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Actualités - REPORTAGE

REPORTAGE - Plus d’un mois après l’incident près d’une base du FPLP-CG, qui a fait deux blessés parmi les habitants du village, la tension demeure vive Les habitants de Naamé appellent l’armée de tous leurs vœux

Les images rappellent l’époque honnie de la guerre. En quelques minutes, la localité paisible de Naamé s’est retrouvée plongée dans le malheur et la tourmente. Deux jeunes employés de la municipalité blessés par des tirs palestiniens et des centaines d’habitants dans la rue, pour bloquer la voie vers le Sud, scandant des slogans vengeurs, entre autres, contre le secrétaire général du Hezbollah. La fumée des pneus brûlés s’est alimentée des vieilles rancœurs et surtout du sentiment de peur que les habitants de la bourgade, rentrés depuis quelques années chez eux, avaient cru oublié. Certes, le schéma général a changé, car cette fois, musulmans et chrétiens se sont retrouvés unis dans une même colère contre les Palestiniens installés sur les collines de Naamé. Mais les graines de la dissension demeurent, même si les protagonistes ne sont plus tout à fait les mêmes. À Naamé, plus d’un mois après ce qu’on appelle « l’incident », les esprits sont loin de s’être calmés. Nichée entre Doha et Damour, Naamé a un petit air coquet et accueillant. Pourtant, le village n’a pas été épargné par la guerre, à cause justement de sa proximité avec Damour et surtout de sa position stratégique sur la route côtière menant vers le Sud, avec ses collines dégagées qui, par temps clair, ont une vue impressionnante sur l’ensemble de la région. Toutefois, contre vents et marées, les habitants ont tenu jusqu’à 1983 avant de s’enfuir, en même temps que les habitants du Chahhar el-Gharbi. Ils ont alors rejoint le lot des déplacés, alors que les habitants du « maslakh », en majorité kurdes, s’installaient à leur place ou dans Haret Naamé, la localité voisine. En 1991, sans tambour ni trompette, les habitants de Naamé sont retournés chez eux et ils affirment aujourd’hui qu’ils n’ont pas pris un sou du ministère des Déplacés, préférant restaurer eux-mêmes leurs maisons et y habiter dans la plus grande discrétion. « Nous sommes des pacifistes, explique Georges qui tient une épicerie au village. Nous ne voulons pas d’ennuis et nous préférons être en bons termes avec tous nos voisins. La leçon de la guerre a été décisive pour nous. Et puis la configuration démographique a nettement changé. » Une majorité sunnite Avant 1975, les chrétiens étaient majoritaires à Naamé, et Haret Naamé était une excroissance indéfinie. Aujourd’hui, les deux localités collées l’une à l’autre sont à majorité sunnite. Réunies, elles comptent quelque 8 000 habitants dont près de 55 % sont sunnites. À ceux-là se sont ajoutés des centaines de résidents qui ont afflué pendant les années de guerre et qui sont eux aussi sunnites. Les deux localités ont une même municipalité dont le conseil est formé de 15 membres, huit musulmans et sept chrétiens. C’est pourquoi, les habitants de Naamé ne souhaitent nullement raviver les vieilles divisions, ni provoquer des problèmes. Le président de la municipalité, Abdo Matar, élu en 2004 à la tête de la « liste de la modération », en opposition à celle conduite par les Forces libanaises (qui a quand même obtenu cinq sièges), raconte que les Palestiniens s’étaient installés sur les collines de Naamé, qui appartiennent administrativement à la municipalité, au début des années de guerre, en raison de leur position stratégique. Ils sont partis en 1982 avec l’invasion israélienne pour revenir en 1984, lorsque les Israéliens se sont retirés vers la bande frontalière. Depuis cette date, la cohabitation s’est faite sans trop de heurts, les Palestiniens se cantonnant dans le secteur des collines et évitant de se mêler à la population du village. Celle-ci ne se souvenait d’ailleurs de leur existence que lors des raids israéliens réguliers contre ces fameuses positions. Les Palestiniens perçus comme une menace Élias, commerçant et militant des Forces libanaises, ne décolère pas aujourd’hui contre ces positions. Selon lui, si les Palestiniens installés sur les collines de Naamé ne se mêlent pas à la population, cela ne signifie nullement qu’ils ne constituent pas une menace pour elle. « Ils ont construit des tunnels souterrains, dans lesquels ils entreposent des armes moyennes et des munitions. Si l’envie leur en prenait, ils pourraient détruire nos villages, alors que nous sommes désarmés. Notre seule protection est illustrée par deux barrages de l’armée aux deux chemins qui mènent vers les collines. Mais ces barrages sont-ils en mesure d’arrêter les armes qui passent à travers les sentiers en friche ? » Selon les habitants, ce fameux matin du lundi 11 janvier, à la veille du congé de l’Adha, deux jeunes employés de la municipalité, de nouvelles recrues, sont montés vers la région des collines, envoyés en mission pour collecter les taxes municipales. Car, dans cette région, il y a huit usines qui fonctionnent. Les deux jeunes gens sont arrivés devant l’usine Kilani qui fabrique du nylon, mais elle était fermée, le propriétaire ayant fait le pont avec le congé du lendemain. Maroun Yazbeck et Hanna Ghossein ont donc fait demi-tour. Mais ils sont arrêtés par des éléments armés palestiniens qui leur demandent leurs papiers d’identité. Les deux jeunes gens répondent qu’ils sont employés de la municipalité et présentent leurs papiers. Ils entendent alors l’un des éléments dire à l’autre: « Fais-les entrer dans le tunnel. » Sous prétexte de dégager la route, le chauffeur démarre en trombe et roule vers Naamé. Les Palestiniens tirent sur la voiture, atteignant Maroun Yazbeck d’une balle qui lui passe à trois centimètres du cœur et Hanna Ghossein dans les jambes. La voiture atteint la place du village, où les habitants se sont attroupés, après avoir entendu les coups de feu. Le chauffeur est presque évanoui et son passager hurle de douleur. Les habitants s’empressent de les conduire vers les hôpitaux les plus proches. Aujourd’hui, Maroun Yazbeck est revenu chez lui, mais Hanna Ghossein se fait toujours soigner la jambe à l’hôpital Hammoud à Saïda. Choqués, les habitants se précipitent dans la rue pour crier leur colère et leur révolte. Selon le chef de la municipalité, la manifestation était totalement improvisée et motivée par la vue des deux jeunes gens blessés dans la voiture. Dans ce cas, pourquoi avoir scandé des slogans hostiles à Hassan Nasrallah, puisqu’il n’y a pas de Hezbollah, ni même de chiites dans le secteur ? Des armes inutiles Abdo Matar affirme que ce ne sont pas les habitants de Naamé qui ont scandé ces slogans, mais plutôt les résidents de Haret Naamé. Lorsqu’il a appris la nouvelle, il est descendu lui-même vers l’autoroute, pour tenter de calmer le jeu. Élias, lui, a une autre version. Selon lui, les armes parquées dans les tunnels souterrains appartiendraient au Hezbollah et c’est pourquoi les habitants des deux villages en veulent à ce parti. Ils considèrent que ces armes sont inutiles dans ce secteur. Mohammad, résident de Haret Naamé, lui, est encore plus explicite : « C’est le Hezbollah qui est responsable de tous nos malheurs. Sans son appui aux Palestiniens prosyriens, ceux-ci auraient pu être désarmés. D’ailleurs, c’est lui qui bloque la situation et empêche le Liban de jouir de l’appui de la communauté internationale et de commencer une nouvelle ère de prospérité. Si on ne s’en débarrasse pas, le Liban ne connaîtra jamais la paix et la prospérité. » Chafic, habitant de Naamé, résume ainsi la situation : « Tous les sunnites de Haret Naamé sont des sympathisants du Courant du futur. Ils réagissent ensemble et se calment ensemble. Même s’ils ont été manipulés pour descendre dans la rue et couper l’autoroute, il est facile de les calmer puisqu’ils ont un même et unique recours. » Selon Chafic, la tendance est aujourd’hui à l’apaisement. D’autant que celui qui a tiré a été livré aux autorités libanaises. Élias, lui, estime que c’est insuffisant. « D’ailleurs, affirme-t-il, ils étaient plusieurs éléments armés. Cette situation est intenable. Le gouvernement doit assumer ses responsabilités. » Le chef de la municipalité est plus nuancé. Il rappelle que les habitants de Naamé n’ont aucun intérêt à provoquer des problèmes et des tensions et qu’ils ne le souhaitent d’ailleurs pas. « Mais, aujourd’hui, la peur est dans tous les cœurs. Le traumatisme de 1983 n’a pas encore été totalement surmonté et les habitants craignent de faire les frais d’enjeux qui les dépassent. » « L’esprit du 14 mars » Élias est un peu plus optimiste. Pour lui, Naamé et Haret Naamé concrétisent l’esprit du 14 mars. Aujourd’hui, « chrétiens et musulmans sont unis contre les chiites et les prosyriens ». Et cette union est devenue « sacrée ». Le seul point noir, selon lui, est l’arrivée massive des aounistes à Naamé. « Car ils ne sont pas sur la même longueur d’onde que nous. » Ce qu’Élias ne dit pas, mais que d’autres affirment, c’est que les partisans du CPL sont devenus plus nombreux que ceux des FL parmi les habitants de Naamé. Les chiffres des élections législatives de 2005 ont été probants. Mais pour Élias, cela ne compte pas. « Nous sommes les plus militants et c’est nous qui contrôlons la rue. Les aounistes ne feront pas le poids. » Ces propos provocateurs ne plaisent pas à tout le monde. Les habitants de Naamé estiment dans leur grande majorité que l’heure n’est pas à ce genre de différends. La situation est bien plus grave et nécessite de la solidarité et de la vigilance. Pour Abdo Matar, qui devra céder la présidence de la municipalité à un musulman dans un an et demi, l’essentiel est que les habitants sunnites, qui étaient en 1975 avec les Palestiniens, sont désormais solidaires de leurs concitoyens. « C’est pour nous, un signe d’optimisme. Les autres conflits sont secondaires. Je veux croire que tous les Libanais ont compris que la guerre était inutile. » Marie écoute gravement et lance soudain : « Au début de la guerre, j’avais 25 ans. Je suis partie comme les autres. Mais quand je suis revenue, je me suis dit que je ne partirai jamais plus. Je souhaite mourir ici dans mon village. En entendant dimanche dernier le discours de Hassan Nasrallah, j’ai eu peur. J’ai eu le sentiment que tout allait recommencer. Heureusement qu’il y a le général Aoun, qui, lui, tente de faire un équilibre et d’éviter que les conflits ne prennent une tournure confessionnelle. Mais réussira-t-il ? » Toufic est de cet avis. Il estime que si on isole trop les chiites, ils risquent de réagir violemment. « Nous n’avons aucun intérêt à envenimer la situation. Nous sommes le maillon faible et nous avons déjà vécu l’expérience de l’exode. Une fois, cela devrait suffire, non ? » Le président de la municipalité affirme que les habitants de Naamé ne sont pas armés. « Ce sont les autorités libanaises qui doivent régler le problème des positions palestiniennes des collines de Naamé. Le gouvernement a d’ailleurs pris une décision en ce sens. Nous espérons toutefois que cette question sera réglée pacifiquement par le dialogue. Toute autre solution ne peut qu’être dramatique pour nous. » Il rappelle que les habitants de Naamé ne sont pas des gens aisés. Ils appartiennent à la classe tout à fait moyenne. Même les usines installées dans les collines, dont celle des frigidaires Concord, ne contribuent pas à la prospérité de la localité, car elles emploient principalement une main-d’œuvre syrienne. Selon la municipalité, il y aurait ainsi près de 1500 travailleurs syriens à Naamé et Haret Naamé. Avec les Kurdes, venus du « Maslakh » et installés à Haret Naamé, ce n’est certainement pas l’harmonie parfaite. Dans un contexte aussi complexe et tendu, les habitants de la localité souhaitent surtout qu’on les oublie…Et appellent l’armée de tous leurs vœux. Zone stratégique sur la route qui relie le Liban-Sud à la capitale, Naamé n’espère plus que la paix et la stabilité. Mais pour cela, il faudrait, estiment les habitants, que les Palestiniens s’en aillent. Sans combat. Scarlett HADDAD
Les images rappellent l’époque honnie de la guerre. En quelques minutes, la localité paisible de Naamé s’est retrouvée plongée dans le malheur et la tourmente. Deux jeunes employés de la municipalité blessés par des tirs palestiniens et des centaines d’habitants dans la rue, pour bloquer la voie vers le Sud, scandant des slogans vengeurs, entre autres, contre le...