Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

RENCONTRE La peinture d’Oussama Baalbacki, entre réflexions et rêves

Un artiste marginal, issu d’une famille d’artistes ? À vingt-sept ans, Oussama Baalbacki semble peu préoccupé par la gloire ou la vanité d’exposer, mais davantage par la qualité et la profondeur de son dire pictural et de son inspiration. Une toile immense, au ton gris-bleuté, meuble l’un des murs du 26e Salon d’automne au musée Sursock dont il est déjà l’invité pour la troisième année consécutive. L’œuvre retenue ne saurait laisser indifférent. Elle représente la tête d’un jeune homme au regard rimbaldien, entouré d’une main de mannequin cassée, comme une écharpe flottant au vent, sur fond d’un azur d’une pureté de turquoise, tandis que sur un mur en béton avance lourdement une botte écrasant un rêve tissé de transparence… Surréalisme certes, mais aussi froide dénonciation et angoisse de vivre enrobée d’une poésie à peine camouflée qui rappelle les écrasants interdits par-delà ce qu’on appelait le rideau de fer... C’est à partir de cette œuvre étrange, forte et belle que l’idée de découvrir le peintre est venue… Rencontre pour une discussion à bâtons rompus dans l’appartement des parents du peintre, à Ras el-Nabeh, plus exactement dans l’une des jonctions animées de la rue Mohammed el-Hout. Yeux profondément bleus derrière des lunettes de myopie, veste noire classique sur jeans délavé, taille plutôt mince et menue, belle éloquence dans un arabe parfait, d’une élégance qui bannit toute expression en langue étrangère, voilà Oussama Baalbacki, peintre au chevalet habité de visions insolites et parfois dérangeantes. Il est le fils de l’artiste Abdelhamid Baalbacki, le frère de la chanteuse Soumaya Baalbacki et de l’acteur Mounzer Baalbacki, pour montrer que l’art est un dénominateur commun en famille. Et voilà que le café arrive avec un autre frère, Loubnan (joli prénom remis à la mode !) qui, après des études de violon au Conservatoire national supérieur de Beyrouth, se prépare, dans un des pays de l’Est, à être chef d’orchestre. On ne parlera pas de musique, de chant ou de théâtre, mais de peinture. Toutefois, immanquablement, tous les sujets seront évoqués ! « La peinture n’est pas seulement mon expression, mais ma manière d’être. Je suis sélectif pour exposer et je prends tout mon temps… », précise tout de go Oussama en montrant ses toiles austères, comme échappées aux conflits du Printemps de Prague. Des toiles qui voisinent, tout en contraste, avec celles de son père où l’on voit, sur l’une d’elles, un chat noir ronronner tranquillement sur le parapet d’un balcon avec les toits et le ciel de Beyrouth en horizon paisible… Un certain engagement... Formé aux beaux-arts de l’UL, rompu à l’illustration des journaux, le jeune peintre avoue que ses premières préférences allaient à Chafic Abboud et Yvette Achkar, et d’ajouter : « Mais j’ai réalisé que c’était là une expression du passé, même si c’est relativement proche...» Il est évident qu’Oussama Baalbacki ne taille pas dans le facilement commercial et décoratif. Ses toiles reflètent un état d’esprit inquiet et, sans nul doute, un certain engagement. Angoisse, inquiétude, poésie doublée d’une conscience politique, mais aussi d’évasions inattendues constituent son monde pictural. Un monde souvent sombre, mais pas dépourvu d’espoir. Un monde où le noir, le blanc et les couleurs sans épanchements se disputent un espace très peu accueillant pour la tendresse ou la mièvrerie. Entre la vorace cruauté de Francis Bacon et le ravageur réalisme psychologique de Lucian Freud se déroule une inspiration qui revendique le droit à la différence, source d’énergie, selon ce jeune homme, qui dessine Lénine dans les tons orange avec un papillon bleu sur les yeux ! Pourquoi Lénine ? « Il habite mon imaginaire d’enfant, confie Baalbacki. D’ailleurs mon inspiration a pour source l’enfance, l’imaginaire et des bribes de la mémoire qui surgissent en images. Je suis visionnaire et libre. Un certain montage s’opère dans ma tête. C’est un peu comme les mots en littérature qui finissent par tisser un texte. Je suis pour une certaine provocation qui, en fait, est un état du soufisme. Quand il y a une confrontation, ce qu’il y a de mieux en moi jaillit… J’aime les petites contradictions qui font l’ambiguïté. Cette ambiguïté faite des pulsions du monde intérieur et des pressions extérieures. Pour moi, la peinture est un moyen de consolation. Consolation de la mort, lente ou graduelle, du monde. Ce n’est pas tragique, car une fin est toujours nécessaire. » De Nietzche à Naziri On n’est guère étonné, avec de pareils propos, de découvrir que Nietzche, Heidegger, Foucault, Barthes, mais aussi, du côté des poètes, Hallaj et René Char figurent dans les lectures d’Oussama Baalbacki. Sans parler en littérature de Milan Kundera et de Marquez (davantage L’automne du patriarche que Cent ans de solitude!). Pour les images, le cinéma qui le fascine est celui de Kubrick, Eisenstein, Oliver Stone et Tarkovsky. Pour la musique, il révèle son inclination pour Nasrat Ali Khan (soufi pakistanais) et l’Iranien Chahrar Naziri. En deux ans, plus de deux cents toiles à l’actif de ce peintre peu porté à la sociabilité et peu soucieux du commerce. Vivant dans un cercle restreint de connaissances, il vend ses œuvres à des amateurs d’art qui, selon lui, « ont une humeur particulière pour être convaincus de vivre avec ses toiles ». Et d’ajouter, pour conclure : « Mon ambition est d’être surtout toujours inspiré. Ma grande crainte est d’être un jour en panne de peinture ! Mon ambition se nourrit, comme mes toiles, de poésie et d’inspiration. » Acrylique sur carton, huile et acrylique, concrétisant réflexions et rêves, sont toutefois au rendez-vous des pinceaux d’Oussama Baalbacki. Des pinceaux qui, loin de chômer, préparent activement, pour l’automne prochain, une nouvelle exposition dans l’une des meilleures galeries de la capitale. Il n’en dira pas plus. Ceux pour qui la peinture n’est pas pétales de roses, toits en tuiles rouges, aimables paysages, silhouettes de femmes ou vagues abstractions colorées peuvent découvrir une œuvre âpre et sans concessions. Un parcours à suivre. Edgar DAVIDIAN
Un artiste marginal, issu d’une famille d’artistes ? À vingt-sept ans, Oussama Baalbacki semble peu préoccupé par la gloire ou la vanité d’exposer, mais davantage par la qualité et la profondeur de son dire pictural et de son inspiration. Une toile immense, au ton gris-bleuté, meuble l’un des murs du 26e Salon d’automne au musée Sursock dont il est déjà l’invité...