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Actualités

J’accuse !

Comme si tout devait avoir son prix dans la vie ! Le prix de la liberté a été en cette cinquième année du troisième millénaire si coûteux pour ce petit pays méditerranéen, pour ce Liban, dont l’histoire, au fil des années et des siècles, a été écrite dans le sang et par le sang. Comme s’il était imposé à ce pays d’être dépourvu d’histoire s’il ne venait à accomplir le devoir divin des sacrifices sur l’autel de la « vie libre ». Sa géographie montagneuse, unique dans cet Orient désertique, n’est autre que le résultat d’un « choc » de plaques, il y a des millions d’années ; un choc de la nature qu’on peut assimiler aux chocs humains vécus durant son histoire. Incroyable, douloureuse mais véridique : cette vocation de lutte et de quête interminable de la liberté jusqu’au martyre semble être le sens de l’existence et la raison de vivre de ce pays et de son peuple. Le Mont-Liban a toujours été l’exception de l’Orient, dans son ouverture et dans le respect des croyances multiples, s’assurant, malgré sa petitesse géographique et ses contradictions internes, une autonomie relative au sein d’un empire vaste et puissant – d’où la grandeur dans le sens même de son existence. Mais le Liban, au cours de ces siècles d’oppression, a-t-il jamais connu une telle volonté (acharnée) de défigurer sa vocation naturelle d’ouverture et de liberté autant que celle du régime syrien durant ces dernières trente années ? Certes, personne ne peut oublier le génocide non déclaré commis par les Ottomans en 1916, durant leur blocus du Mont-Liban, et durant lequel le tiers de la population avait péri. Certes, personne ne peut nier que massacres, guerres et atrocités ont jalonné une partie de l’histoire de ce pays, mais nul ne peut nier non plus que la Syrie a employé tous les moyens possibles et imaginables pour en finir du « Liban-exception ». Non seulement a-t-elle joué sur les dissensions internes, mais de plus elle a voulu en faire la source même de la destruction de l’identité libanaise. Que dira l’histoire de l’occupation syrienne du Liban ? Bombardements de villages et massacres de populations, crimes contre l’humanité – ainsi qu’en témoignent les derniers charniers découverts à Anjar – anéantissement de la démocratie, exil, emprisonnements et tortures… Une liste qui se prolonge et arrive finalement à l’assassinat d’hommes d’État, de religion et de journalistes. Samir Kassir, May Chidiac et Gebran Tuéni font partie de ces victimes de la lutte contre la pensée et la plume libres, qui dérangent et troublent tant un régime, esclave d’une doctrine unique et sanguinaire. J’accuse le régime Assad, en place depuis 1970 en Syrie et jusqu’à nos jours, d’avoir mené une guerre à outrance non pas contre le Liban comme État, mais contre sa vocation et sa raison d’être, cherchant par là à détruire les structures de base de son existence. Il fallait repeindre le tableau, en changer les couleurs afin d’en finir avec lui une fois pour toutes. Je rappelle à l’intention de ce régime que le monde aujourd’hui s’oriente vers davantage de liberté et de respect de la pensée libre, et que des régimes de pensée unique ne peuvent subsister longtemps au sein de ce courant mondial. J’assure au régime syrien que le Liban restera le pôle central de la liberté religieuse et intellectuelle en Orient, un pays ouvert au dialogue des cultures et non pas enfermé dans son monolithisme. J’accuse également et surtout les Libanais qui ont accepte le jeu syrien et en ont été complices, consciemment ou pas. Je les accuse d’avoir enterré leur conscience libre à des fins éphémères. Ils ont permis aux services de renseignements syriens de mieux réussir leur complot, et cela durant quinze ans, en leur assurant une « couverture », au point que ces services, même après le retrait syrien, ont pu atteindre, en plein Mkallès, Gebran Tuéni. Je leur rappelle que, malgré leurs dernières positions nationalistes, la vraie résistance a été, durant trente années, celle qui s’est manifestée dans quelques lieux de liberté, comme le quotidien an-Nahar, et que cette résistance a été le fruit d’un travail ardu, assumé chaque jour dans les universités, les hôpitaux, les salons par ce qui restait à l’époque d’esprits libre. La vraie résistance, dont Gebran Tuéni est l’un des symboles les plus brillants, fut un vrai chemin de croix et non pas le produit d’un marchandage pour obtenir quelque avantage, une pratique largement suivie dernièrement sur la scène politique. Je ne peux oublier les tables rondes et conférences auxquelles je participais et durant lesquelles Gebran Tuéni nous incitait à garder l’espoir et à resister, en croyant toujours en notre cause envers et contre tout. Je ne peux oublier les entretiens que nous avions eus, nous les jeunes du Liban, avec cette figure de proue, et qui nous donnaient toujours l’envie et la détermination de poursuivre notre combat pacifique pour un retrait syrien, au moment où les bâtons et les matraques étaient la seule réponse à notre marche têtue. « Entre l’obscurité et la lumière, il y a un mot. » Tel était ton slogan, tel était le tracé de ta vie lumineuse et irradiante – une vie qu’on a voulu arracher très tôt, de la manière la plus lâche. Gebran Tuéni, j’évoque aujourd’hui, les larmes aux yeux, une personne qui m’a toujours inspiré par son courage, son franc-parler et sa passion pour la liberté. Gebran, comme le dit si bien un proverbe, « la vérité de ce monde, c’est la mort. Il faut choisir, mourir ou mentir ». Toi tu as préféré mourir. Mais ta plume libre ne mourra pas ; nous sommes ses soldats et nous continuerons ton combat ! Je ne peux qu’exprimer également, en ces heures difficiles, mon admiration pour ce géant, Ghassan Tueni, philosophe de formation, qui a été au cours de sa vie à la fois homme politique, diplomate et journaliste et qui a pu résister à tous les malheurs. Hommage à Nadia Hamadé, cette poétesse engagée qui a fait du Liban un rêve dans ses recueils. Hommage à Nayla Tuéni, la fille du martyr, qui n’en finit plus d’émouvoir les Libanais par sa tristesse et sa force. Enfin, hommage au Liban, ce pays fou qui continue à vivre malgré tout et à renaître à chaque fois qu’on le tue ! Bachir El-KHOURY
Comme si tout devait avoir son prix dans la vie ! Le prix de la liberté a été en cette cinquième année du troisième millénaire si coûteux pour ce petit pays méditerranéen, pour ce Liban, dont l’histoire, au fil des années et des siècles, a été écrite dans le sang et par le sang. Comme s’il était imposé à ce pays d’être dépourvu d’histoire s’il ne venait à accomplir...