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Actualités - REPORTAGE

ASSOCIATIONS - Vieux, seuls et malades, ils comptent sur la charité pour survivre Rifaq el-Darb pour rendre plus chaleureux le Noël des têtes blanches

Il y a longtemps, ils étaient jeunes. Ils étaient autonomes, ils travaillaient et ils pouvaient subvenir à leurs besoins. Ils avaient des emplois et, durant leur jeunesse, ils n’ont jamais eu besoin de l’aumône. Ce n’est plus le cas actuellement. Ils sont malades, seuls et vieux. Et ils comptent sur la charité pour survivre. « Pour que Noël n’oublie personne » est une initiative prise il y a une dizaine d’années par l’association Rifaq el-Darb, qui s’occupe des personnes du troisième âge. L’ONG, formée d’une quinzaine de personnes, veille tout au long de l’année sur une centaine de têtes blanches, leur rendant visite, les conviant à des excursions, des dîners et des messes. Pour Noël, l’association organise chaque année un déjeuner de gala, qui se déroule dans un restaurant. Animation, cotillons et cadeaux seront au rendez-vous. Les têtes blanches de l’association y seront certes conviées en même temps que des personnes du troisième âge qui séjournent dans divers asiles et qui ont quasi rarement la chance d’en sortir. Tous, l’espace d’un déjeuner, retrouveront la chaleur des fêtes et des moments de joie auxquels ils ne sont plus habitués. Les sœurs Salwa et Nadia et le couple Jamil et Nakhlé feront partie de la fête. Salwa, 73 ans, et Nadia, 68 ans, viennent d’enterrer leur frère Élie. Célibataires, les trois vivaient ensemble dans une chambre sans salle de bains et sans cuisine à la rue Monnot. Le bâtiment qui abrite leur trop modeste domicile est entièrement retapé de l’extérieur. Ce n’est pas le cas de la chambre aux murs lézardés et à la peinture rongée par l’humidité. « Dix ans avant la guerre, durant les événements et jusqu’il y a trois ans, nous vivions dans une véritable maison au rez-de-chaussée de ce même bâtiment. Et puis, avec le succès qu’a connu la rue, le propriétaire a décidé de nous reloger au deuxième étage. Ici, nous n’avons qu’une chambre. La salle de bains et la cuisine sont à l’extérieur », raconte Salwa. Salwa et Nadia ne sont pas nées dans la misère. Elles n’ont jamais roulé sur l’or non plus. Toutes les deux exerçaient un emploi durant leur jeunesse. Arrivées au troisième âge, elles ont vécu de leurs économies… qui se sont vite épuisées. Nadia, qui a la jambe dans le plâtre depuis plus d’un mois, était institutrice. Elle bénéficiait de la Sécurité sociale. Elle a été congédiée de son travail, il y a une quinzaine d’années, touchant ses indemnités, qui ne lui ont pas longtemps suffi. Salwa, elle, vivait de petits commerces, achetant divers articles chez les grossistes et faisant du porte-à-porte pour les revendre, effectuant ainsi de menus gains. Vivant dans la précarité depuis plusieurs années, Salwa et Nadia semblent avoir apprivoisé leur misère et tentent, tant bien que mal, de préserver leur dignité. Quand elles reçoivent du monde dans leur petite chambre, elles préfèrent parler des messes auxquelles elles assistent, se plaindre du bruit à la rue Monnot, ou raconter des souvenirs de jeunesse. Ne pas dire qu’on ne mange pas à sa faim Ce n’est qu’au détour d’une phrase ou en insistant sur une question que l’on apprend à quel point les deux femmes manquent de tout. Par exemple, elles ne peuvent prévoir la date de la messe du quarantième de leur frère. Elles n’ont pas les moyens de faire un don à l’église pour cet office religieux, mais elles savent que le prêtre de la paroisse ne leur demandera pas de l’argent. C’est pour cette raison qu’elles attendent qu’il propose lui-même la date. « Nous ne voulons pas nous imposer… », indique Salwa, comme pour s’excuser de son indigence. Nadia, elle, ne peut pas s’empêcher de se lamenter sur le sort de son frère : « Pauvre Élie, chuchote-t-elle, il a été enterré en pyjama… C’est ce qu’il portait quand il a rendu l’âme… Les funérailles ont trop vite été organisées… Heureusement qu’on a pu l’enterrer… Les voisins nous ont beaucoup aidées. » Nadia ne se plaint pas de sa jambe plâtrée ni des deux hôpitaux beyrouthins qui ont refusé de la recevoir avant que l’argent ne soit versé. Elle ne pouvait pas assumer les frais. La jambe brisée en deux endroits, elle est rentrée à la maison, comptant y passer la nuit. C’est un jeune voisin habitant le secteur qui a suggéré à Nadia d’aller à l’hôpital gouvernemental de Baabda, en lui assurant un taxi et une somme d’argent, au cas où… « Beaucoup de gens s’occupent de nous… Heureusement, car nous n’avons plus de quoi vendre pour subsister », indique Salwa qui a déjà vendu sa montre et ses deux bracelets en or. « C’est Rifaq el-Darb, par exemple, qui assure la plupart de nos médicaments. Nous allons aussi à leur déjeuner mensuel. Vous savez, tous les jours à midi, je quitte la maison pour amener de quoi manger à Nadia… », ajoute-t-elle. Sa sœur lui coupe vite la parole. D’un air autoritaire, elle dit à voix basse : « Salwa, attention, ce n’est pas bien de dire que nous sommes en train de mendier pour manger. » Et Salwa change de sujet. Elle montre de vieilles photos en noir et blanc, celles de deux jeunes femmes coquettement habillées, posant en famille ou avec des amis, et celle d’un jeune homme. Elle raconte : « C’était mon fiancé. Un jour, il n’est plus venu me voir. J’ai su ensuite qu’il s’était marié avec sa cousine et qu’il était parti en Australie. » À voir la septuagénaire et la misère qui l’entoure, on a du mal à croire que Salwa avait une vie. Une autre maison à Achrafieh. Jamil, 76 ans, et Nakhlé, 79 ans, se souviennent de leur première rencontre. Vieux, malades et pauvres, ils n’ont pas arrêté de s’aimer depuis plus de cinquante ans. D’ailleurs, c’est leur complicité que l’on remarque en premier lieu. Jamil et Nakhlé vivent dans une petite maison, non loin du Lycée français. Le couple a vécu durant plusieurs années dans le secteur de la rue Monnot. Jamil était concierge et Nakhlé faisait le ménage dans les appartements et les bureaux. Jamil a aussi travaillé dans les cuisines d’un restaurant de la rue Monnot. Il épluchait les légumes. S’inquiéter pour ses enfants quand on a plus de 70 ans « J’ai toujours aidé mon mari en travaillant, mais maintenant, je suis vieille et malade », raconte Nakhlé qui est atteinte depuis dix ans d’ostéoporose et qui ne parvient pas à acheter le médicament « qui coûte 75 000 livres » précise-t-elle. « Pour tous les autres remèdes, nous allons au dispensaire. Rifaq el-Darb nous aide aussi sur ce plan », raconte-t-elle, soulignant que le médicament qui traite son ostéoporose n’est pas disponible au dispensaire. Nakhlé s’est rendue auprès du médecin pour un changement de traitement, pour qu’il prescrive un médicament moins cher. « Ce qu’il a fait, mais les pilules n’avaient pas le même effet », dit-elle. « Pour le moment, j’ai arrêté de prendre ce médicament qui me faisait beaucoup de bien. Je me sens de plus en plus faible. Je ne peux plus bouger et la nuit, j’ai tellement mal que je n’arrive pas à dormir », raconte-t-elle. Jamil renchérit : « La nuit, je me réveille et je l’entends en train de gémir de douleur, mais je ne peux rien pour elle. Nous n’avons pas de quoi acheter le médicament. J’ai essayé de trouver du travail, j’ai cherché récemment, mais rien n’est prévu pour un homme de 76 ans. » Jamil, qui veut travailler pour épargner la douleur à sa femme, est lui aussi souffrant. Le septuagénaire a subi cinq opérations chirurgicales en trois ans. Lui aussi a besoin de plusieurs médicaments par jour, qui sont disponibles au dispensaire. « Vous savez, en plus de 50 ans, je ne me suis jamais disputé avec ma femme. Nous nous sommes toujours entendus à merveille. Mais on ne peut pas tout avoir dans la vie… », indique Jamil, comme s’il voulait donner des raisons expliquant son indigence. Nakhlé prend la relève. Elle raconte que le couple paie un loyer mensuel de 200 dollars. « Je ne les ai pas. Je demande de l’aide auprès des prêtres et des religieuses et je vais dans les églises pour mendier… Quand nous habitions le secteur Monnot, nous payions un ancien loyer. Nous avons été délogés de la rue, pour nous retrouver dans cette maison minuscule », raconte-elle. En effet, la maison avec son salon, sa chambre, sa cuisine et sa salle de bains est toute petite. Mais elle est propre… même coquette. Au salon, par exemple, Nahklé a recouvert les vieux canapés d’un tissu en coton vert et blanc assorti aux napperons et aux rideaux. « Je m’en fous du loyer. Je pourrais toujours me débrouiller. Mais je rêve seulement d’avoir cent dollars par mois. Je pourrais payer mon médicament et je consacrerai le reste de la somme aux dépenses quotidiennes du foyer », dit-elle. Jamil et Nakhlé ont élevé cinq enfants, deux filles et trois garçons qui habitent Achrafieh, Jbeil et Aïn el-Remaneh. « Nos enfants nous aident quand ils le peuvent. Mais tous les cinq ont des enfants et beaucoup de dépenses… Ils doivent payer le loyer, la scolarité… La vie n’est pas facile pour eux », raconte Jamil. Nakhlé acquiesce et renchérit : « Ma fille âgée de cinquante ans est malade. Elle a trois enfants. Elle travaille pour élever sa famille. Elle ne bénéficie pas de la Sécurité sociale, faisant du porte-à-porte pour vendre des produits de beauté. Si seulement je pouvais l’aider. Si seulement je pouvais lui donner de l’argent pour lui assurer le prix des analyses… », soupire-t-elle. La voix de Nakhlé s’étrangle. Jamil sort de la petite pièce. Il se met dehors, regarde la rue grouillante de monde et sèche une larme. Depuis une dizaine d’années, l’association Rifaq al-Darb est présente auprès d’une centaine de personnes du troisième âge habitant Achrafieh, la Quarantaine, Furn el-Chebbak, et Bourj Hammoud. Elle leur rend régulièrement visite, organise une messe et un dîner par mois, parfois des excursions hors de Beyrouth. Pour Noël, c’est un déjeuner de gala avec cadeaux et animations qui attendent, le 27 décembre, les têtes blanches dans un restaurant de Jounieh, Zad el-Kheir. L’association compte inviter 800 personnes du troisième âge, séjournant pour la plupart dans des asiles. Pour financer ce déjeuner de gala ainsi que ses activités annuelles, Rifaq el-Darb vend durant les fêtes de Noël des cartes « pour que Noël n’oublie personne », à dix dollars chacune. Grâce à vous, Salwa, Nadia, Nakhlé et Jamil, ainsi que d’autres, beaucoup d’autres, pourront vivre des fêtes chaleureuses. Grâce à votre intervention, ces personnes du troisième âge auront droit à des activités tout le long de l’année, notamment des excursions hors de Beyrouth, des repas chauds et des médicaments. Pour plus d’informations, contacter Rifaq el-Darb aux numéros suivants : (03) 624645 – (03) 522058 – (05) 459 006. Patricia KHODER
Il y a longtemps, ils étaient jeunes. Ils étaient autonomes, ils travaillaient et ils pouvaient subvenir à leurs besoins. Ils avaient des emplois et, durant leur jeunesse, ils n’ont jamais eu besoin de l’aumône. Ce n’est plus le cas actuellement. Ils sont malades, seuls et vieux. Et ils comptent sur la charité pour survivre. « Pour que Noël n’oublie personne » est une initiative...