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Œnologie - Dégustation de vins de Saint-Émilion et de Pomerol de la famille Moueix Les grands crus, ou comment flatter en même temps le palais et l’ego

Une dégustation-conférence sur les vins de Pomerol et Saint-Émilion, organisée par la maison de vin Enoteca, a été donnée par Christian Moueix, président directeur général de la maison de négoce Jean-Pierre Moueix, fondée par son père en 1937, à Libourne. Une entreprise également propriétaire et gérante de plusieurs exploitations viticoles en France. C’est autour de six vins de la maison Moueix, dans le grand millésime 1998, que s’est faite la dégustation. Une centaine d’invités de marque, dont des viticulteurs, quelques connaisseurs et de nombreux amateurs ont ainsi eu le privilège de déguster des Châteaux Magdelaine, La Grave, Lagrange, La Fleur-Pétrus, Trotanoy, le point d’orgue de la conférence étant indiscutablement le Château Pétrus 1998. Un vin aussi prisé que rare, dont la dégustation flattait non seulement le palais des convives, mais aussi leur ego. Un zeste de poésie, un brin d’humour, l’amour charnel des grands vins et de la passion à en revendre : Christian Moueix prend un réel plaisir à parler de ses vins. Un plaisir partagé par les convives qui ne se privent pas d’intervenir, de donner leur avis, de comparer les vins, d’essayer aussi de comprendre comment se font les grands crus. « Les viticulteurs se heurtent à deux grandes difficultés, note M. Moueix, contrôler la qualité et vendanger le jour J ». « Mais les plus grands crus du monde sont généralement le fruit d’un accident », constate-t-il néanmoins, racontant ainsi l’histoire du Château Pétrus 1961. À la période des vendanges, la propriétaire du domaine était mourante. C’est donc le père de Christian, Jean-Pierre Moueix, futur propriétaire du domaine, qui les a conduites, avec l’aide du jardinier. Quant à la fermentation, elle s’est faite avec un an de retard. Château Pétrus 1961 figure aujourd’hui parmi les grands crus du monde. M. Moueix ajoute aussi quelques convictions personnelles, qui ne manquent pas de contredire certaines théories bien ancrées : la température constante d’une cave peut être considérée comme un léger défaut. Car le vin est un produit vivant. Il a besoin de variations de température. Faire confiance à son goût L’ambiance est à la détente et le plaisir va crescendo. La qualité des vins aussi. Le viticulteur se met à la portée de son public, majoritairement constitué d’amateurs. Pour décrire ses vins, «uniquement des rouges», Christian Moueix multiplie les substantifs. Il parle de subtilité, de vivacité, d’harmonie, de souplesse, de couleur, de tenue. Il joint le geste à la parole, se faisant aussi aider de son épouse lorsqu’il en perd les mots : « Les femmes sont d’excellentes dégustatrices », dit-il comme pour s’excuser. Pour décrire ses propriétés, il parle aussi d’amour. « Il est difficile de donner le même amour à toutes les propriétés », indique-t-il, expliquant la raison qui a poussé la famille Moueix à se séparer de la propriété de Fronsac et à garder les domaines de Saint-Émilion et de Pomerol. La dégustation commence donc par un Château Magdelaine, Saint-Émilion, 1er grand cru classé B, 1998, dont la propriété, de 11 hectares environ, appartient à la famille Moueix depuis une cinquantaine d’années. « Chacun a sa propre appréciation d’un vin », dit-il, invitant le public à faire confiance à son goût. «D’un beau rouge profond, en pleine jeunesse, il a une petite odeur de moisissure, l’odeur des caves de Saint-Émilion», explique M. Moueix, précisant que cela n’est pas nécessairement un défaut. « Subtil, doté d’une petite vivacité, gage de bonne tenue, il a une belle structure tannique, une bonne harmonie. Il manque toutefois de souplesse », poursuit le viticulteur. « Il faut au moins 10 ans pour un bon Saint-Émilion », précise-t-il, ajoutant que le Château Magdelaine 1998 est un vin à la belle complexité, mais qui est encore loin de son apogée. « Il faut attendre quelques années avant de le boire », lance-t-il enfin, à l’issue de cette première dégustation. Place maintenant aux vins de Pomerol. Une région divisée en trois zones, selon la qualité des sols. À l’extrême gauche, la zone basse est caractérisée par un sol sableux. Elle donne donc des vins qui manquent un peu de caractère. Les terrains du nord-ouest et du sud forment la ceinture : une zone aux sols à la fois sableux et un peu graveleux, qui donne des vins de bonne qualité. Le plateau, à l’extrême droite, a la forme d’une main. Il est constitué de sols graveleux et produit de grands vins. C’est dans deux propriétés voisines de la ceinture, zone entourant le plateau, que sont produits les deux Châteaux La Grave et Lagrange. « Nous goûterons ces vins deux par deux, pour pouvoir effectuer une comparaison, précise M. Moueix. Ce sont deux vins de caractère qu’il est difficile de comparer ». Le Château La Grave, classé A, vient d’une propriété jeune, âgée seulement d’une quinzaine d’années. Une propriété d’une superficie de 9 hectares, située sur le versant ouest de la ceinture, sur un sol purement graveleux. Le silex qui chauffe pendant la journée est la cause de la maturité précoce de ce vin à la belle couleur rouge. « On sent le caillou, la densité de la chaleur. Quant à sa structure, elle est légère, élégante. » Une légèreté qui vient de la faible teneur en alcool de ce vin, 13 degrés d’alcool seulement. « Ce n’est pas une bête à concours, poursuit M. Moueix, mais il est agréable à boire, il a du charme. Il est tout en finesse, telle une sonate », poursuit-il, évoquant également son petit caractère floral. Les convives sont invités à goûter au Château Lagrange. « Plus dense, plus lourd, plus rustique aussi que le Château La Grave, mais moins linéaire. Peut-être aussi moins raffiné, quoique plus caractéristique de la région de Pomerol », note Christian Moueix. La musique pour décrire le vin La tension monte. Les convives piaffent d’impatience devant les deux prochains vins, les Châteaux La Fleur-Pétrus et Trotanoy. Le Château La Fleur-Pétrus est issu d’un sol de grosse grave, sur une propriété de 13 hectares, agrandie de 4 hectares, il y a quelques années, et dont la qualité s’est paradoxalement améliorée. « Un vin d’une belle couleur rouge un peu ambrée, généreux en alcool, et qui présente à l’odeur une petite note de cuir, symbole de finesse », décrit le viticulteur. Quant au Château Trotanoy, produit d’une propriété de 7 hectares constituée d’un mélange d’argile et de grave, c’est un vin très prisé, dont 1 500 à 2 000 caisses sont vendues chaque année. Un vin qualifié par M. Moueix de « dense, épais, profond, carré, massif, fruité et complet aussi ». « Un vin magnifique, qui a de l’ampleur, qui vieillira bien », remarque-t-il à l’intention des collectionneurs. Christian Moueix ne se prive pas d’utiliser des termes musicaux. « Château Trotanoy est une symphonie, observe-t-il. Dans une dizaine d’années, il sera génial. » Le clou de la dégustation est indiscutablement le Château Pétrus 1998, un vin très rare qui compte parmi les grands crus du monde du XXe siècle. « Un des meilleurs vins produits par la maison et qui frise la perfection », estime le viticulteur avec modestie. « D’un rouge profond, il a la senteur du cassis. Au goût, il est si puissant et si dense qu’il vibre littéralement », observe M. Moueix. Et de raconter, souvenirs à l’appui, les vendanges de 1998 à Château Pétrus. « Tout s’est alors tellement bien passé, qu’on sentait le millésime », se souvient-il. Il tient cependant à désacraliser le Château Pétrus. Il parle de hasard, évoque la chance, l’intuition aussi. Une intuition qui a certainement joué un rôle de taille, notamment dans le choix de la date des vendanges, fixée par lui-même. Résultat, celles-ci se sont déroulées en 4 jours, juste avant un puissant orage. « Cette année 1998, la rive droite, qui a vendangé avant l’orage, a eu un net avantage sur la rive gauche », raconte-t-il aussi, tout en menant la dégustation, comme pour expliquer que tous les éléments ont été favorables à la production de ce grand cru. Car il n’est pas téméraire de parler de grand cru : des 24 000 bouteilles de Château Pétrus produites en 1998, il ne reste plus aujourd’hui que 180 bouteilles, dont la valeur avoisine les 3 000 dollars la bouteille. Une dépense bien dérisoire lorsqu’on a la passion des grands vins. Anne-Marie EL-HAGE
Une dégustation-conférence sur les vins de Pomerol et Saint-Émilion, organisée par la maison de vin Enoteca, a été donnée par Christian Moueix, président directeur général de la maison de négoce Jean-Pierre Moueix, fondée par son père en 1937, à Libourne. Une entreprise également propriétaire et gérante de plusieurs exploitations viticoles en France. C’est autour de six vins de...