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Actualités - REPORTAGE

ACCIDENTS DE LA CIRCULATION - Que réserve le réveillon du Nouvel An à la jeunesse du pays ? Entre l’achat du permis et la fraude à la mécanique, la corruption tue sur les routes libanaises

Comme chaque année, la période des fêtes de fin d’année apporte son lot d’accidents de la route, augmentant de manière drastique le chiffre des victimes, déjà très élevé. Selon les chiffres de la YASA (Association des jeunes pour l’éveil social), l’année 2005 a été la plus meurtrière. On est en passe d’atteindre les chiffres fatidiques des 800 morts et 10 000 blessés sur les routes libanaises. Mais les mesures se font toujours attendre. Des mesures qu’il devient urgent de prendre, car les premières victimes sont les jeunes de 18 à 26 ans. Pour le moment, les autorités font preuve d’une grande frilosité dans la gestion du problème. Certes, elles clament haut et fort qu’elles planchent sur le projet de code de la route présenté au Parlement par le député Mohammed Kabbani et réalisé par la YASA avec l’aide d’experts internationaux. Elles assurent avoir recruté 400 nouveaux agents de la circulation qu’elles entreprennent de former, dans la perspective de mettre un peu d’ordre sur les routes. Elles tiennent aussi des réunions régulières pour la gestion du problème. Mais il n’en reste pas moins que la corruption aidant, l’on continue aujourd’hui d’acheter son permis de conduire au Liban, moyennant quelques centaines de dollars. C’est ainsi que sont annuellement délivrés plus de 50 000 permis de conduire. L’on se débrouille aussi, moyennant quelques autres dizaines de dollars, pour esquiver le contrôle mécanique. Il est si facile d’y échapper en louant des pneus neufs dans la boutique d’à côté ou en refilant quelques dollars au technicien de contrôle, pour qu’il ferme les yeux sur une irrégularité quelconque. L’on met sa vie en danger et, surtout, celle des autres. Mais qui s’en soucie vraiment sinon les quelques organismes de la société civile qui tentent désespérément de pousser les autorités à agir au plus vite, car il y a urgence ? Alors que les intouchables mafias, dont il est de notoriété publique qu’elles sont liées à de crapuleux politiciens, continuent de faire main basse sur les deux secteurs. Un simulacre d’examen et puis… mabrouk ! L’accent sera mis, aujourd’hui, sur le permis de conduire. Ce permis qui est l’objet de bien des blagues et qui est devenu la risée de tous. Un permis que l’on achète carrément ou que l’on prétend avoir mérité, à l’issue d’un simulacre d’examen. Et ce, dans la majorité des cas. « Montez en voiture. Allumez le contact. Faites démarrer la voiture. Avancez jusqu’au poteau. Faites marche arrière. Garez-vous maintenant. Éteignez la voiture. Mabrouk, vous avez votre permis. Allez signer votre nom. » L’examen du permis de conduire est d’une facilité dérisoire. Il est tellement facile et tellement rapide qu’il fait carrément penser à L’école des fans où tout le monde gagne. Qu’ils soient convoqués à 6 heures du matin ou à 13 heures, les jeunes savent pertinemment bien que l’examen est une simple formalité qui ne dure, au maximum, que quelques minutes. Sans oublier qu’ils passent l’examen sur une jeep dont l’avance a été traficotée pour qu’elle ne cale pas et que cette formalité se déroule sur une route fermée à la circulation. « Je n’avais jamais conduit une voiture manuelle auparavant », raconte une candidate de 18 ans, qui a passé son permis de conduire à la fin de l’été. Elle raconte, tout en caricaturant la scène : « L’examinateur m’a montré comment enclencher la vitesse. J’ai roulé une vingtaine de mètres en première. Je ne suis même pas passée en deuxième. Il m’a ensuite demandé de faire marche arrière. Je ne sais pas comment je me suis débrouillée pour mettre la marche arrière. L’embrayage a fait un drôle de bruit. J’ai ensuite roulé quelques mètres en marche arrière. J’ai aussi fait un créneau. L’examinateur m’a félicitée. Il m’a demandé de signer mon nom sur le registre avant de se souvenir qu’il ne m’avait posé aucune question théorique. Il m’a rapidement montré deux ou trois signaux, me demandant ce qu’ils signifiaient. J’ai répondu correctement. Il semblait tellement pressé d’en finir. » « Ce jour-là, ajoute la jeune fille, qui n’ose toujours pas conduire sans accompagnateur sur les routes libanaises, une équipe de contrôleurs était sur place. Les examinateurs étaient vigilants. L’examen avait duré en tout et pour tout 5 minutes. » Gros sous Mais les autres jours, lorsque les contrôleurs ne sont pas au rendez-vous, les choses sont encore plus simples, disons carrément pires. L’examen dure encore moins de temps. La majorité des candidats ne passe pas l’examen. Certains s’installent tout juste en voiture et mettent à peine le moteur en marche, avant d’entendre le traditionnel « mabrouk ». D’autres se contentent de se pointer à l’heure due et sont invités à signer leur nom inscrit sur le registre. Ils sont évidemment gratifiés d’un tonitruant « mabrouk » de la part du fonctionnaire de permanence. Il y a enfin ceux qui n’ont pas du tout besoin de se déranger. Leur permis de conduire, ils le recevront à la maison, sur un plateau d’argent. Avec les félicitations d’usage. On imagine les dangers publics que représentent ces nouvelles recrues sur les routes libanaises. Paradoxalement, en dépit de cette apparente facilité, un certain nombre de candidats échouent lamentablement à l’examen du permis de conduire pour des raisons dérisoires : « J’ai juste empiété sur la ligne continue », raconte un jeune homme. « J’ai calé », déplore une jeune fille. « J’ai raté mon créneau », indique une autre. Quelle est l’explication à ces réussites fulgurantes, à ces permis distribués en veux-tu en voilà, alors que, parallèlement, des candidats sont sévèrement recalés, pour des fautes nettement moins graves, selon les standards libanais ? « Tout est question de gros sous, de pots-de-vin », dénonce Ziad Akl, président de la YASA International, indiquant que l’examen du permis de conduire draine énormément d’argent illégal. « C’est simple, raconte M. Akl. Dans la grande majorité des cas, les candidats qui distribuent des pots-de-vin réussissent automatiquement, sans même passer l’examen ou en passant un simulacre d’examen. Ceux qui n’en paient pas sont recalés et doivent repasser l’examen. Ils ne réussiront qu’après avoir graissé la patte des fonctionnaires. » Il précise, en fait, que de nombreux candidats contribuent à la corruption en soudoyant directement des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur. D’autres encouragent cette corruption sans même en avoir conscience, par l’intermédiaire des auto-écoles, bureaux d’apprentissage de la conduite. Bureaux qui n’ont d’autre choix que d’être partenaires dans la machine de corruption, au risque de voir leurs candidats recalés. Ils versent ainsi un certain pourcentage de leurs recettes en pots-de-vin ou demandent aux élèves une contribution supplémentaire destinée à l’examinateur. Parfois, à défaut de donner des cours de conduite, ces mêmes auto-écoles se contentent de jouer le rôle d’intermédiaires et de courtiers entre les candidats et les comités d’examens. Nombre d’entre eux ne possèdent même pas de locaux ou de voitures, ou, au mieux, mettent des voitures déglinguées à la disposition des apprentis, louant les services d’instructeurs non habilités à enseigner la conduite. L’espoir d’un examen pratique, théorique et médical Ainsi, indique, à titre d’exemple, le président de la YASA : « Le tarif officiel de l’examen du permis de conduire est fixé à 265 000 LL et inclut les formalités d’enregistrement, d’examen et même les timbres. Par peur d’échouer, chaque candidat verse au bureau d’apprentissage de conduite ou à l’examinateur une somme supplémentaire d’environ 50 dollars. En cas d’échec, fréquent lorsque le candidat ne s’est pas acquitté de cette somme, il doit repasser l’examen. Le tarif officiel de l’examen de repêchage est de 115 000 LL. Mais le candidat s’en sort rarement sans un supplément de 40 000 à 50 000 LL, condition sine qua non de sa réussite . » Quant au tarif « d’achat » du permis de conduire, il varie entre 200 et 450 dollars, somme déterminée à la tête du client et en fonction du nombre de personnes à soudoyer. Il est difficile, face à cette situation endémique, d’envisager un moyen radical de sortir de l’engrenage de la corruption, d’enrayer, du jour au lendemain, une pratique devenue ancrée dans les mœurs du pays. Car cette corruption fait l’affaire de tous, aussi bien des petits que des hauts fonctionnaires. « Certes, les choses s’améliorent lentement, tient à préciser Ziad Akl. D’un côté, au niveau des autorités, on assiste à une réelle prise de conscience de la priorité du problème. D’un autre côté, graisser la patte à un fonctionnaire n’est plus systématiquement une garantie de réussite au permis de conduire. Il arrive donc que des candidats échouent parce qu’ils n’ont pas les compétences nécessaires. » M. Akl indique aussi que, de son côté, le syndicat des auto-écoles travaille d’arrache-pied pour améliorer le niveau des instructeurs et enrayer la corruption à ce niveau. Mais un énorme travail reste à faire. « Le meilleur moyen d’en sortir, observe Ziad Akl, serait pour l’État de hausser le niveau de l’examen du permis de conduire et d’ajouter à l’examen pratique des examens médicaux et théoriques. » Cet examen devrait aussi se dérouler dans « des conditions réelles, autrement dit en plein trafic routier ». L’État devrait également « engager des examinateurs expérimentés, habilités à juger du niveau des candidats et qui n’ont aucun lien familial ou professionnel avec les propriétaires des auto-écoles. D’autant plus que les actuels examinateurs ont été jugés inaptes à faire passer les examens par l’Inspection centrale ». Ce n’est qu’à partir de ce stade que des auto-écoles de bon niveau ouvriront leurs portes au Liban. Les candidats recevront alors un réel apprentissage, non seulement pratique, mais aussi théorique. Un apprentissage qui devrait aller dans le sens du projet de code de la route et, notamment, d’un permis à points, préparé par la YASA, avec l’aide d’experts internationaux, et qui est actuellement en cours d’étude au Parlement, alors que l’association se prépare à publier un livre sur le code de la route, dès janvier prochain. Mais il n’en reste pas moins que 50 000 conducteurs novices, représentant autant de dangers publics, sont annuellement jetés sur les routes. Et que l’on assiste à une recrudescence des accidents et à l’augmentation dramatique du nombre de victimes. Il reste à espérer que la soirée du Nouvel An ne sera pas meurtrière. Et que les jeunes ayant consommé de l’alcool durant le réveillon opteront pour la sagesse et s’abstiendront de conduire. Mais encore faudrait-il qu’une campagne de prévention soit menée dans ce sens par les autorités, ou même la société civile, avant que le nombre des victimes de la route n’atteigne de nouveaux records. Anne-Marie EL-HAGE


Comme chaque année, la période des fêtes de fin d’année apporte son lot d’accidents de la route, augmentant de manière drastique le chiffre des victimes, déjà très élevé. Selon les chiffres de la YASA (Association des jeunes pour l’éveil social), l’année 2005 a été la plus meurtrière. On est en passe d’atteindre les chiffres fatidiques des 800 morts et 10 000 blessés...