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Actualités - REPORTAGE

PSYCHIATRIE - Hallucinations, délire, perte du sens de la familiarité… La schizophrénie, une maladie « démocratique »

Hallucinations, délire, psychose… la schizophrénie est une maladie qui inquiète. Encore méconnue, elle est souvent associée à des personnes violentes et agressives pour leur entourage. Récemment en visite au Liban, à l’invitation du centre pour le traitement des addictions Skoun, le Dr Philippe Nuss, psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine de Paris, fait à « L’Orient-Le Jour » un tour d’horizon de la maladie. La schizophrénie est la maladie la plus démocratique qui existe, puisqu’elle touche 1 % de la population mondiale, quels que soient la région, l’éducation, le système culturel ou les croyances des individus. « C’est une maladie qui implique le cerveau et débute à l’âge adolescent, entre 15 et 25 ans », explique le Dr Philippe Nuss, psychiatre, en visite récemment au Liban, dans le cadre du congrès organisé par le centre de traitement des addictions Skoun. La maladie touche autant les femmes que les hommes et s’exprime dans le comportement et dans les émotions des patients. « À l’origine, il existe une fragilité du cerveau, puis ce sont les événements que l’individu rencontre au cours de sa vie qui vont entraîner l’apparition de la maladie », poursuit le Dr Nuss, précisant que la maladie se manifeste par quatre types de symptômes. « On parle d’abord des symptômes positifs, c’est-à-dire que la personne souffrant de schizophrénie va avoir des hallucinations et du délire, note-t-il. Elle va entendre des voix, avoir l’impression de voir des choses, que les autres devinent sa pensée, etc. Généralement, les patients n’en parlent pas parce qu’ils s’y habituent trop vite. Les spécialistes ont découvert que lorsqu’ils déclarent la maladie pour la première fois, les patients ont déjà ces symptômes positifs depuis un an ou deux. » Lorsque les symptômes sont négatifs, les patients ont du mal à mettre en œuvre les choses habituelles. Ils n’arrivent pas, à titre d’exemple, à exprimer leurs émotions lorsqu’ils sont devant quelqu’un, à mettre un projet en œuvre ou à avoir recours à leur expérience quand ils en ont besoin. « Ce qui entraîne une solitude et un sentiment d’isolement, souligne le Dr Nuss. Les symptômes sont de désorganisation lorsque le langage prend une forme bizarre. Les phrases perdent leur coordination et les patients ont des émotions qui ne correspondent pas à leur pensée ni à leurs actions. La maladie peut se manifester enfin par des atteintes de la mémoire et de la capacité à comprendre. Il s’agit des atteintes cognitives. » Perte du sens de la familiarité Un grand nombre des patients est conscient de sa maladie, « mais le problème c’est qu’ils vivent les symptômes comme ils vivent le reste, c’est-à-dire qu’ils y croient. » Et d’ajouter : « Les patients atteints de schizophrénie disent qu’ils ont perdu le sens de la familiarité. Ce qui est très angoissant pour le sujet, parce qu’il se sent perdu. Il a l’impression que tout ce qui faisait ses repères change. Et du coup il est très inquiet et se sent en insécurité. C’est uniquement dans ce cas-là qu’il peut devenir violent. Sinon la plupart du temps il vit en retrait, il est angoissé et se fait tout petit parce qu’il n’a pas l’impression qu’il peut exister. » Précisant que les personnes atteintes de schizophrénie ne sont pas dangereuses pour les autres que dans des cas « très exceptionnels », le Dr Nuss remarque que les patients paraissent conscients au moment de la crise, mais qu’en fait, ils ne se souviennent de rien. « Ils sentent toutefois qu’ils ont été un peu bizarres et qu’ils avaient perdu le sens des choses », souligne-t-il. La schizophrénie est une maladie qui a des facteurs génétiques très nets. « On transmet la fragilité à la maladie et non pas la maladie en soi, insiste le Dr Nuss. Si un membre de la famille est schizophrène, le risque qu’un autre membre le soit se situe autour de 10 %. Quand les deux parents sont schizophrènes, le risque que leur enfant le soit est de 30 %. Tous les enfants dont l’un ou les deux parents souffrent de schizophrénie ne développeront forcément pas la maladie à leur tour. En fait, la schizophrénie est une maladie hétérogène, en ce sens qu’il existe des formes qui évoluent bien et d’autres mal. Et comme on ne sait pas comment la maladie évoluera dès le début, il faut toujours continuer à se battre, puisqu’il y a toujours un espoir à garder. » Conduites à risque Si l’individu est à risque, c’est-à-dire s’il est génétiquement prédisposé, certains facteurs vont précipiter l’apparition de la maladie, comme l’angoisse qui va conduire à des conduites à risque, telles que la consommation de cannabis. « Le cannabis est une drogue qui a des effets très spéciaux par rapport aux autres, explique le Dr Nuss. Les mécanisations d’action de cette drogue au niveau du cerveau se superposent en fait aux mécanismes de la maladie. Et si l’individu est fragile, la consommation fréquente de cannabis va aggraver ces mécanismes. En effet, une consommation fréquente de cannabis favorise sa concentration progressive dans le cerveau et l’effet cumulé de toutes ces doses a un effet néfaste chez le sujet à risque, plus que la prise épisodique. » Il est important donc d’éviter la consommation régulière de cannabis, notamment à l’âge jeune chez les sujets à risque. Et pour cause. « Au cours du développement de l’être humain, le cerveau se remodèle entre l’âge de 11 et de 15 ans, devenant ainsi fragile aux événements extérieurs, soulève le Dr Nuss. C’est au cours de cette période qu’il est le plus fragile au cannabis. Pour les sujets à risque, cette période est donc cruciale. Il faut qu’ils évitent de consommer du cannabis avant l’âge de 18 ans, sachant que, même à cet âge, ils demeurent à risque. » Nécessité d’un dépistage précoce de la maladie Soulignant la nécessité de dépister la maladie le plus tôt possible, le Dr Nuss insiste sur l’importance de consulter un spécialiste, « c’est-à-dire des psychiatres qui ont l’habitude de s’occuper de schizophrènes », d’autant qu’au début de la maladie, le sujet à risque ressemble beaucoup à un adolescent en révolte. « Il ne faut pas avoir peur de psychiatriser son enfant, lorsqu’il est notamment à risque », précise le Dr Nuss, qui signale que, sur le plan médicamenteux, les spécialistes disposent actuellement d’une famille de neuroleptiques qui sont plus tolérés par les patients, entraînant moins de somnolence. Peut-on guérir de sa schizophrénie ? « Dans certains cas, le patient peut avoir des épisodes aigus de schizophrénie qui guérissent complètement, répond le Dr Nuss. En ce sens que les patients retrouvent leur rythme habituel, tout en sachant qu’ils sont fragiles. Ces personnes-là doivent donc avoir une hygiène de vie évitant la consommation du cannabis et la prise de certains médicaments. Dans d’autres cas, cet épisode psychotique va inaugurer une autre maladie maniaco-dépressive ou la maladie bipolaire qui, au début, ressemble beaucoup à la schizophrénie. Les patients guérissent toutefois complètement, mais rechutent sur le mode dépressif. Ils ont ainsi l’impression qu’ils vont mourir, qu’ils ne peuvent plus se lever, qu’ils sont damnés, etc. » Et le Dr Nuss de conclure : « Dans certains cas, la maladie évolue malheureusement vers une schizophrénie établie. Dans sa forme sévère, le patient ne pourra rien faire. Il faut qu’on s’occupe de lui. Dans certains cas néanmoins, il va pouvoir s’insérer, avoir de petites occupations et se mettre en couple. »
Hallucinations, délire, psychose… la schizophrénie est une maladie qui inquiète. Encore méconnue, elle est souvent associée à des personnes violentes et agressives pour leur entourage. Récemment en visite au Liban, à l’invitation du centre pour le traitement des addictions Skoun, le Dr Philippe Nuss, psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine de Paris, fait à «...