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Actualités - OPINION

Tribune Fausses questions, vrais problèmes

Le Liban se complaît décidément dans les questions futiles, comme une femme entretenue dont la seule préoccupation est de savoir quelle robe elle va porter demain, ou comme un gosse de riche se demande si c’est l’alcool ou la drogue qui briseront le mieux son ennui ce soir. Simplement, le Liban n’est pas riche, loin de là. Il est des luxes qu’il ne peut se permettre, il est des faux problèmes sur lesquels il ne peut monopoliser son attention. Et pourtant… On en veut pour preuve la polémique récente sur la nature de la juridiction qui doit juger les assassins de Rafic Hariri. Qui a failli (et ce n’est pas fini) provoquer l’implosion d’un gouvernement par définition fragile parce qu’hétéroclite. Que va dire le rapport Mehlis, deuxième du genre ? Faut-il un tribunal international pour juger les assassins de Rafic Hariri ou un tribunal mixte – un tribunal local ferait-il l’affaire ? Éminents juristes ou quidams incultes (sans compter nos inénarrables politiciens), tout le monde y va de sa petite phrase, chacun veut ajouter son petit grain de sel. La moitié, si ce n’est plus, des informations locales est consacrée au ressassement de ces seules deux questions. « Quel est le message ? » martèlent les télévisions locales dès l’ouverture du journal du soir, avec des accents se voulant éditoriaux. Fort malencontreusement, les descriptions extensives et ennuyantes se substituent au devoir d’analyse le plus élémentaire. Mehlis est à New York, c’est un message. Mehlis est dans l’avion, c’en est un autre. Mehlis s’en va de Beyrouth (sa mission est pourtant officiellement terminée), c’est est un troisième. Encore plus subtil, crypté et mystérieux que tous les précédents. Si l’on continue comme cela, le Liban ne fera plus rien qu’attendre, attendre et attendre encore que cette affaire se termine. Or elle est partie pour durer. Des extensions successives sont accordées aux enquêteurs depuis le début de cette affaire, et la tendance ne fait que se confirmer. Et c’est bien normal : l’affaire est complexe, le meurtre a été bien préparé, et il l’a été en haut lieu. Il est donc inévitable que l’on mette du temps à comprendre tout ce qui s’est passé. Et même lorsque cela se produira, il y aura encore la mise en accusation, les dénégations, une négociation sur la remise des suspects (sans doute agrémentée de pressions diplomatiques, voire militaires), la mise en place du tribunal (quel qu’il soit), le procès. Les auditions, les confrontations, le réquisitoire, les plaidoiries. L’appel aussi, peut-être. L’appel, oui, car si les Libanais ont gardé en tête l’image de la fameuse cour de justice, cette cour d’exception qui jugeait (laissons de côté la question de sa partialité) en premier et dernier ressort du temps de l’Occupation, cette image est on ne peut plus erronée. Un procès digne de ce nom doit respecter le principe du double degré de juridiction. La possibilité de faire appel devra donc exister. Bref, tout cela va encore prendre du temps, horriblement de temps. Allons-nous rester les bras croisés, les yeux rivés sur nos écrans de télévision ? À attendre que tel suspect (hier tortionnaire, ironie du sort) fasse une attaque cardiaque en prison ou que tel autre témoin se rétracte à l’occasion d’une conférence de presse pathétique digne de l’époque de la guerre froide et des agents triples ? Est-ce là la seule activité dont nous sommes capables ? Les Libanais facilitent la tâche à leurs politiciens, qui ne craignent plus qu’on leur demande d’agir, de réformer, d’entamer des chantiers, de remettre l’économie sur pied, ou d’assainir les institutions. Les hommes politiques n’ont en effet plus pour tâche que de peaufiner leurs discours sur les rapports Mehlis ou sur la nature de la juridiction qui connaîtra de l’affaire de l’assassinat de Hariri et des ses compagnons. Le sexe des anges, en somme. Que l’on ne se méprenne pas sur le sens de notre propos. Il est évident à nos yeux qu’il faut que l’enquête se poursuive et qu’elle aboutisse. Qu’en son temps, la question de la juridiction adéquate pour juger ce crime innommable soit posée. Que les instigateurs, comme les exécutants, soient punis, sans compromission. Réaffirmons-le, une fois pour toutes, avec force. Cependant, de grâce, que l’on laisse les magistrats faire leur travail. Et que chacun arrête de croire qu’en concentrant son énergie sur la question, il risque de faire avancer le « schmilblick ». Le Liban est enfin libre, on ne le redira jamais assez. L’occasion est historique pour que nous puissions nous retrouver entre nous et voir quel pays nous devons construire ensemble. Le Liban est aussi meurtri, épuisé, démoralisé. Il a pris beaucoup de retard en trente ans. Jamais, plus qu’aujourd’hui, il n’a mérité d’appartenir aux pays du tiers-monde. L’heure est grave, et il faut que nous nous y mettions tous, pour que nous puissions redresser le pays. N’attendons pas les politiciens. Ils suivront, comme les plus prosyriens d’entre eux ont suivi, sans vergogne, le mouvement de libération, poussant l’indécence jusqu’à s’en prétendre les parrains. Commençons au niveau des individus, des associations, de la société civile. Il faut des projets économiques, éducatifs, civiques, culturels. Il faut faire appel à notre diaspora, qui a des possibilités immenses. Il faut exiger l’aide internationale. Or pour que l’une et l’autre répondent présent, il faut que nous puissions leur inspirer confiance. Redorer notre blason. « Get a life », dirait Sharon Stone en conclusion du film Sliver. On a bien envie d’adresser cette phrase aux Libanais aujourd’hui. Éteignons nos téléviseurs et commençons à travailler, à construire, à nous investir sur le long terme. Dieu sait que nous avons du pain sur la planche. Élias R. CHEDID New York
Le Liban se complaît décidément dans les questions futiles, comme une femme entretenue dont la seule préoccupation est de savoir quelle robe elle va porter demain, ou comme un gosse de riche se demande si c’est l’alcool ou la drogue qui briseront le mieux son ennui ce soir. Simplement, le Liban n’est pas riche, loin de là. Il est des luxes qu’il ne peut se permettre, il est des faux...