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Actualités

Le crime contre la nation

Les partis politiques ont le droit de bâtir les alliances qui leur conviennent. Celles-ci sont, bien entendu, motivées par de potentiels gains politiques, en tant qu’outils de réalisation d’objectifs de court et de long termes. Les alliances se basent sur de nécessaires compromis, pour certains détails, et sur une vision partagée des faits politiques majeurs. Dans toute démocratie, il est normal de voir les partisans de chaque parti défendre les alliances établies. Ils en discutent, des débats libres sont engagés, qui s’échauffent parfois; ces débats sont l’occasion d’utiliser les arguments plus ou moins rationnels pour justifier son point de vue et convaincre l’interlocuteur. Malheureusement, au Liban, nous avons glissé vers un chemin très dangereux. En soutenant les différents partis et leurs alliances, la grande majorité des partisans est allée trop loin et a versé dans une haine totalement aveugle à l’égard de tous ceux qui ne partageaient pas ses points de vue (parallèlement à un culte quasi-religieux voué aux leaders respectifs). Avoir des convictions et des principes forts n’est pas en soi un problème, au contraire. Mais aller aussi loin dans la haine, le mépris et l’irrespect ne peut avoir que des conséquences fâcheuses. Et c’est vraiment alarmant, d’autant plus que la haine ou le mépris – émotions personnelles par nature – ne sont fondés que sur les relations liant les différents dirigeants (des personnes tierces). Cette «télépathie émotionnelle» est extrêmement répandue. Visiter les forums de discussion politique sur l’Internet ou faire un tour dans les campus en donnent une parfaite illustration. Nous ne semblons pas avoir compris que les alliances, par définition, ne sont pas immuables et qu’elles varient en fonction d’événements particuliers et de circonstances spécifiques. Quiconque considère un accord politique comme définitif est soit naïf soit floué. Et établir ses sentiments personnels en fonction d’accords politiques représente le comble du danger. Au regard de ce niveau de mépris visible entre les partisans du CPL, des Forces libanaises, du PSP, du Hezbollah et de tous les autres partis à des degrés divers, comment peut-on espérer reconstruire une société démocratique «normale»? Comment un aouniste par exemple pourrait-il regarder un joumblattiste dans les yeux, dans quelques mois, si jamais Aoun et Joumblatt décident de se réconcilier, après le flot d’insultes qu’ils ont déversées chacun de son côté à l’encontre de l’autre? Comment peut-on parler d’une solidarité chrétienne après le niveau de «dialogue» atteint entre les FL et le CPL? Comment des Hezbollahis et des partisans du Courant du futur ou du PSP pourront-ils reconstruire un lien social entre eux, dépassant le fossé d’émotions noires les séparant aujourd’hui? Par leur façon de faire de la politique, les leaders sont en train – consciemment ou non – de semer les graines de l’irrespect et du conflit entre leurs supporters et dans l’esprit des générations futures. Même si un accord est un jour trouvé entre eux, chacun gardera les cicatrices et les séquelles des joutes passées. Les leaders sont en train de «produire» une société où la confiance est une denrée introuvable, où le contrat social se dilue rapidement, (irréversiblement?). Aucun accord ou alliance hypothétiques dans le futur ne pourraient effacer et guérir la trace de la haine et du mépris actuels. Même si les gens donnent l’impression d’être des robots, des masses manipulables, ils ne sont pas, en définitive, ces machines que les dirigeants peuvent «reformater» à souhait, au gré de leurs intérêts. Les blessures en temps de paix, occasionnées par les rumeurs, les insultes, sont de loin plus dangereuses que celles qui surviennent en temps de guerre. Leurs effets durent plus longtemps et le remède est très dur à trouver, car elles n’auraient jamais dû exister. Quelle société sommes-nous en train de construire? Une société où ne règnent que scepticisme et méfiance? Où personne n’ose demander des comptes à celui qui le dirige quant aux effets de ses positions sur les relations individuelles du lendemain? Les chefs, tous les chefs, sont dans une certaine mesure en train de commettre un crime contre la nation, plus sournois que celui qu’ils ont perpétré pendant la guerre ou l’occupation: ils construisent des murs de séparation mentale infranchissables… Ayman MHANNA Institut d’études politiques de Paris
Les partis politiques ont le droit de bâtir les alliances qui leur conviennent. Celles-ci sont, bien entendu, motivées par de potentiels gains politiques, en tant qu’outils de réalisation d’objectifs de court et de long termes. Les alliances se basent sur de nécessaires compromis, pour certains détails, et sur une vision partagée des faits politiques majeurs.
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