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L’hommage à Gebran Tuéni

Écoutons-le En quelques mots et devant le cercueil de son fils Gebran, Ghassan Tuéni s’est imposé encore une fois, mais dans une circonstance de malheur singulier et ultime. Réclamer la tolérance dans la douleur en invoquant le martyre de son fils constitue un appel à chaque Libanais à avoir foi dans la capacité d’améliorer le monde dans lequel nous vivons. Nous améliorer dans la tolérance, voilà une bien belle mission que Ghassan Tuéni a voulu nous confier en un moment suprême entre tous. En nous disant l’essentiel, il a voulu en même temps nous encourager à resserrer les rangs, à tirer un profit moral de la souffrance et à tenter de purifier le climat politique libanais. Essayons de l’entendre dans la gravité de ses mots et de ne pas l’oublier dans la douleur de son geste. Tatiana MALLAT Fidélité à la Croix Ce jour-là, face aux hommes qui pleuraient leur héros, vint l’homme qui éveilla les consciences, qui secoua les Libanais dans leur deuil stérile. Il prononça des mots venus de livres inconnus, des mots nouveaux puisés dans la richesse d’une âme sculptée à coups de drames, façonnée par un sage artisan très exigeant : la douleur. Alors que les Libanais se tuaient à coups de pourquoi, Ghassan Tuéni vint réclamer la fidélité à la croix qui n’a de sens que dans la résurrection ! L’homme, sans doute, était convaincant. Loin de faire des discours, des sermons ou même des oraisons funèbres, il témoignait simplement d’un christianisme bien vécu en Orient. Son fils, « un ange, imprudent voyageur qu’a tenté l’amour du difforme », comme disait Baudelaire, « descendant sans lampe, au bord d’un gouffre dont l’odeur trahit l’humide profondeur, d’éternels escaliers sans rampes », s’est remis au Dieu éternel et à sa tendre mère Marie. Ainsi, entre le père et le fils s’installa un dialogue, une communion qui couronnait le sacrifice du fils. Le père, dans son infatigable combat pour la liberté, se présentait cette fois en héritier, en successeur d’un patrimoine riche de promesses, de combats. Une quête d’une quelconque justice, ô que vaine ! La justice que l’homme entendait réclamer n’est pas de ce monde. Elle appartient au monde où vivent les purs, les âmes éternellement libres. Ainsi l’homme se projette dans ce monde-là, pour donner aux hommes assoiffés de justice, de vérité, un avant-goût de l’aventure éternelle. Plus d’excuses cette fois à la résurrection d’un pays, d’un peuple, qui porte en lui les germes d’une renaissance, d’une révolution inachevée. Les justes seraient en droit de dire : Beyrouth, fille aînée de la liberté en Orient, qu’as-tu fait de tes baptêmes de sang ? Mona FARHAT Jusqu’à quand ? Jusqu’à quand devrons-nous attendre pour voir enfin un Liban indépendant ? Jusqu’à quand encore des têtes devront-elles tomber pour que le vent de la liberté puisse enfin souffler sur notre pays ? Jusqu’à quand encore les Libanais devront-ils se terrer chez eux chaque fois que de fausses rumeurs circulent en ville ? Jusqu’à quand encore devrons-nous nous réveiller avec l’horreur comme réveille-matin ? Jusqu’à quand encore devrons-nous voir des mères et des filles pleurer leurs parents ? Jusqu’à quand enfin ne marcherons-nous, place des Martyrs, que pour pleurer nos morts ? Après trente ans d’occupation syrienne, il est grand temps que tout cela cesse. Maurice Druon a dit : « Les tragédies de l’histoire révèlent les grands hommes, mais ce sont les médiocres qui provoquent les tragédies. » Georges GHARIOS À Nayla Tuéni Nayla tu ne me connais pas. Je t’ai côtoyée anonymement durant ces tristes derniers jours. J’ai ressenti pour toi un élan de sympathie et une grande admiration. J’ai retrouvé en toi ce qui fait la grandeur des Tuéni. Tu as réussi, malgré ton immense douleur, à nous redonner de l’espoir. Il nous fallait à tout prix retrouver une lueur dans les ténèbres où la mort de Gebran nous avait plongés. Ton courage et tes paroles ont été cette lumière. Nous avons entrevu un avenir où des jeunes comme toi reprendront le flambeau. C’est vous la relève qui sauvera le Liban. Tu es parfaitement à ta place au Nahar et le seras au Parlement. Ne dis pas que tu es trop jeune... Je te fais confiance, tu as tout ce qu’il faut pour réussir. Nous avons besoin de beaucoup de jeunes comme toi. Je suis sûre qu’il y en a qui referont le pays. Et Gebran n’est pas mort. Ses idéaux continueront à nous soutenir. Sa voix continuera à résonner en nous. Son serment continuera à nous guider. Et son esprit restera à jamais parmi nous. M-C SARADAR Une inspiration pour les jeunes De très belles choses ont été dites sur le martyr Gebran Tuéni. Le plus important à mes yeux étant de continuer ce que le martyr a commencé. C’est là le plus beau des hommages. Je me souviens de notre rencontre, il y a de cela quelques mois, juste avant l’assassinat de Rafic Hariri, quand Gebran m’avait dit de façon prémonitoire : « Paul, vous les jeunes, vous devez prendre l’initiative, n’attendez plus tel ou tel politicien, vous êtes des jeunes instruits, pleins d’idéaux, vous n’avez aucune tache de sang sur les mains, il est temps que vous agissiez. » Il s’était dit prêt à mettre son journal à notre disposition pour faire circuler nos idées, qui étaient d’ailleurs les siennes : le combat pour le Liban et ses fils uniquement, pas pour telle communauté ou tel leader. Pour la citoyenneté et l’appartenance à un pays. Pour un programme politique et social de redressement. Il s’était dit déçu de toute la classe politique, y compris de lui-même. Je me vois aujourd’hui investi de son message et de sa vision pour le Liban. Son martyre pour le Liban doit servir d’inspiration pour les jeunes Libanais assoiffés de changement. Paul SAWAYA La souffrance violée Un peu de pudeur, les médias ! Il est inadmissible de commercialiser la peine des autres, de s’immiscer dans leur vie privée. Que vous retransmettiez sur nos petits écrans minute par minute le rituel des funérailles et les condoléances chez les Tuéni, que vous fassiez inlassablement des zooms-in agressifs toutes les fois qu’une personnalité se pointe à l’église, je veux bien ; que vous nous serviez tous les soirs des talk-shows sur toutes nos chaînes devenues forcément redondantes, passe encore ; mais que vous mettiez un fer rouge sur une blessure non encore cicatrisée, cela est révoltant. Nayla Tuéni a prononcé, le jour des funérailles, un discours qui est allé droit à nos cœurs. Mais fallait-il la prendre en gros plan pendant qu’elle s’agrippait au caveau familial et que les secouristes de la Croix-Rouge tentaient de l’en arracher ? L’homme, de par sa nature de voyeur, aime ce genre de scénario pour mieux pleurer l’autre et surtout pour mieux « se pleurer lui-même ». Donc, il n’est nul besoin de lui donner encore plus de matière à se flageller de façon masochiste. Et que dire des enfants de MM. Flouti et Mrad, que l’on invite à la télévision soi-disant pour leur donner le moyen de mieux exprimer leur douleur, et qu’on leur sort d’un ton faussement inquiet des questions du style : « Quel est le dernier mot que tu as dit à ton papa avant qu’il ne meure ? » « S’il était encore là, qu’est-ce que tu aurais réclamé comme cadeau de Noël ? » Ou encore de leur sortir : « Ton père est là haut, c’est un ange, il te protège … » Laissez ces enfants vivre leur deuil en paix ! Lina SINNO Pauvre Liban ! De terreur en terreur, de drame en drame, d’enterrement en enterrement, notre cher Liban, pays otage de la haine et de la jalousie de ses voisins, convoité même dans ses périodes les plus sombres, ne finit pas de pleurer ses martyrs, sacrifiés, à un prix trop élevé, au nom de l’indépendance et de la liberté. La formule est la suivante : à peine soulagé de ses peines, et l’activité touristique relancée, le pays doit s’attendre à de nouvelles vagues d’attentats terroristes, entraînant désespoir, tristesse et manque de confiance dans l’avenir économique et politique. Une vraie catastrophe. Le peuple n’en peut plus ; il est à cran, les investisseurs et les hommes d’affaires aussi. Ajoutez à cela une tension politique accrue, issue d’un gouvernement hétéroclite et stérile, aux décisions annihilées à cause des terribles tiraillements et dissensions entre les différents protagonistes, un gouvernement incapable d’assurer un minimum de sécurité, bien qu’il ait l’appui du monde entier, et l’on aboutit à un espoir de solution rapide et salvatrice qui rétrograde de jour en jour. Pauvre Liban ! Walid ABOU SAMAH Le droit à la vie Cette année, j’étais hésitante quant à ma lettre au père Noël. Dois-je lui demander un cadeau ou la paix pour mon pays ? À un certain moment, je me posais la question suivante : comment Jésus-Christ mènera-t-il son chemin de paix, d’amour et de pardon dans un climat pareil ? Y aura-t-il un vrai Noël, ou rien que des vendredis saints ? Alerte à tous les acteurs du monde : mon pays attend le jour de sa résurrection. « Il suffit d’enterrer un martyr pour assister à l’assassinat d’un autre et se poser la question : quelle sera la prochaine proie ? » s’interroge le patriarche Sfeir. Dans un monde sans vie, la mort est plutôt rassurante. Quinze assassinats et tentatives d’assassinat, en moins d’un an, visant des politiciens, des journalistes et la sécurité en général. Jusqu’où ira-t-on dans ces crimes et explosions sans pour autant être en état de guerre ? Alors que la vie nous semble une mort en soi. Comme si le futur disait au présent : tu es un homme mort. Des rumeurs, des prédictions et des listes de personnes ciblées dans des attentats. Une population qui essaye d’oublier, de mettre de côté et de pardonner. Une population qui veut se remettre sur pied. Enfin respirer la liberté et l’union nationale. Cette population a-t-elle droit à la vie et à la liberté d’expression ? Pourra-t-elle vivre en paix ? Est-ce pour leur excès de patriotisme et sans contrepartie que nos hommes ont donné, donnent et, paraît-il, donneront encore leur vie ? À ceux qui estiment que la puissance de la parole doit être détruite avec la disparition de Gebran Tuéni, je dis : vous vous trompez et ce martyr est mort libre, souverain et indépendant. Roula Iskandar KERBAGE Sur la bonne voie Pardon à tous ceux qui sont dans la tristesse ,mais la bonne question n’est pas du tout de savoir si oui ou non les Libanais sont prêts à mourir en martyrs. Voyons, êtes-vous en guerre contre un occupant ? Le Liban n’est-il pas un pays indépendant et pacifique ? Alors qu’attendez-vous pour agir en tant que tel et vous doter de l’appareil gouvernemental qui sied à cette situation ? Personne ne doit être prêt à mourir dans un tel pays,c’est un non-sens,une aberration, un résidu de votre histoire qu’il faut gommer du vocabulaire tant est fort le contenu inconscient de martyre et l’impact incitatif qu’il véhicule. Reprenez-vous et protégez-vous. Vous avez plein d’atouts ; courage, vous êtes sur la bonne voie. Jacqueline PETMEZAK La rue se remet en marche Aujourd’hui¸ la rue se remet en marche, au nom de valeurs qui font le Liban, sans penser à demain ou au passé. De quoi demain sera fait ne compte plus ; il nous faut aujourd’hui vivre nos valeurs, en nous démarquant, en forçant la main de notre destin, en affirmant ce en quoi nous croyons, en disant haut et fort qui nous sommes, et quelles sont les valeurs qui nous animent. Nous voulons arrêter l’histoire pour crier au monde notre identité. Le rassemblement de la place de la Liberté est un rassemblement pour tous, toutes religions, toutes tendances politiques, tous pays confondus. Ce rassemblement se veut être celui de la conscience de l’humanité. Un rassemblement qui dépasse toutes les idéologies. Un mai 68 à vocation universelle, un printemps de Prague. La vrai portée de nos martyrs et des jeunes qui poursuivent leur message est celui de la dignité des hommes avant tout. Aujourd’hui, un génocide sélectif est commis, contre ceux qui défendent un seul message, celui de la protection de notre dignité et de notre humanisme. Le Liban défend aujourd’hui des valeurs universelles qui sous-tendent tous les partis, toutes les religions, qui ont pour philosophie la dignité de tous. L’histoire fait une pause ; elle attend le verdict du monde dit civilisé. Nous menons la bataille au nom de cette même histoire. Une bataille de longue haleine, sans compromis. Jean-Claude DELIFER Montréal, Canada La souffrance du Juste De l’autre côté, de très loin, d’un monde parallèle digne des tragédies antiques grecques, de ce brouillard ténébreux, surgit une lumière. Sommes-nous déjà dans la phase apocalyptique de notre existence ? Est-ce vrai que le Juste doit toujours souffrir pour que tous les autres sortent à la lumière ? N’y a-t-il pas d’autres issues à la liberté que le martyre ? Apparemment il n’y a pas d’autre chemin, alors tu l’as pris. Ce garçon, que nous avons connu au Lycée Franco-Libanais de Beyrouth dans les années 60-70, personne ne pouvait imaginer qu’un jour, il deviendrait le héros de cette tragédie des géants libanais de la nouvelle et véritable indépendance. Il s’en va rejoindre un autre lycéen, Samir Kassir, pour nous préparer, comme l’a superbement dit Mgr Khodr, une place dans le Festin de l’Époux. Il y a deux ans, nous avions commencé un travail de recherche pour reconstituer un groupe de la promotion 1975, cette fameuse et triste année où nous nous sommes séparés sans nous dire au revoir. Et c’est justement cette année 2005, après trente ans, que nous avons pu réunir, pour la première fois, quelques-uns d’entre nous. Nous espérions que tu pourrais en faire partie, mais malheureusement « tes conditions » t’en ont empêché…Quel dommage ! Gaby, nous te rendons hommage non seulement pour ton courage, ta ténacité, ta liberté jusqu’au martyre, mais aussi à l’homme, l’ami, la conscience et la mémoire de notre jeunesse. Élie ABI NASSIF et tes amis du Lycée, la promotion 75 Allons-nous nous en sortir ? Nos politiciens traditionnels ont pris l’habitude de considérer le Liban comme une ferme particulière. Dans le pays qui exporte les compétences, leur incompétence est historique. Ainsi ils ont empêché le président Chéhab de nous doter de structures modernes. Ils ont ensuite renvoyé chez eux les jeunes ministres de ce qu’on a appelé à l’époque le cabinet des jeunes que le président Sleimane Frangié avait chargé Saëb Salam de former, au début de son mandat. Ces même politiciens, ou leurs enfants maintenant, sont là pour nous rappeler que le Liban n’est pas sorti de la caverne d’Ali Baba et des gesticulations qui ne mènent nulle part. Vont-ils comprendre que la sécurité ne se décrète pas par des discours ou par des déclarations tonitruantes, et qu’en face de criminels professionnels il faut des professionnels compétents ? Vont-ils comprendre qu’en matière de désarmement, il faut d’abord arriver à un accord avec nos frères palestiniens avant de nous disputer avec nos compatriotes ? Vont-ils encore une fois réussir la récupération des jeunes et entraîner ainsi le sacrifice d’une nouvelle génération ? Depuis plus de soixante ans, le premier de nos grands journalistes, Ghassan Tuéni, un sage parmi les sages, prêche dans son journal et ailleurs. Son appel à la révolution culturelle dans son éditorial de lundi dernier est un cri d’une grande lucidité. C’est une charte. Elle doit servir de guide à la jeunesse du 8 et du 14 mars réunies. Et en hommage à l’un des leurs, Gebran Tuéni, ils doivent se mettre autour d’une table ronde et parvenir à un accord sur les principes fondamentaux de la République. Une nouvelle page sera ainsi ouverte pour que vive le Liban démocratique et libre. Henri K. SAMAHA
Écoutons-le

En quelques mots et devant le cercueil de son fils Gebran, Ghassan Tuéni s’est imposé encore une fois, mais dans une circonstance de malheur singulier et ultime.
Réclamer la tolérance dans la douleur en invoquant le martyre de son fils constitue un appel à chaque Libanais à avoir foi dans la capacité d’améliorer le monde dans lequel nous vivons.
Nous améliorer dans...