Rechercher
Rechercher

Actualités

Le scandale de la gestion des ports US

Il en aura fait couler de l’encre le scandale des ports. Des larmes aussi, celles dont on dit qu’elles procèdent de la colère. Pas de sang cette fois-ci. Et pourtant, il s’agissait bien des Arabes et de George Bush. Résultat inhabituel. Pas n’importe quels Arabes, prétendent certains. Des amis, pour une fois. Première nouvelle. Si tant est que certains ont pu croire qu’après le 11 septembre, les États-Unis pouvaient encore avoir des amis arabes (ceux qui se trouveraient du «bon côté» de l’Axe du mal), leurs théories auront été pour le moins mises à mal par les derniers développements de l’actualité. De quoi s’agissait-il? Dans un monde où – à tort – l’islam devient symbole de régression, d’immobilisme, d’agressivité, de fanatisme religieux et, pire que tout, de terrorisme, il se dresse quelques pays qui s’emploient à démontrer que l’islam peut aussi être synonyme de modernité, de progrès, de modération et de paix. On pense à la Malaisie ou au Qatar. L’attention s’est récemment focalisée sur les Émirats arabes unis (Arabes et unis, on croit rêver) dont le joyau, Dubaï, semble bien parti pour présenter au monde entier un nouveau visage de l’islam, un modèle inédit de pays à la fois arabo-musulman et vivant avec son temps – en avance sur son temps. Dubaï, où la croissance économique défie tout entendement, où les constructions défient le temps, avec les gratte-ciel qui poussent à vue d’œil, mais aussi la nature, avec les îles palmiers qui asservissent la mer et les stations de ski qui provoquent le désert. Avec l’argent du pétrole, certes. Mais un argent dont il est fait bon usage. Car à côté du goût invétéré pour le luxe et de l’extravagance qui distinguent les Arabes (la chose est plus ancienne que la découverte de l’or noir et elle est une caractéristique culturelle et sociologique dont il ne faut pas avoir honte), Dubaï a démontré que les musulmans pouvaient exceller dans l’instauration d’institutions étatiques modernes, d’une administration moderne (très souvent électronique, informatisée, «en ligne», comme on dit) et d’institutions économiques et financières aussi performantes qu’innovantes. Un peu trop, semble-t-il, au goût de certains de nos amis américains. L’affaire des ports vient démontrer qu’il est des jeux interdits, des jeux réservés aux grands, à leur cour (dans les deux sens du terme) et à ceux qui y jouent – sur invitation. Que l’on ne s’y trompe pas: nous ne parlons même pas de nucléaire. Le scandale des ports, qui n’a de scandaleux que son dénouement, c’est qu’une compagnie des Émirats arabes unis a voulu acquérir les titres, prendre le contrôle (on parle dans ce cas d’offre publique d’achat «amicale») d’une société britannique s’occupant (entre autres) de la gestion de certains ports américains. Une démarche on ne peut plus anodine, en somme, dans un monde où les actifs sont liquides et où les actions changent de mains tous les jours. Crime de lèse-majesté ici, pourtant. Interdit aux Arabes, aux musulmans. Ces affreux du 11 septembre. Pour l’occasion, tous dans le même sac. Abdallah de Jordanie, Hosni Moubarak, Pervez Musharraf et autres Moammar Kadhafi (interdit de rire) n’ont qu’à bien se tenir. Leurs preuves d’amour vis-à-vis des États-Unis ne sont pas suffisantes. Leur collaboration dans « la guerre contre la terreur » n’aura pas suffi. La livraison d’informations, de citoyens non plus. Quant aux Émirats arabes unis eux-mêmes, leurs commandes de quantités astronomiques de produits divers et variés aux Américains, militaires, technologiques, industriels et autres, leurs aides aux États-Unis depuis les donations démesurées aux universités américaines jusqu’à celles faites à l’occasion de l’ouragan Katrina, ils peuvent finalement se les garder. Pas assez pour jouer dans la cour des grands. Pas assez pour inspirer la confiance des congressistes américains, qui s’apprêtaient à voter le blocage du rachat, toutes tendances (c’est-à-dire dans ce pays à la politique souvent binaire, démocrates et républicains) confondues. Les médias occidentaux ont rappelé, de façon assassine, à une opinion publique preneuse, que deux des « auteurs » (on ne parle évidemment que des exécutants) du 11 septembre étaient originaires des Émirats arabes unis. Un amalgame désolant. George Bush a certes, de bonne foi, essayé de contrer cela. De rappeler, à cor et à cri, que ce n’était pas la bonne stratégie. Que rejeter l’offre de la compagnie de Dubaï, ou plus exactement opposer un veto et annuler (rétroactivement) la transaction avec cette société sur la seule base de sa nationalité, de son identité arabe et musulmane, cela s’appelait du racisme. Pur et simple, primaire. Qu’en demandant le retrait de la compagnie des Émirats arabes unis de l’opération d’acquisition des ports, les Américains allaient s’attirer au mieux l’incompréhension de ceux de ces Arabes qui se croyaient leurs amis, au pire leur haine. Cette même haine qui a présidé aux attentats du 11 septembre. Et à tant d’autres manifestations ultérieures de la barbarie terroriste. Cette haine née de l’incompréhension, du refus du dialogue franc, de la porte fermée. Cependant, George Bush a tant de problèmes internes et externes qu’il n’a plus la capacité de faire face aux parlementaires de son propre camp, eux-mêmes obsédés par une défaite que l’impopularité croissante de leur leader finirait par leur imposer en 2008, alors qu’il est certain que lui-même ne sera plus là, puisque ne pouvant briguer un troisième mandat. Quelles que soient les motivations qui sous-tendent cette affaire, une chose demeure: l’attitude des États-Unis sur cette question pousse à s’interroger sur l’utilité, pour les musulmans qui croient au progrès et à la modernité, de se ranger aux côtés des Américains dans la succession sans fin de combats (dont plus d’un est injustifié, quand ce n’est injuste) que ces derniers lancent chaque jour dans le monde. À se demander pourquoi, depuis le 11 septembre et bien que pour la plupart d’entre eux ils n’avaient rien à se reprocher, ils se sont tant évertués à se faire bien voir par l’Oncle Sam. À quoi bon, semblent dire les parlementaires américains eux-mêmes: un Arabe est un Arabe, et il est des choses trop sérieuses pour qu’on puisse les confier à des Arabes. C’est, en substance, la leçon de l’affaire des ports. La liberté doit être limitée quand il s’agit des ennemis de la liberté. Le tourisme, oui. Le grand luxe, les hôtels, les tours, les îles de remblai, le tennis, le golf, la Formule 1, peut-être. Mais pas les industries, pas les services publics, pas les activités «stratégiques». Au résultat des amalgames, de l’incapacité à faire la part des choses et du refus obstiné de la nuance, c’est l’intelligence humaine et l’amour-propre qui se trouvent insultés. La civilisation et le progrès aussi, qui ne sont le privilège de personne. Les dangers du scandale des ports, c’est cela : décourager les bons de rester bons et confirmer les mauvais dans leur combat qu’ils disent juste – et chaque jour davantage justifié. Il est peut-être encore temps de rectifier le tir. Avant qu’il ne soit – à nouveau – trop tard. Élias R. CHEDID
Il en aura fait couler de l’encre le scandale des ports. Des larmes aussi, celles dont on dit qu’elles procèdent de la colère. Pas de sang cette fois-ci. Et pourtant, il s’agissait bien des Arabes et de George Bush. Résultat inhabituel. Pas n’importe quels Arabes, prétendent certains. Des amis, pour une fois. Première nouvelle. Si tant est que certains ont pu croire...