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Actualités - REPORTAGE

Voyage au bout du monde L’Antarctique sous le soleil de minuit

Nabil Romanos est un passionné de voyage et d’aventures. Au cours de l’un des nombreux tours du monde qu’il a effectués, il a fait l’expérience magique de l’Antarctique. Dans les lignes qui suivent, il nous relate ses impressions, après ce voyage au bout du monde avec un groupe d’amis. «Il nous faut rebrousser chemin, dit le capitaine Aldegheri, la glace se reforme trop vite autour de l’ Ushuaia. Si on continue plus loin dans le canal Lemaire, on pourrait bien être prisonniers de la glace jusqu’au prochain dégel général, dans 10 à 11 mois. » C’était un scénario possible, mais peu probable. Le petit enfant en moi se voyait déjà en train de revivre l’odyssée de l’explorateur Shackleton au bord de son voilier l’Endurance. Pour l’adulte, la perspective d’être prisonnier de cet immense désert de froid et de glace jusqu’en décembre prochain haussa d’un cran encore le flot d’adrénaline qui coulait déjà dans mes veines. Nous avions dépassé le cercle polaire, et nous espérions joindre l’île Petermann par le chemin le plus court, la ligne plus ou moins droite du canal Lemaire. L’Ushuaia, brisant dans son élan le tapis de glace miroitant comme autant de provocations au destin, dansait laborieusement sur l’océan, au rythme de l’« Hiver » des Quatre Saisons de Vivaldi que le capitaine savourait tranquillement sur le pont de commande. Pendant ce temps, la glace, reformée, se faisait plus menaçante ; les icebergs, plus nombreux, devenaient plus dangereux. L’image de l’ Endurance, légendaire bateau de Shackleton vaincu par la glace polaire, tempéra nos ardeurs et bientôt nous fîmes demi-tour, au milieu de ce spectacle grandiose de montagnes, de mer et de glace. Personnellement, j’étais déjà déçu du fait qu’auparavant nous n’avions pas rencontré de grosses tempêtes pendant notre voyage. Notre esprit se plaisait donc à exagérer les circonstances du moment et la promesse du danger. Mais voilà que maintenant au voyage de découverte venait s’ajouter l’élément du danger. Finalement l’aventure. À bord de l’« ushuaia » Tout commença par un jour pluvieux de janvier, dans la ville d’Ushuaia, en Terre de Feu. J’embarquai, avec plusieurs amis, à bord de l’ Ushuaia, vaisseau américain qui portait précédemment le nom de Malcolm Baldridge, construit en 1968 et destiné à la recherche océanographique et environnementale. C’était un beau navire, comme sorti tout droit de mon imagination d’enfant. Après quelques jours passés sur le bateau, il était clair que, vu le nombre de fonctions électroniques à bord et après la confirmation implicite des officiers et des ingénieurs, l’Ushuaia avait dû être, dans une autre vie, un navire-espion destiné à suivre les sous-marins soviétiques pendant la guerre froide. L’adrénaline montait déjà. Le nombre de passagers étant limité (66 pour ce périple), le nombre de personnel faisait la moitié de celui des passagers (32). Le voyage penchait donc vers le confortable. Mon groupe d’amis, essentiellement cosmopolite, se mélangeait à un pot-pourri plus large de passagers à l’allure onusienne. Il y avait des enseignants, des scientifiques, des professionnels du tourisme ou encore des businessmen à la retraite. Même cet ancien mécanicien de l’usine Toyota de Nagoya ayant fait le pari de faire le tour du monde en bicyclette était bien à l’aise dans notre communauté. Nous devions aussi approvisionner quelques-unes des bases en denrées inexistantes dans le désert antarctique et nous nous rendîmes compte que les carottes étaient très prisées par les expatriés de l’Antarctique. Le premier temps fort de l’aventure, nous l’avons ressenti en faisant des signes de la main en guise d’au revoir au « practico », marin qui a pour seul et unique travail celui de guider les navires hors du port. Nous étions désormais seuls, face à la mer, direction l’Antarctique… Le premier soir, nous l’avons passé sur le pont de commande, avec les officiers, qui nous ont fait part des légendes entourant le cap Horn, d’informations concernant les cartes, la navigation, la boussole, la météo, les radars, le GPS et j’en passe… Le capitaine Jorge Aldegheri est un officier silencieux et distingué, qui aime naviguer entre les icebergs et éviter les passages périlleux en écoutant de la musique classique, alternant les morceaux selon l’ambiance et l’effet du moment. Un vrai metteur en scène. Le deuxième commandant à bord, le capitaine Juan Ianuzzo, ancien officier commandant du brise-glace Iriza, était aussi de la partie. Avec tant d’icebergs et de glace autour, c’est bon pour le moral. La bête noire des marins Le passage de Drake, au sud du cap Horn, bête noire de tous les marins, était infiniment plus calme que la normale. Grâce à l’habileté du capitaine, nous arrivions à éviter les régions de basse pression à temps et, malgré la hauteur modérée des vagues, ainsi que d’occasionnelles inclinaisons atteignant les 30 degrés, on traversa le passage sans grande encombre. D’autres bateaux, moins (ou plus ?) fortunés que nous n’eurent pas la tâche aussi facile, ayant rencontré des vagues d’une hauteur avoisinant les 20 mètres pendant leur traversée du passage de Drake. Les colères épiques de l’océan, ce sera pour une autre fois… Toujours est-il que nous avons quand même eu droit à certains moments où il nous était impossible de nous tenir debout. Mais voilà qu’autour de nous nagent des phoques, des pingouins, des baleines entre les icebergs, sous les rayons du soleil couchant qui colore en de couleurs chaudes, rouges et mauves le froid bleu de la glace. Voguant plein Sud, finalement en contact avec la terre ferme, nous avions au moins deux excursions quotidiennes dans les îles Antarctiques, ou le continent Antarctique lui-même. Nous débarquâmes dans la baie Paradiso aux alentours de minuit, avant d’escalader les pentes neigeuses surplombant la baie, la clarté du jour encore présente à cette heure. Deux jours plus tard, encore plus au Sud, la lumière du jour brillait en permanence…Nous visitâmes des endroits comme l’ancienne base argentine Almirante (Amiral) Brown, qui a été abandonnée après avoir été intentionnellement brûlée par son propre officier comandant, désespéré à l’idée de devoir passer encore des mois entiers dans la nuit permanente des hivers antarctiques. D’autres bases, comme celle, américaine, de Palmer, ou celle, argentine, de Jubany, d’où nous pûmes envoyer des cartes postales et faire du shopping, jalonnaient aussi notre chemin. Signé en 1959, le Traité de l’Antarctique interdit les convoitises territoriales portant sur ces terres encore vierges et réserve leur usage à des fins pacifiques. Les bases s’adonnent (en principe) à un usage quasi exclusivement scientifique en ce qui concerne, notamment, la recherche sur le réchauffement climatique et l’environnement. Forts des nombreuses excursions en terre antarctique, nous étions devenus rapidement experts de la vie animale qui animait le continent et nous pouvions facilement différencier entre divers genres de pingouins, d’Adélie, Gentoo, Macaroni et autres. Des millions de pingouins habitent l’Antarctique, et il y avait des jours ou je croyais les voir et les entendre tous en même temps. Tout mignons et sympathiques qu’ils soient, les pingouins sont aussi bruyants, bagarreurs et pollueurs. De vrais humains. Tout cela avec un décor de fond de glaciers qui craquent, puis plongent dans la mer dans un bruit de tonnerre, créant de nouveaux icebergs qui commencent leur longue dérive sans but à travers les eaux. Nous étions parfois accompagnés par des baleines, des dauphins, des éléphants et des loups de mer. Ces derniers cohabitent d’une manière plutôt pacifique avec les pingouins, une fois sur terre. Là, le danger principal vient surtout des pétrels géants et des êtres humains. Chaque débarquement devait donc suivre des règles strictes. Le souci de l’environnement et le respect des animaux et leur espace étaient omniprésents pendant tout le périple, de manière à ne pas déranger le délicat équilibre écologique, ou introduire des microbes ou des virus dans cet environnement encore vierge. L’eau de l’Ushuaia, par exemple, qu’elle soit pour boire, se laver, ou refroidir le moteur, venait directement de l’océan après avoir été traitée par osmose. Nous buvions tout droit de l’océan Antarctique ! Une mer de diamants Le climat changeait constamment et il y avait des jours où l’on avait l’impression de voguer sur une mer plate, resplendissante de diamants sous un soleil étincelant, et d’autres jours où le vent glacé soufflait tellement fort qu’on aurait dit que l’océan lui-même grelottait de froid. Un jour, par une chaude après-midi passée sur le pont principal autour d’un grand « asado », nous contemplâmes, éblouis, à partir du navire flottant dans un silence religieux sur l’onde couleur saphir, les icebergs gisant, placides, sous l’ombre de montagnes de granit et la lumière aveuglante des glaciers les surplombant. Devant nous, l’île de la Déception, sommet du cratère et seule extrémité visible d’un immense volcan sous-marin. Nous entrons dans le port naturel de l’île de la Déception à travers les portes de Neptune. C’est un instant digne d’un film, auquel il ne manque que la musique. Maestro Aldegheri s’en charge. La Cinquième Symphonie de Beethoven. Bien choisi. Le capitaine Aldegheri, manœuvrant délicatement son navire dans l’étroite ouverture de la baie des Baleiniers, évite savamment les rochers à peine submergés. Après avoir visité les restes de bâtiments ayant servi aux baleiniers au début du XXe siècle, nous décidons de nous baigner le long du rivage où se mélangent des blocs de glace et l’eau volcanique fumante. Nous nous étendons perpendiculaires à la plage, nos pieds baignant par 4 degrés Celsius, nos épaules par 50, la température moyenne, elle, est parfaite ! Des shots de whiskey nous réchaufferont, vite fait! Après avoir exploré la zone antarctique, nous retournons vers le Nord. Après avoir vu défiler la vie en de seules nuances de bleu, blanc, gris et noir pendant 10 jours, nous retrouvions des îles où de rares taches non gelées laissaient entrevoir le vert fragile de la mousse. Rien de plus ou de moins que le miracle de la vie. Soulagés d’être de retour à la vie normale, nous étions aussi ravis d’avoir été aux confins du monde, ainsi que d’avoir exploré nos propres limites. Alors, pourquoi aller en Antarctique ? Le grand explorateur Français Charcot a déjà répondu à cette question, peut-être le plus simplement du monde, en nommant son navire polaire Pourquoi Pas ? Nabil ROMANOS
Nabil Romanos est un passionné de voyage et d’aventures. Au cours de l’un des nombreux tours du monde qu’il a effectués, il a fait l’expérience magique de l’Antarctique. Dans les lignes qui suivent, il nous relate ses impressions, après ce voyage au bout du monde avec un groupe d’amis.

«Il nous faut rebrousser chemin, dit le capitaine Aldegheri, la glace se reforme...