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Actualités - OPINION

commentaire - L’analyse d’un professeur à l’université d’Harvard Envisager la question du pétrole d’un mauvais point de vue

Par Joseph S. NYE* Dans son récent discours sur l’état de l’Union, le président George W. Bush déclarait que « l’Amérique est dépendante du pétrole ». Il a annoncé un programme de recherche en énergie pour réduire les importations américaines de pétrole en provenance du Moyen-Orient à hauteur de 75 % dans les vingt ans à venir. Mais même si ce programme réussit, cela ne résoudra pas la question de la sécurité énergétique de l’Amérique. Les États-Unis n’importent qu’un cinquième de leur pétrole depuis le Moyen-Orient. Les Américains ne sont pas les seuls à s’inquiéter de la question du pétrole sous l’angle de la sécurité. La Chine et l’Inde, les deux pays les plus peuplés au monde, ont compris que le taux élevé de leur croissance économique dépend, entre autres, du pétrole étranger. Alors que ces pays consomment à eux deux moitié moins de pétrole que les États-Unis, leur consommation s’accélère rapidement. Lorsque les pays pauvres consommeront autant par tête que les pays riches, y aura-t-il assez de pétrole pour tout le monde ? La Chine et l’Inde ont sillonné le globe pour signer des accords financiers et politiques coûteux avec les nouveaux pays producteurs de pétrole pour s’en arroger la production. Quand les pays occidentaux, par exemple, ont découragé leurs compagnies pétrolières de faire affaire avec le gouvernement soudanais à cause de sa gestion inadéquate du génocide au Darfour, la Chine s’est empressée d’acheter le pétrole de ce pays. Certains experts disent que la production mondiale de pétrole sera à son plus haut dans une dizaine d’années environ. D’autres répliquent que de nouvelles découvertes et l’amélioration des technologies d’extraction du pétrole dans les champs existants donnent un air un peu trop alarmiste à ces prévisions. Comme on ne dispose pas de statistiques précises sur les réserves de pays tels que l’Arabie saoudite, il est impossible de régler cette question de manière définitive. Mais la majorité des experts s’accordent pour dire que l’on n’arrivera pas à bout des réserves de pétrole dans un avenir proche, malgré la demande croissante de la Chine et de l’Inde. On sait qu’il existe plus de trois billions de barils en réserve, et on pense qu’on en découvrira de nouvelles. En tout cas, les débats sur la taille des réserves mondiales de pétrole et le moment où la production sera à son plus haut ignorent la question-clé de la sécurité. Au cœur du problème se trouve non pas la quantité mondiale de pétrole mais plutôt sa répartition géographique. Les deux tiers des réserves connues se situent dans le golfe Persique, une des régions du monde les plus instables. L’approvisionnement en pétrole est donc fortement conditionné par les problèmes politiques bien plus que par la rareté des réserves. Pour la Chine et l’Inde, cela ne fait que renforcer leur désir de s’approprier des réserves dans des pays autres que les pays du golfe Persique. De même, cela a poussé M. Bush a déclarer son intention de réduire les importations depuis cette région de 75 % dans les vingt ans à venir. Au premier abord, la tâche de M. Bush semble facile. Les États-Unis consomment environ 21 millions de barils par jour, et en importent 2,5 millions depuis le golfe Persique. Avant même que de nouvelles technologies produisent cette quantité de fuel, les États-Unis pourraient importer depuis le Nigeria, le Venezuela et d’autres pays. Mais même si ces pays restent stables, l’Amérique n’aura toujours pas assuré sa sécurité. Ce qui importe, c’est le total des importations de pétrole du pays et non pas leurs origines. Imaginons que le golfe Persique entre en crise à cause des efforts iraniens pour acquérir l’arme nucléaire. L’Iran a déjà menacé de réduire ses exportations de pétrole si le Conseil de sécurité des Nations unies lui impose des sanctions pour avoir failli à ses engagements nucléaires. La plupart des experts prévoient qu’un tel événement pourrait faire monter les prix du pétrole, y compris au Venezuela et au Nigeria, ainsi que d’autres pays où les États-Unis, la Chine et l’Inde s’approvisionnent, à plus de 100 dollars le baril. L’augmentation rapide des prix pourrait aggraver les économies importatrices de pétrole, quelle que soit sa provenance. Le monde a appris sa leçon depuis la guerre israélo-arabe de 1973. Les pays arabes exportateurs de pétrole avaient alors placé un embargo sur la vente de pétrole aux États-Unis et aux Pays-bas pour les punir de leur soutien envers Israël. Mais le pétrole destiné aux États-Unis et aux Pays-Bas fut envoyé à d’autres pays, notamment le Japon, tandis que le pétrole destiné à d’autres pays trouva le moyen de partir aux États-Unis et aux Pays-Bas. Le pétrole est un bien fongible et les marchés se résorbent à un prix commun. Quand la situation s’est calmée, il est apparu que tous les importateurs, américains, néerlandais et tous les autres, avaient souffert en gros des mêmes manques et payé le même prix exorbitant. Cela signifie que la Chine et l’Inde se bercent d’illusions si elles pensent acquérir une certaine sécurité en signant des accords préférentiels avec les Soudanais ou les Iraniens. Quand les troubles apparaissent, la Chine, l’Inde et les États-Unis constateront tous qu’ils payent les mêmes prix et souffrent donc tous de la même façon. Entre-temps, le malentendu mercantile des marchés côté chinois entraîne qu’elle paye trop pour ce qu’elle prend, à tort, pour une certaine sécurité de son approvisionnement énergétique. Tout comme M. Bush. Même s’il réduit les importations du Moyen-Orient, l’Amérique ne jouira pas d’une plus grande sécurité sans réduire sa soif absolue de pétrole. Par le passé, les hausses des prix du pétrole ont participé au ralentissement de la consommation de pétrole aux États-Unis. Les États-Unis n’utilisent plus que moitié moins de pétrole par dollar de production par rapport au passé, avant la hausse des prix des années 1970. Mais plus de la moitié du pétrole consommé par les Américains disparaît dans les automobiles et les camions. Les États-Unis ne résoudront pas leur problème de sécurité énergétique sans améliorer leur économie pétrolière, éventuellement par une combinaison de mesures technologiques, fiscales et régulatoires. Le pétrole n’est pas à l’origine de la guerre d’Irak dans une vision simpliste où le simple contrôle américain sur le pétrole irakien lui apporterait une certaine sécurité. La dépendance mondiale envers le pétrole du golfe Persique indique que tout le monde a intérêt à assurer la stabilité de la région tout en améliorant l’efficacité énergétique de sa consommation et en diversifiant les approvisionnements dans leur ensemble. * Joseph S. Nye, ancien assistant du secrétaire de la Défense américaine, enseigne à Harvard, et est l’auteur de Soft Power : The Means to Success in World Politics (Le Pouvoir doux : les moyens de réussir en politique internationale). © Project Syndicate 2006. Traduit de l’anglais par Catherine Merlen.
Par Joseph S. NYE*

Dans son récent discours sur l’état de l’Union, le président George W. Bush déclarait que « l’Amérique est dépendante du pétrole ». Il a annoncé un programme de recherche en énergie pour réduire les importations américaines de pétrole en provenance du Moyen-Orient à hauteur de 75 % dans les vingt ans à venir. Mais même si ce programme...