2005 Annus Horribilis
2005 : l’année des funérailles d’hommes qui ont servi leur pays et que le pays n’oubliera jamais.
Parmi eux, Bassel Fleihan, Samir Kassir et Gebran Tueni, trois jeunes à qui la vie avait donné le choix entre revenir après la guerre dans un pays détruit ou s’envoler vers des horizons plus sereins et gratifiants. Ils ont tous fait le choix, avec ce que cela nécessite de volonté et de passion, de rentrer au pays.
Ils ont en commun d’être brillants, hors du commun, désireux de servir leur pays, possédant une vision quant au chemin à suivre pour construire l’État que les Libanais veulent : un État de droit, libre, démocratique, indépendant ; un État prospère, moderne et sûr.
Ils ont en commun de n’avoir eu ni les mains ni le cœur souillés par la guerre.
Ils ont en commun d’incarner nos idéaux. La jeunesse libanaise, à une très grande majorité, s’identifie à eux. Ils sont nos héros et nous sommes fiers qu’ils portent haut et fort notre voix.
Les lâches qui les ont éliminés s’imaginaient anéantir le Liban. Mais justement, non !
Non, parce que Bassel, Samir et Gebran resteront dans nos cœurs mais aussi et surtout dans nos esprits. Nous leur promettons de ne pas baisser les bras et de doubler d’acharnement pour construire un pays où il est bon et juste de vivre.
Non parce qu’un peuple qui a donné dans son histoire récente des hommes comme Ghassan Tuéni et Fouad Siniora, pour qui je ne trouve pas de mots assez forts pour exprimer tout mon respect et mon admiration, et pour ne citer qu’eux parmi les vivants, est un peuple qui ne meurt pas.
Non, parce que le peuple libanais est viscéralement attaché à la liberté. Elle coule dans nos veines, contrairement aux lâches qui, eux, font couler le sang !
Carol KHOUZAMI
Bonne nuit, Gebran…
Le 14 décembre, par un jour ensoleillé, les cercueils de Gebran Tueni et de ses camarades sont amenés à l’église de Mar Mitr, en présence de dizaines de milliers de Libanais, toutes religions confondues, soudés dans la douleur et unis dans une juste colère. Une foule venue rendre un dernier hommage à celui qui était considéré comme l’un des artisans de l’indépendance nationale enfin retrouvée.
Voilà donc plus de vingt ans que le nom de Gebran Tuéni est associé au combat que le Liban mène pour sa liberté, voire sa survie. Il n’aura assisté que partiellement à la résurrection de la patrie. Puisse sa mort donner naissance au Liban qu’il voulait, un Liban issu de ce 14 mars qui fut en partie son œuvre et qu’il symbolisa et anima ; et puisse son sang cimenter encore plus la jeunesse libanaise qu’il a tant aimée et qui, aujourd’hui, monte une garde humble et solennelle devant son corps, gardienne du serment. Cette jeunesse est prête aux sacrifices les plus grands. Éparse et anarchique, elle n’était qu’un désordre de courage qu’il a su galvaniser et organiser pour en faire une fraternité.
Gebran Tueni n’a nul besoin d’une gloire usurpée, ce n’est pas lui qui a créé les nombreux mouvements qui ont fait le 14 mars ; mais c’est lui qui a rassemblé les jeunes et c’est lui qui a vu dans l’unité de la jeunesse le moyen capital du combat pour l’indépendance de la nation. En demandant à la foule rassemblée sur la place des Martyrs en ce matin où tout était encore possible de n’attacher que peu d’importance aux opinions politiques ou religieuses lorsque la patrie est en danger de mort, c’était certainement proclamer la survie du Liban. Il le paiera de sa vie.
Va, Gebran Tueni, va chez les tiens, tous ceux qui sont morts pour que vive notre pays, ils t’attendent. Va, et bonne nuit…
Eddy TOHMÉ
Cri de guerre
Libanais, j’habite en France depuis cinq ans. J’ai une cousine qui s’appelle Raïssa el-Esper, d’une mère française et dont le père est mon oncle. Raïssa n’a jamais habité au Liban et elle ne parle pas l’arabe, mais elle adore notre pays où elle se rend tous les ans.
On lui a demandé à l’école d’écrire un poème sur une situation tragique dans le monde et elle a décidé d’écrire sur la situation au Liban le poème suivant, qu’elle a intitulé « Cri de guerre » :
Monsieur l’assassin
Je vous écris ce jour
Une lettre qui pour toujours
Condamne vos actes inhumains
Je viens d’apprendre il y a une heure
Par l’intermédiaire d’al-Jazira
Ce nouvel odieux attentat
Dont vous êtes l’instigateur
Espèce d’infâme terroriste,
Êtes-vous donc insensible ?
Comment vous est-il possible
De rendre tant de gens tristes ?
Je vous écris en hommage
À mon bien-aimé cousin
Mort un orageux matin
Fauché dans la fleur de l’âge
Il a succombé soudain
Comme tant d’autres innocents
Dans la capitale du Liban
À votre plan assassin
Les jeunes enfants ont aussi peur
Que vos divergences politiques,
En répandant peur et panique,
N’atteignent l’un des leurs
Faire exploser des voitures
Et les transformer en bûchers,
C’est l’une de vos spécialités
Monsieur l’artisan de sépultures
Cessez de tuer les innocents
Cessez de citer Dieu
Dans vos actes mafieux
Cessez dès à présent !
Après tous ces meurtres commis
Parvenez-vous encore à dormir ?
Pour nous avoir fait tant souffrir
Vous et vos sbires, soyez maudits !
Vœux de fin d’année
Dans ces moments tristes qui clôturent 2005 et annoncent l’année nouvelle, je veux croire avec vous dans l’avenir de l’humanité. Je ne veux pas me laisser gagner par un pessimisme de circonstance qui veut que les hommes sont incapables de faire une terre plus belle, un Liban plus beau. Je ne souhaite pas rejoindre ceux qui prophétisent le retour de la nuit. J’affirme avec foi que la paix et la fraternité un jour deviendront réalité. Vérité et amour auront le dernier mot, ce que nous osons affirmer chaque jour devant l’hypocrisie et la violence qui nous environnent. Tous ensemble, avec et surtout nos enfants à qui nous avons confié notre cher pays, nous voulons croire que l’espoir n’est pas un mot vidé de sens. Pour cette Noël, au-delà d’un temps de cadeaux, au-delà d’un temps de réunions familiales, au-delà d’un temps de bombance, au seuil de cette année à venir, en ces moments où l’on formule des vœux, je veux formuler le souhait suivant : que pour chacune de nos douleurs se lève une tendresse, que pour chaque misère se lève l’amour, que pour chaque colère se lève l’espoir de paix, que pour chaque détresse se lève la bonté, que pour notre Liban nous restions unis jusqu’à ce que la mort nous sépare.
Jocelyne SFEIR
Dole - FRANCE
Saint Georges, où es-tu donc?
Ô patron de Beyrouth, ne vois-tu pas ce qui arrive à la capitale que tu as jadis délivrée ?
Le pays du Cèdre est le théâtre d’assassinats successifs de ses penseurs et politiciens. Depuis plus d’un an, tous les quelque temps, des mains criminelles anéantissent nos grands hommes. Et la chaîne continue, elle ne veut plus s’arrêter. Tous les jours, nous nous demandons qui sera le suivant. Cela rappelle les Dix petits nègres d’Agatha Christie.
Ô patron de Beyrouth, viens donc à notre secours. Dressé sur ton cheval blanc, tu as autrefois abattu le dragon. Tu l’as transpercé de ta lance, pour délivrer la côte libanaise de cet anthropophage qui réclamait tous les jours une victime humaine…
Ô patron de Beyrouth, les dieux sont-ils contre nous ? Nous sommes dans un gouffre profond.
Reviens ! Il n’y a plus que toi pour nous délivrer, encore une fois…
Nous te supplions, viens, et ne tarde pas.
Antoinette Joseph KHAIR
Notre union fera notre force
Dans le triomphe de la mort, la souffrance est si grande que tout devient dérisoire. Cette aigreur si âpre et si cruelle dévaste tout sur son chemin. C’est une hantise redoutable, un oubli profond, une fin inévitable.
Dans la longue marche de l’humanité, il est de grands hommes, comme toi, Gebran, qui vivent pour de nobles causes comme le droit d’un peuple à la vie. Ils se battent avec courage pour faire entendre leur voix et faire prévaloir sans concession la liberté, la vérité, l’indépendance. Cette tâche est dure dans un pays où la corruption est coutume. Leurs départs se font dans l’honneur, auréolés de gloire, admirés et aimés de tous. Ils laissent derrière eux des cœurs brisés, des regards tristes. Ils laissent aussi des rêves inachevés et un message clair : « À vous de continuer, à vous de prendre la relève. »
Mais ne nous leurrons pas, notre perte est grande et le chemin à suivre reste difficile. Gebran, tu as laissé dans nos cœurs de l’amertume, un vide terrible, la peur du lendemain.
Comment se redresser malgré les maintes embûches, comment reprendre le chemin de la libération après de tels coups ? Où puiser notre force quand les crimes se succèdent, deviennent banals et permettent à des ignobles de prédire d’autres encore ? Comme si notre terre est maudite, comme si nos malheurs ne touchent plus personne et comme ce cruel destin était inévitable. Après trente années de guerre, de sacrifices et de faux espoirs, il est dur d’accepter une telle réalité.
Aujourd’hui, notre Liban est meurtri, il est endolori, il pleure ses chères victimes. Une seule et unique solution : notre union fera notre force.
Andrée SALIBI
La douleur d’une perte
Ça fait mal au corps quand on tombe
Ça fait mal aux oreilles d’entendre une bombe
Ça fait mal aux yeux de voir quelqu’un partir
Ça fait mal au cœur de savoir qu’il ne va pas revenir
La douleur de perdre quelqu’un qu’on aime
Est une douleur plus grande que n’importe quelle migraine
Cette douleur est si incomparable
Qu’elle est inexplicable
Perdre un fils ou perdre un ami
Perdre un père ou même un mari
Ça brise le cœur et casse l’espoir
Parce que tout ce qui reste est une mémoire
D’une personne qui nous a tellement touchés
Que la nouvelle de son décès nous laisse bouche bée
Mais en même temps ça nous rend fort
Parce qu’on veux continuer
Ce que cette personne a commencé
Avant sa mort
Mon ami n’est plus avec moi
Mais malgré tout je garde la foi
Ainsi le Liban restera uni
Et poursuivra l’œuvre de Rafic Hariri
Et de Gebran Tuéni.
Amanda DUFOUR
13 ans et demi
Martyr de la plume
Ils ont cru étouffer la vérité
Incarnée en la personne du député
Ils ne savaient même pas
Que son âme embaumera
La terre de gloire et de lumière.
Le jeune coq va toujours déifier la terre
Gebran Tuéni ne s’est pas tu
Sa voix haute et forte
Est loin d’être morte.
C’est la voix de la liberté
Poussant les Libanais à la solidarité
Gebran est ce citoyen du pays des mots
Ce rêveur de terre
Accueilli à bras ouverts,
Par Nadia, Makram et Nayla
Dans le royaume de l’au-delà.
Rita KASSIS
Aux martyrs de la paix
À la veille de Noël, le spectre de la mort hante et assassine sans merci depuis octobre 2004.
À la veille de Noël, fête de joie et de paix, ces fantômes sèment la tristesse et la terreur.
À la veille de Noël, on nous dit que ce n’est pas encore fini.
Cette Noël pour certains ne sera pas joyeuse, car leurs bien-aimés sont désormais au royaume des cieux.
À la veille de Noël, je voudrais saluer le courage de ces familles à qui on a arraché les leurs, ces martyrs de la paix, devenus les gardiens de la liberté qu’on n’oubliera jamais.
Dania TYAN
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