel et 32 mines antichars. Mais nous sommes en sous-nombre », regrette-t-il, précisant que ce terrain est très vaste et qu’il nécessite une équipe d’au moins 20 personnes. En fait, les démineurs travaillent 4 jours sur 7 et ne peuvent opérer les jours de pluie, car le terrain est glissant et donc dangereux. Ce jour-là, il faisait beau. Depuis 7h du matin, les 7 démineurs de l’armée travaillaient, dans le silence le plus absolu, par équipes de 3 ou 4. Ils enchaîneront les 45 minutes de travail et les demi-heures de repos jusqu’à 14h, avant de s’arrêter pour recommencer le lendemain. À ce rythme, il faudra au moins 6 mois pour terminer le nettoyage de ce terrain. Non loin des opérations, une famille est venue prendre des nouvelles de sa maison, encore en chantier. Les enfants s’amusent autour de la maison, mais ne s’aventurent pas plus loin. « La région entière est infestée de mines, déplore leur mère. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous n’habitons pas le village. Nous venons de la ville, mais nous espérons que le déminage sera terminé avant la fin des travaux de notre maison. » Dans ce même champ de mines que l’armée libanaise entreprend actuellement de déminer, cette femme a perdu un cousin, il y a une trentaine d’années. À l’époque, il avait 11 ans. « Ma sœur, durant son enfance, a également été victime d’une mine antipersonnel, raconte-t-elle. Elle était allée à la cueillette du thym, quelque part dans le village. Elle a perdu une jambe. » Aujourd’hui, le quotidien des habitants de Maroun el-Ras est conditionné par le bon vouloir du gouvernement de déminer ou non les villages de la Ligne bleue. « Le gouvernement libanais veut maintenir la pression dans cette région limitrophe, constate le moukhtar. Mais les habitants ne supportent plus cette situation et veulent exploiter leurs terres au maximum. » « Après tout, observe Abbas Farès, c’est une terre libanaise. » Et de préciser que le village de Maroun el-Ras a une frontière commune avec Israël sur 3 km de long. Les champs de mines, eux, s’étendent le long de ces 3 km, sur une largeur de 300 à 600 mètres. « Une superficie non négligeable pour les habitants, dont la majorité pratique l’agriculture », précise-t-il. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la majorité de ces habitants n’est pas retournée au village après la guerre. « Initialement composée de 9 600 habitants, la population s’est réduite aujourd’hui à 200 personnes », déplore-t-il, montrant les nombreuses maisons inachevées que les propriétaires ont carrément abandonnées. « C’est la réalité pure, nous n’exagérons pas le problème. » Un lieu de pèlerinage sans pèlerins Tout autre est le problème de Sojod, village boisé du caza de Jezzine, situé, en zone 6, à 1 000 m d’altitude bien loin de la frontière libano-israélienne, mais qui avait été transformé en forteresse par l’armée israélienne, durant la dernière invasion. « À l’époque, Sojod était la ligne de démarcation entre la zone contrôlée par l’armée israélienne et la Résistance », précise un habitant, Youssef Nasreddine. Six ans après le retrait israélien, en 2000, rien n’a changé dans ce village dont près de 70 % des terrains sont toujours infectés par les mines. Les rues sont désertes. L’école du village fermée, faute d’enfants. Les habitations toujours détruites ou inachevées, malgré la détermination du Fonds koweïtien à contribuer à la reconstruction du village. Et pour cause, les maisons sont entourées de champs de mines. Quant à la population, forcée au départ par l’armée israélienne durant l’occupation, elle ne compte plus que 50 habitants en hiver et atteint péniblement les 1 500 personnes en été. Privée de son unique source de revenus, la terre, la population s’est détournée du village et s’en est allée ailleurs chercher d’autres moyens de subsistance. « Le problème de Sojod est très particulier », explique un membre du conseil municipal, Ahmad Chibani. Sojod est un village qui devrait vivre correctement de ses richesses naturelles, notamment la forêt, l’agriculture et l’élevage. Sans compter qu’il représentait un lieu de villégiature très prisé, car sa colline, baptisée « site du Prophète », est un haut lieu de pèlerinage aussi bien pour les musulmans que pour les juifs. Malheureusement, la présence des mines empêche les habitants de profiter de ces richesses, de même qu’elle constitue une entrave aux travaux de développement du village. « La construction de châteaux d’eau sur la colline a été extrêmement périlleuse », se souvient M. Chibani, ajoutant que les équipes de travail ont trouvé près de 18 mines durant l’installation de ces réservoirs. Désormais considéré comme une urgence humanitaire, vu les nombreuses demandes des habitants adressées au ministère de l’Intérieur, le déminage de l’ensemble du village de Sojod a débuté, mais au ralenti. Une trentaine de démineurs de l’ONG Mag, placée sous le contrôle conjoint de l’armée libanaise et de la MACC SL de l’ONU, travaillent d’arrache-pied, donnant la priorité aux terrains à haut risque, situés à proximité des habitations. Mais à ce rythme, Sojod risque de demeurer une zone sinistrée, pour de nombreuses années encore : « C’est une région difficile à déminer, qui nécessite davantage de moyens que ceux mis en place jusque-là », note le conseiller municipal, précisant que le village se situe sur un terrain très escarpé, parsemé d’arbres et de rochers. Le déminage ne peut donc se faire au moyen de machines, mais nécessite davantage d’hommes et de chiens démineurs. Sans compter que les opérations ne peuvent être effectuées qu’en période de beau temps. Permettre au village de Sojod ou à d’autres villages de la zone 6 de revivre, et dans les plus brefs délais, implique pour le gouvernement libanais un déblocage de fonds (15 millions de dollars pour toute la zone 6, selon les estimations de l’ONU), afin d’engager encore plus de démineurs et d’équipes de soutien, mais aussi d’acquérir des chiens. Fonds qui ne sont toujours pas disponibles. À moins que quelque généreux donateur ne se penche sur la triste réalité de ces villages fantômes du Sud, qui n’en peuvent plus d’être toujours pollués par les mines et dont les habitants continuent d’être victimes d’accidents, régulièrement. Il reste aussi à espérer que le gouvernement se souciera quelque peu du sort des habitants des villages de la Ligne bleue, qui n’en peuvent plus d’être punis d’avoir l’État d’Israël pour voisin. Dossier réalisé par Anne-Marie EL-HAGE Prochain article : Le traité d’Ottawa, pomme de discorde entre le Liban et l’ONU
Il est difficile pour un Libanais de s’imaginer que dans son pays, une grande partie de la population, et principalement la population du Sud, est dans l’impossibilité de vivre normalement et de se déplacer librement, à cause de la présence de mines. Que les paysans ne peuvent exploiter toutes leurs terres. Que les bergers ne peuvent faire paître leurs troupeaux là où ils le...