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Actualités - OPINION

Quand la République est communautaire

Autant le choix d’un député maronite par les maronites est parfaitement dans l’ordre, compte tenu de notre système communautaire, autant le choix du président de la République par les maronites ou par ce que des politiciens appellent la communauté chrétienne est une aberration. Le fait que nos dirigeants politiques ne se rendent pas compte de cette aberration montre que nous comprenons notre système communautaire de travers. Je m’explique. Le système communautaire est un système à deux niveaux : le niveau communautaire et le niveau national. Les compétences de l’État sont réparties entre ces deux niveaux. Ce qui est de la compétence du niveau communautaire n’est pas de la compétence du niveau national, et vice versa. Pour que les choses marchent comme il faut, il faut interdire au niveau communautaire de s’immiscer dans les affaires qui sont de la compétence exclusive du niveau national, et vice versa. C’est parce que nous n’avons pas compris ce point que la foire règne dans le pays. Le mal dont nous souffrons en tant que nation qui cherche à se constituer elle-même en se donnant une certaine consistance(1) est que nous confondons ce qui devrait être distingué. Les communautés, notamment les plus grandes et les plus influentes, ressemblent à des fleuves fougueux qui débordent le lit qui leur est propre et ravagent les territoires qui relèvent en exclusivité du domaine national. Le résultat est que le niveau national se trouve dans un état permanent de dysfonctionnement. Le professeur Jean Salem a relevé ce point dans une conférence, le 20 mai 2000. Il a proposé, pour le résoudre, une répartition des compétences entre les communautés et l’État. Je ne fais que reprendre ici ses idées en tenant compte du fait que notre République est loin d’être une République à l’état pur, puisqu’il s’agit, oh contradiction(2), d’une République communautaire. Le domaine communautaire Les communautés existaient bien avant la création du Liban moderne. Elles sont la base orientale sur laquelle s’élève la République importée de Paris. Leur domaine est bien connu. Il a trois dimensions. La première et la plus fondamentale est la dimension juridique qui se rapporte au statut personnel. La seconde et la plus caractéristique du système libanais est politique. Elle concerne la représentation au sein de l’Assemblée nationale. Nous y sommes représentés en tant que communautés. La troisième concerne les services sociaux : enseignement et santé pour l’essentiel. La troisième dimension relevait, sous les Ottomans, de la compétence exclusive des communautés. L’État étant pratiquement absent de ce domaine. La création du Liban moderne et la volonté de mettre sur pied un État complet, donc un État providence, ont fait que tout ce qui concerne les services sociaux est partagé, le plus souvent d’une manière foireuse, entre les communautés et l’État. Seules les deux premières dimensions sont de la compétence exclusive des communautés. En conséquence, l’État n’est pas autorisé à s’immiscer dans ce qui concerne le statut personnel en introduisant une législation qui lui serait propre. C’est donc à juste titre que les communautés se sont opposées au projet du président Hraoui concernant le mariage civil. Passage du niveau communautaire au niveau national Ce sont les élections parlementaires qui réalisent le passage du niveau communautaire au niveau national. En effet, par le truchement des élections, les communautés se font représenter à l’Assemblée nationale et jettent de cette manière la base d’un gouvernement national. Une fois constituée par les élections législatives, l’Assemblée nationale élit le président de la République. Ensuite c’est le président qui désigne le Premier ministre, en consultation avec les députés. En d’autres termes, des communautés émane l’Assemblée législative, puis de cette Assemblée émane le gouvernement national. Le rôle des communautés se limite à la création de l’Assemblée nationale. Toute intervention communautaire au niveau national représente un abus de pouvoir. Quand les maronites, ou ce qu’il est convenu d’appeler la communauté chrétienne, s’arrogent le droit de nommer le président de la République, ils commettent une aberration constitutionnelle. De la même manière et en vertu de la même logique, quand les trois présidences deviennent des chasses gardées des trois communautés qui dominent la scène politique, la République se laisse corrompre par une mainmise communautaire. La séparation des pouvoirs et des compétences devrait commencer chez nous par une séparation du domaine communautaire et du domaine national. La démocratie est une fleur délicate, elle ne peut pas prendre pied dans la jungle institutionnelle. Joseph CODSI Professeur à l’Université pour tous-USJ (1) Un mollusque n’a pas de consistance, il se laisse façonner à volonté comme une pâte à modeler. Pour donner à l’État libanais une certaine consistance, il faut le doter d’une colonne vertébrale. C’est ce que je cherche à faire dans cet article. C’est la colonne vertébrale qui permet au mollusque de se dresser debout et d’avoir une élévation structurée au lieu de rester aplati dans une horizontalité non structurée. (2) En bon républicain, Maxime Rodinson parlait de « la peste communautaire ». Ceux qui lui emboîtent le pas chez nous ne jurent que par la République à l’état pur, c’est-à-dire une République qui ne saurait tolérer le système communautaire.
Autant le choix d’un député maronite par les maronites est parfaitement dans l’ordre, compte tenu de notre système communautaire, autant le choix du président de la République par les maronites ou par ce que des politiciens appellent la communauté chrétienne est une aberration. Le fait que nos dirigeants politiques ne se rendent pas compte de cette aberration montre que nous...