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Actualités - OPINION

OPINION «Les druzes au Liban» de Abbas el-Halabi, un livre de dialogue et d’engagement

Il faut un jésuite pour que de bonnes initiatives soient entreprises. À l’incitation en effet du père Louis Boisset, Abbas el-Halabi – à l’encontre de ses coreligionnaires qui se désintéressaient d’écrire leur propre histoire parce «ils étaient en quelque sorte davantage soucieux de faire l’histoire…» – a écrit l’histoire de sa communauté, non seulement parce qu’elle représente un élément constitutif de l’identité, mais aussi parce qu’elle fait partie intégrante de l’histoire du Liban. Le livre de Abbas el-Halabi, Les druzes: vivre avec l’avenir, qui vient de paraître aux éditions Dar an-Nahar et dont la signature a battu le record au Salon du livre « Lire en français et en musique », que nous apporte-t-il ? Étude historique, sociologique, culturelle ou politique? Le livre est un éventail de tout cela. On a du plaisir à découvrir des idées neuves et surtout à rectifier des préjugés. Livre d’histoire ou de sociologie? Le livre de Abbas el-Halabi est riche en événements et significations. Un livre à lire et non à parcourir ou à survoler, si on veut en récolter les fruits. L’ouvrage donne un sens et de l’âme à chaque phrase, à chaque nuance, à chaque interprétation, avec le souci d’éclairer l’histoire d’une communauté ignorée ou mal reconnue. Personnellement, étant originaire de Hammana, village druzo-maronite, dans le Haut-Metn, et à entourage druze, les druzes faisaient partie de ma vie quotidienne, sur les bancs de l’école, dans les clubs du village, les boutiques… De plus, notre famille, bien que maronite, était reconnue sous le nom druze «Alibey», plutôt que par le nom de famille. Même à l’école figurait le nom «Alibey» sur nos cahiers et nos livres. Presque personne ne nous appelait de notre vrai nom, que nous avons découvert aux examens officiels. La raison? Les voisins de mes grands-parents étaient druzes et mon arrière-grand-père, Kozhaya, avait caché chez lui des druzes durant les massacres de 1840 et 1860 pour les protéger. Pour le remercier, ils lui ont donné un surnom druze. C’est ainsi que les relations de père en fils entre ma famille et les druzes se maintenaient fortes et solides. Autrement dit, je les ai connus de près et je croyais connaître toutes les vérités contenues dans l’ouvrage de Abbas el-Halabi. Quand, dans l’introduction de l’ouvrage, l’auteur distingue entre deux catégories de lecteurs, le «néophyte» et «l’initié», je me suis classée dans la seconde catégorie sans un iota de doute. J’ai dû changer de catégorie à mesure que j’avançais dans ma lecture. Je me suis trouvée plutôt ignorante. C’est dire combien on apprend à lire le livre de Abbas el-Halabi. Ne soyez pas tentés de tourner certaines pages, avec le présupposé que vous avez des connaissances à ce sujet. À chaque page, du nouveau. Comme par exemple: «L’émir al-Tannûkhî fut le premier législateur de l’histoire, plusieurs siècles même avant l’Occident, à donner à la femme des droits comparables à ceux de l’homme et à reconnaître son statut social, son égalité et son droit à prétendre à la moitié de ce qu’il possédait. Il lui accorda en outre le droit de divorcer, de léguer ses biens en toute liberté et lui attribua toute son indépendance au sein de son propre foyer. «Ainsi, pour les femmes, le statut est exactement le même que celui des hommes sur le plan religieux. Elles peuvent siéger aux majlis… être initiées aux doctrines unitaires et devenir “shaykha”.» On bien encore, parlant des écritures sacrées: «Les doctrines druzes devinrent secrètes et ésotériques seulement du fait de leur propre nature: elles ne sont ouvertes qu’à ceux qui s’y sont suffisamment préparés.» «Les Livres de la sagesse ne sont jamais imprimés, et ce afin de limiter leur diffusion et d’éviter que leur message ne soit dévoyé par des adeptes insuffisamment préparés.» «Les écritures sacrées des druzes font simplement l’objet de copies manuscrites. Certaines personnes se sont spécialisées dans ce domaine et pensent ainsi accomplir un acte bénéfique pour la foi unitaire en investissant beaucoup de temps et de soins dans ces travaux.» Ou de l’art: «Les arts plastiques sont délaissés au sein de la communauté druze non pas par désintérêt ou par tabou, mais tout simplement par respect envers Dieu.» Du nouveau, parce que Abbas el-Halabi rapporte les événements avec transparence, sincérité, fierté et pertinence. Une écriture vécue Lorsque Abbas el-Halabi parle des druzes, vous avez des réponses à vos questions qui vont au-delà de la religion, de la communauté ou de l’histoire druze: l’origine, la religion, les croyances, la métempsycose, l’histoire, la répartition géographique, les coutumes, les mœurs, le statut personnel, l’art, les écoles, les personnalités politiques et littéraires, les savants, les caractéristiques de la communauté, la culture. Quand Abbas el-Halabi écrit, c’est du vécu qu’il s’agit… C’est une étude pensée, mûrie, complète sur la communauté druze au Liban et partout ailleurs: Syrie, Palestine et Palestine occupée, et dans la diaspora aux États-Unis, au Canada, en Amérique latine et en Australie. Une communauté assez spéciale, différente, mais riche de valeurs. Pourquoi a-t-il entrepris ce travail? Empruntons-lui la réponse: «Dans la situation actuelle où des changements remarquables envahissent le Liban, c’était la bonne idée de redonner l’image des druzes aux générations actuelles et futures et de répondre à un devoir civique et national pour éclairer les idées et les mentalités, c’est-à-dire ôter les préjugés, les idées fausses et montrer que malgré les dissensions et les périodes de conflits, montés ou alimentés par certaines ambitions personnelles ou ingérences étrangères, les Libanais œuvraient toujours pour un Liban indépendant, c’est-à-dire se retrouvaient autour du Liban.» Dans un esprit de concorde et de dialogue interreligieux, parmi tant d’idées appelant à la tolérance, Abbas el-Halabi écrit: «Tandis que la religion n’est pas en elle-même un élément de division et de conflit, l’usage du religieux en matière politique est la cause des conflits intercommunautaires.» Et encore: «Dieu nous créa différents et, pour lui, il n’aurait pas été impossible de nous créer identiques. Mais le défi pour nous, c’est que cette différence enrichisse notre vie au lieu d’être une source de conflit.» Abbas el-Halabi a représenté la communauté druze au synode du Vatican pour le Liban en 1995. Ancien magistrat, administrateur, homme d’affaires, banquier ou dévot? Abbas el-Halabi est tout cela à la fois. Ses responsabilités et ses activités sont légion. Un homme conscient de son rôle humanitaire et qui comprend dans son vrai sens l’adage: «On vient à la vie, une fois et une seule.» Pour lui, ce dicton signifie «autant donner» à l’humanité ce qu’on peut, c’est-à-dire pas seulement jouer un rôle et profiter de la vie, mais surtout remplir une mission, sa mission et avoir sa place non à un poste, mais dans la construction de la cité et au-delà servir l’humanité. Abbas el-Halabi est surtout l’homme engagé, l’homme du dialogue. Les Libanais ont bien besoin d’ouvrages pareils, mais y aurait-il d’autres Abbas el-Halabi pour le faire? Évelyne ABOU MITRY MESSARRA
Il faut un jésuite pour que de bonnes initiatives soient entreprises. À l’incitation en effet du père Louis Boisset, Abbas el-Halabi – à l’encontre de ses coreligionnaires qui se désintéressaient d’écrire leur propre histoire parce «ils étaient en quelque sorte davantage soucieux de faire l’histoire…» – a écrit l’histoire de sa communauté, non seulement...