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Actualités - OPINION

L’hommage des lecteurs à Gebran Tuéni

Interdit de pleurer ! Ces mots entreront dans l’histoire, depuis que Ghassan Tuéni les a prononcés à sa descente d’avion. Accueilli par un peuple éploré, qui vient de perdre l’un des défenseurs de la patrie les plus intrépides et les plus efficaces, atteint, lui-même en premier, par un malheur qui dépasse l’entendement, il s’est redressé de toute sa taille et a ordonné : « Interdit de pleurer ! » Ici, même ceux qui croyaient connaître Ghassan découvrent qu’il est de la taille de ces personnages évoqués dans la tragédie grecque, qui ne sauraient se laisser abattre par l’injustice du sort. Mais, avant tout, c’est un profond croyant, qui médite en lui-même ces paroles de l’Apôtre des nations : « Nous ne voulons pas que vous vous affligiez comme les autres hommes qui n’ont pas d’espérance. » (Saint Paul, 1Th. 4,11). Ces paroles, qui sont lues à la liturgie de l’absoute, sont à méditer par tous ceux qui, stimulés par l’exemple et par le sacrifice de Gebran, continueront à combattre avec son obstination à rétablir le Liban comme il le voulait, redisant avec le psalmiste : « La mémoire du juste demeurera. » Albert SARA Adieu les éditoriaux de feu Adieu Gebran… Je pense à tes jumelles de six mois, petits anges fragiles qui grandiront en regardant tes photos, lisant tes articles, égrenant tes véhémences à la télévision… Je pense à tes filles que ton absence, à jamais, amputera… Je pense à ta femme, à tous ces Noëls où elle enlacera les enfants et où tu ne seras pas… Je pense à ta mère, à ta sœur, à ton frère, là-haut dans les étoiles et qui ne t’attendaient pas... Je pense surtout à ton père, qui reçoit tous les honneurs et à qui la vie n’a de cesse de lui prendre le meilleur. De tout lui prendre… Je pense à toi Gebran, toujours pressé, le cœur fragile et le verbe haut, entier jusqu’à la lie, véhément jusqu’à la folie, patriote jusqu’à l’oubli. L’oubli de soi. Pardon Gebran, nous vivons dans un contexte qui ne mérite pas les phœnix de ton espèce. Dans un contexte où la liberté d’expression se signe par un arrêt de mort. De mort violente, calcinée d’horreurs et souillée de vengeances. Aujourd’hui Gebran, la liberté tue si on ne la tait pas et le chapelet de tes éditoriaux s’est brisé à jamais dans le sang et les flammes de tes discours grinçants. Dans la rue, les gens sont assommés. Il nous est arrivé beaucoup trop de drames en dix mois et le suivant se cache peut-être à l’abri de nos fenêtres. Les mots n’ont plus de place. Plus de sens. La plume s’est brisée à force de souffrir. L’encre va sécher, comme les larmes, la révolte et les rancœurs. Seule la liberté ne baissera pas les bras. Tôt ou tard Gebrane, justice sera faite. Sur Terre, ou dans l’au-delà. May SALHA Notre conscience Aujourd’hui, notre histoire contemporaine nous a prêté des initiés. Si le Liban est ce qu’il est, s’il a les yeux de la communauté internationale rivés sur lui, s’il a repris depuis un temps une première place, et n’est plus un fait divers dans les quotidiens du monde, c’est parce qu’il se réveille d’une narcose imposée. Cette même narcose qui nous tenait en mode de survie, à la surprise de tous, révèle ceux qui n’ont jamais voulu dormir, tels des enfants difficiles, ceux qui voulaient toujours repousser l’heure du coucher. Ces enfants terribles sont notre conscience ou notre subconscient qui a toujours veillé sur nous. Ces enfants de la guerre et de l’après-guerre ont veillé au grain, ils ont protégé notre patrimoine collectif, aussi disparate qu’unique. Ceux qui sont partis trop tôt, tels Rafic Hariri, Bassel Fleihane, Samir Kassir et Gebran Tuéni, que nous pleurons encore. Ces hommes ne nous ont jamais appartenu, bien que raison de notre fierté, ils étaient de l’étoffe de ces héros mythologiques qui transgressent le temps et l’espace. Mais le destin a voulu qu’ils soient libanais, pour notre grand privilège. Les pères du Liban moderne, nous les avons pleurés, mais ils avaient choisi le sacrifice des initiés, par amour pour leur peuple, pour nous tous. Tels des héros, nous les enseigneront aux enfants du monde aux chapitres de la défense de la démocratie, de l’humanisme et de la dignité sans frontières de notre nouveau siècle. En tant que Libanais, aujourd’hui en 2005, dans un monde sans âme, je me sens rempli des enseignements de générosité, d’humilité, de génie, de passion pour la liberté et la démocratie de ces hommes. Ces hommes ne nous appartiennent pas, ils ne nous ont jamais appartenu, ils nous étaient prêtés pour un temps, celui qu’il faut pour enluminer notre histoire moderne et lui donner une âme, le temps qu’il faut pour faire d’une histoire une épopée. Jean-Claude DELIFER Montréal, Canada Martyr du Liban libre À ma très chère amie Nayla, à sa famille et au peuple libanais. De Montréal où je vis, mes sincères condoléances à la suite de ce crime odieux. Les cloches de la basilique Notre-Dame du vieux Montréal retentiront aujourd’hui à midi (hier mardi, heure locale) en mémoire de notre frère Gebran Tuéni, martyr du Liban libre. Joe GHAZIRI et famille Montréal (Québec), Canada Une leçon de courage « Ils sont bien morts ensemble c’est-à-dire chacun seul comme ils avaient vécu. » Seuls les mots de Nadia Tuéni peuvent dire l’horreur, la colère, la honte. Honte pour les assassins et leurs complices. Et la fierté des Libanais devant le courage des martyrs qui n’ont défendu qu’une idée, mais quelle idée ! La liberté pour le Liban, elle en vaut la peine, mais que le prix en est élevé ! C’est une leçon de courage pour nous tous, Libanais ou non, celle du don de soi. Merci infiniment. Nadine DEVOILLE Paris Le jour du soleil noir « C’est par sa mort parfois qu’un homme montre qu’il était digne de vivre » (Francis Ponge) Gebran Tuéni. Un héraut (aujourd’hui héros) des libertés est venu grossir les rangs de la longue et interminable liste des martyrs, illustres ou anonymes. Son exploit pour mériter telle « récompense » ? Avoir su manier une plume acerbe avec cette aisance qui rend les mots presque insolents. Ses mots, qui dénonçaient nos maux, combien ils nous font défaut maintenant… En ce « jour du soleil noir », ils restent pendus – lettres mortes – à nos cordes vocales. La voix de la conscience est plus expressive invectivant d’outre-tombe. Les mains invisibles qui assassinent à tout-va depuis des décennies dans notre pays, impunément, ignorent-elles que leurs armes sont à double tranchant ? Aveuglement délibéré ou condescendant dédain, ne savent-elles pas qu’un jour – inévitablement – ces armes se retourneront contre elles ? Le processus est d’ailleurs enclenché, qui ne s’arrêtera que le jour venu où justice sera enfin rendue. Aujourd’hui, à la puissance du verbe et l’acéré de la plume succèdent la force du souvenir et la pérennité du message encré par le martyr. Ancré dans nos mémoires, Gebran Tuéni le restera au même titre que tous ceux qui ont écrit de leur sang la page funeste de l’histoire récente du Liban. Joe MEZHER Camarades de lycée J’ai connu Gebran Tuéni au lycée, dans les classes primaires et jusqu’au secondaire. Plus tard, la guerre et les circonstances de la vie nous ont éloignés. J’ai été attristée lorsque Nadia Tuéni est décédée. Je suis encore plus triste aujourd’hui. J’adresse mes meilleures pensées à toute l’équipe de L’Orient-Le Jour, du Nahar, ainsi qu’à la famille Hamadé. Que Gebran repose en paix auprès de sa sœur Nayla, de sa mère Nadia et de son frère Makram. Lilianne CHALHOUB Avec des larmes que je croyais taries Avec des larmes que je croyais taries depuis longtemps, je me révolte en apprenant la nouvelle perte d’un de nos cerveaux dans ce cher pays. Comment ont-ils osé ? Ne voient-ils pas les conséquences de leurs actes ? Croient-ils que ce nouveau meurtre empêchera les Libanais d’atteindre leur but, la liberté, et de se sentir fiers d’être Libanais ? L’assassinat de Gebran, un fils, un père de famille, un journaliste, un député et un idéaliste au Liban, est un acte lâche de la part des parties perpétuant au Liban la politique de terreur par l’intimidation. Nous l’avons connu jeune, nous l’avons vu mûrir à travers les années, mais toujours avec l’âme de l’idéaliste qu’il était, se battant pour un Liban meilleur. Malgré la guerre civile qui a longtemps ravagé notre pays, qui nous a séparés et anéantis, les différentes parties politiques et confessionnelles ainsi que l’ensemble du peuple libanais l’ont toujours apprécié et respecté pour ses idéaux et son professionnalisme. J’espère que sa mort ne sera pas passée sous silence ; il mérite les mêmes hommages, la même révolte et l’indignation si ce n’est plus, dus à nos martyrs. Je voudrais voir les Libanais dans la rue, je voudrais les voir crier leur mal-être après sa mort, je voudrais voir leurs larmes couler comme les miennes et je voudrais les entendre hurler leur détermination à la face du monde entier de ne pas baisser les bras et de voir qu’un jour nous serons dans un pays libre, libre de penser, de respirer et de dire la vérité, sans risquer d’être tué. Toutes mes condoléances à sa famille, ses amis ainsi qu’à tout le peuple libanais. C’est un acte intolérable. Qu’il ne demeure pas impuni. Une Libanaise en larmes L’espoir assassiné Il était 9 h ce matin au Canada quand je me suis réveillé. Un ami m’appelle et m’annonce la nouvelle. Pris de panique, mon premier réflexe a été de voir L’Orient-Le Jour.com et j’ai la confirmation de la terrible nouvelle. J’éprouve de la haine pour les auteurs de ce crime. Et c’est l’esprit meurtri que je vous présente mes sincères condoléances. Un homme, un grand homme vient de disparaître, qui par ses écrits avait su sensibiliser la population. Je le voyais comme un futur président de la République. Ils viennent de m’enlever mon espoir. Que Dieu vienne en aide à ceux qui sont encore là. Que Dieu vienne en aide au peuple libanais qui saura faire face à toutes formes de terrorisme comme il l’a toujours fait. Que le saint patron de la liberté t’accompagne, Gebran. Georges EL-GHANDOUR C’était il y a un an… Chaque fois que je te croisais, tu me disais bonjour poliment. Tu me connaissais de vue ; nous étions du même quartier. Puis un jour, j’ai eu le privilège de te rencontrer de manière impromptue, autour d’un verre de vin, et d’avoir avec toi une conversation à bâtons rompus. C’était il y a tout juste un an. Un an avant les événements malheureux de 2005 et déjà tu annonçais la couleur. Sûr de toi et clairvoyant, tu disais : « Assez ! Les choses vont bouger et changer. » Je t’ai demandé comment, alors que tout paraît bloqué. Tu m’as dit que non, que la donne avait changé, que le Liban avait rendez-vous avec son destin, que nous allions en finir avec l’emprise, la tutelle, le diktat, la corruption et la négation de notre mémoire. Tu avais raison et tu avais vu juste. Trop juste. Que ceux qui t’ont assassiné aillent au diable. Et toi, cher Gebran, tu es déjà au paradis des grands hommes. Youssef G. KAMEL Une perte terrible Mais qui sont ces assassins qui veulent tuer notre élite intellectuelle et politique la plus courageuse. Ô Gebran, comme ta mort attriste mon âme, car je croyais te connaître à travers tes articles et tes photos. J’espère au moins que ta mort servira de leçon aux Libanais de toutes confessions et de toutes tendances, surtout les jeunes, pour s’unir et être forts comme tu le voulais et le souhaitais tant. Mon cher Gebran, je pleure ta perte et te remercie d’avoir tant défendu la liberté dans un pays sans liberté. Mais je t’en veux de ne pas avoir été un peu plus prudent quand même. Tu venais de rentrer au pays et les assassins n’ont pas voulu que tu passes Noël en famille. Ta perte est terrible pour notre fragile Liban, car il y a si peu d’hommes de ta trempe et de ton courage. Chaouki ABINAKLÉ Toronto – Canada L’espoir seul fait vivre Merci de nous rapporter les faits qu’on a manqués, les images qu’on n’a pu voir. Merci de reprocher l’inertie, de dénoncer les demi-mesures, de condamner la barbarie. Merci de mettre les mots sur cette dernière plaie que le doigt de Gebran, désormais inerte, n’a pu pointer de sa plume. Merci de rendre hommage, de nous permettre de lire ce qu’on a envie de crier. Merci de donner honte à une jeunesse chaotiquement fougueuse, qui a encore tellement à apprendre sur la démocratie. Merci d’être journalistes. Merci de prendre le risque, la responsabilité. D’exprimer en phrases nos révoltes, nos douleurs, nos déceptions. Le sang de Gebran Tuéni ne peut pas teinter nos cœurs de manière si indélébile sans s’étendre à tous nos frères. L’espoir seul fait vivre. Et ce n’est pas comme si nous avions le choix. Merci de nous donner espoir. Hala HANNA La fine fleure de l’intelligentsia Un autre représentant de la fine fleur de la jeune et fougueuse intelligentsia libanaise vient de disparaître, victime des machinations politico-policières de cette région hautement historique qu’est le Proche-Orient arabe. Est-on en droit de penser que nous sommes finalement incapables de parvenir à une formule démocratiquement viable dans chacune de ces contrées du Moyen-Orient, et spécialement au Liban ? Ou bien sommes-nous encore bien loin d’adopter, à l’orée de l’an 2006, le minimum requis pour un agenda moderne de vie politique, respectant la personne humaine dans sa diversité d’opinion, sans être obligé de recourir à la force et au meurtre pour étouffer les dissensions des parties opposantes ? À la grande famille Tuéni, à toute l’équipe d’an-Nahar et de L’Orient-Le Jour, mes très sincères condoléances. Georges Y. KRIKORIAN Orlando, Fl USA Le cortège des martyrs de l’indépendance On a supporté la guerre civile On a supporté la chasse aux étrangers On a supporté la guerre économique On a vécu la guerre d’usure Et là, on vit la guerre des cerveaux Et c’est la plus dur ! Et c’est celle qui fait le plus mal En apprenant la nouvelle du décès de Gebran Tuéni Le souffle de l’attentat nous a atteints jusqu’à Montréal ! Un mélange de frustrations et de colère nous a habités. En appelant mes amis pour leur annoncer la mauvaise nouvelle Je leur disais : « Je n’ai plus le courage de déposer mon fils à l’école. » « Il n’y a pas de voitures piégées à Montréal, maman », répondit mon fils. Il m’était difficile d’expliquer à mon garçon de 13 ans à ce moment-là Ce que j’entendais par courage. Mais je me promettais de lui remettre la cassette du 14 mars Où l’on voyait Gebran, les yeux brillants, le stylo à la main, Le foulard blanc et rouge au cou Faisant un discours sur la place de la Liberté… À ce moment il comprendra seul, le mot courage ! Tu vas nous manquer Gebran Mais on ne lâchera pas prise ! Nicole ABDULMASSIH Montréal Le chagrin et la révolte À l’attention de Ghassan Tuéni : Face à l’indicible, j’aimerais vous dire tout mon chagrin, ma révolte et aussi mon affection. Vous savez à quel point je suis attachée au Liban et à Nadia Tuéni, à quel point ils habitent mes livres, ma vie. Je suis une amie de longue date de Jacqueline Massabki, que je considère comme ma grande sœur. Je pense bien à vous, au Liban où vous m’aviez reçue en 1996, au Nahar, et où je ne suis plus revenue depuis 2001. Mais je lis chaque jour Nadia Tuéni. Le combat de votre fils Gebran continuera... Bien fidèlement à vous. Gilberte FAVRA-ZAZA Lausanne, Suisse Une plume est tombée à Mkallès Une de plus, une de trop. Gebran Tuéni rejoint la longue liste des martyrs, morts pour la cause libanaise. Une liste rouge sang qui peinait déjà tellement à dissiper son odeur de chair brûlée. Et le suivant ? Qui sera le suivant ? C’est désormais la question. Implacable. Pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ? Pour l’arabisme du Liban. Ainsi donc, désormais l’arabisme tue au Liban ? L’arabisme ! Mais qui donc peut croire un seul instant à cette mascarade de revendication. La Syrie dérape. La Syrie jubile. Et le rapport Mehlis ? Rien à voir. La perte par Damas de son jouet libanais ? Certainement pas. C’est l’arabisme frileux de Gebran Tuéni qui aurait irrité Monsieur Arabisme. Alors gare à vous Libanais de tous bords, vous risqueriez de tomber pour « libanisme », pour « bonne humeur » ou carrément pour « excès de cheveux blancs ». Gebran Tuéni va me manquer. Sa plume, surtout sa plume. Marc GHOSTINE Nantes, France À Ghassan Tuéni Monsieur et cher compatriote, Inhumain est le premier qualificatif qui vient sous la plume en cette journée de prostration que le ciel n’a pas trouvé bon de nous épargner. Au-delà de Gebran, dont le martyre ravale nos prétentions au rang de petitesses, ma pensée, comme sans doute celle de dizaines de milliers de nos concitoyens, va d’abord et exclusivement vers votre personne, vous le géniteur, l’exemple et le maître. Car sublime fut le cheminement de votre vie. J’avais vingt ans à peine lorsque vous fûtes élu député pour la première fois. Vingt ans, l’âge de l’enthousiasme et des idéaux à suivre… Vous étiez pour moi, Monsieur Tuéni, l’un de ces phares-là. Non pas seulement dans le domaine des affaires publiques, mais encore, mais surtout dans celui de l’art, des lettres et de l’humain. Le destin, pour commencer, vous avait choyé. Mais les baisers des tout-puissants ont souvent l’impact amer. Peut-être le saviez-vous déjà, qui avez navigué, parfois à contre-courant, en gardant hors de l’eau une tête à crinière de lion. Le sort est jaloux de ceux qui peuvent le narguer alors même qu’ils le font au nom de la patrie, de la dignité et des grands principes. Aussi, ne vous aura-t-il pas épargné. Je me range parmi les anonymes qui ont partagé en silence et de loin les diverses peines que vous avez dû subir… Et je me demande, aujourd’hui, en cet instant fatidique où, à l’apogée de votre passion, tout semble s’écrouler, si ce n’est pas là, précisément, le couronnement douloureux d’une carrière et d’une personnalité d’exception. Sauf que le destin, en décidant de ceindre votre front d’une couronne, se sera trompé de tri et aura choisi, par mégarde, une couronne d’épines. Continuez à nous enseigner le courage et recevez, Monsieur et cher maître, en mon nom et au nom de vos si nombreux admirateurs, l’assurance émue de nos prières et l’expression de notre sympathie sans bornes. Louis INGEA Invivable, la vie Je suis tout simplement abasourdie par ce qui se passe. Il se savait menacé, il est pourtant rentré. Pour braver quoi ? Braver qui ? Pourquoi n’avait-il joui d’aucune protection ? Comment permet-on aux voyous d’évoluer dans la nature sans aucun souci d’être pris ? Pourquoi sur la scène du crime n’y a-t-il aucun indice pour nous guider ? Pourquoi dénonçons-nous des actes sans même œuvrer à les éviter ? Comment peut-on admettre d’ores et déjà qu’il existe une liste noire ? Qui donc l’a établie ? Ne pourrait-on pas remonter à la source grâce à cette liste justement ? Elle circule impunément, rend invivable la vie, irrespirable l’air… Et en attendant, elle fauche, fauche sans jamais s’arrêter. Michèle M. GHARIOS Réclamer justice La page reste blanche, des heures durant. Les mots me manquent, cruellement. Un cri, une larme jaillit de temps en temps. Comment, avec quelles armes, exprimer mon tourment ? L’image qui me revient, celle d’un Gebran souriant. Celle d’un homme fort, d’un homme confiant. À chaque coup dur, j’attendais tes commentaires, impatiemment. Tes commentaires forts, clairs, et ton regard perçant. Dieu qu’ils m’ont manqué hier, tes slogans forts et rassurants ! Très cher Gebran, tu es bien loin maintenant... Tous les mots, tous les cris ne peuvent suffire à présent. Il faut agir, réclamer justice, pour ton sang. Pour tes proches, pour ta femme, pour tes enfants. Pour que toi et tous les autres martyrs puissiez reposer éternellement. Pour que les criminels ne ricanent plus impunément. Pour que ta mort ressuscite enfin notre cher Liban. Ce Liban pour lequel tu t’es tant battu de ton vivant. Joumana NAHAS Credo des Libanaises et des Libanais C’est un cri de douleur à mes compatriotes libanaises et libanais. C’est une prière, celle d’un combat à adopter pour toi, Gebran, notre amour meurtri. C’est un devoir de citoyennes et de citoyens auprès de toi et de tous les martyrs du printemps de Beyrouth. Aujourd’hui 12-12-2005, je propose à toutes les femmes du Liban, mères, veuves ou orphelines par osmose, de porter un deuil de 40 jours. Aujourd’hui 12-12-2005, je propose à tous nos hommes de porter haut le flambeau et de porter une cravate noire ou d’apposer un brassard de deuil 40 jours durant. Aujourd’hui 12-12-2005, je propose à tous les journalistes, écrivains, romanciers, peintres, sculpteurs, musiciens d’exprimer notre révolte et de démentir par nos écrits et nos œuvres la machiavélique tentative de nous museler. Aujourd’hui 12-12-2005, ceux qui prétendaient : « Nous avons brisé le stylo de Gebran Tueni, fermé sa bouche pour toujours et transformé an-Nahar en une nuit très sombre » ne pourront pas assécher nos plumes ni dessécher nos pinceaux, car nous diront tous en chœur et d’une seule voix : Gebran, nous ne t’oublierons pas et ta flamme restera vibrante en chacun de nous. Aujourd’hui Gebran et tous les jours, pour toi et pour tes amis disparus, nous répéterons après toi comme tu le scandais si bien : « Nous jurons par Dieu tout-puissant, musulmans et chrétiens, de rester unis jusqu’à la fin des temps en défense du Liban bien-aimé. » Najla MISK-MALHAMÉ Jour de deuil Je n’ai pas pu m’empêcher d’écrire ce qui suit après cette journée cauchemardesque et avoir une profonde pensée pour la famille Tuéni et pour vous, les journalistes : « Que de sang, que de larmes… Avec la gorge nouée, que peut-on dire et redire ? Le jour fatidique du douze décembre 2005 est un jour noir. Ce jour comme le Jour (an-Nahar) est en deuil comme tout véritable Libanais, comme toute personne ne cherchant que la vérité, la liberté et rien que cela pour le bien des générations à venir. Je préfère ne rien écrire de plus, mais laisser une page ou des pages blanches… Oui, blanche… Peut-être dans ce courrier de lecteurs doit-on laisser un paragraphe blanc. Blanc pour la Résurrection. Blanc pour la Paix. Blanc pour l’Espérance. Espérons et ne cessons pas d’espérer, malgré toutes ces crimes barbares et innommables passés et présents, que le Coq (du Nahar) continue à se lever pour chanter ou plutôt pour crier la Vérité et la Liberté afin de déchirer ces ténèbres… » Camille M. TARAZI Les empêcheurs de paix Les mêmes larmes, soupirs d’impuissance et hommages vont abonder après le crime lâche et barbare fomenté par les empêcheurs de paix. Les doigts accusateurs vont pointer le président syrien, mais aussi des Libanais inféodés et compromis depuis des décennies. La voix de la rue l’emportera tant qu’elle continuera à affirmer sa détermination face à ce terrorisme inadmissible. Arrêtons d’user de cette langue de bois, au nom d’une diplomatie orientale qui n’a plus lieu d’être. Appelons un terroriste un terroriste, et mettons en œuvre tous les moyens de le lui faire savoir : M. Bachar el-Assad en est un. Certains humoristes diront qu’il était prédestiné à l’être, étant né un 11 septembre (ça ne s’invente pas !). Que tous les Libanais le lui rappellent par leurs actes au quotidien. J’ai pour ma part décidé d’adresser tous les jours un mail à l’ambassade syrienne à Paris (ambassade-syrie@wanadoo.fr) rappelant le nom des dernières victimes libanaises et une phrase : Votre liberté passe obligatoirement par la nôtre. Inondons de mails les ambassades syriennes de par le monde pour leur prouver qu’ils ne pourront plus tarir la « liste noire », en mémoire de ceux qui, en notre nom, ont crié haut et fort : ça suffit ! Pr Jean-Jacques MOURAD (France) Ta voix sera notre voie Aucun mot ne saurait dire tant de douleur. Toute expression tomberait dans la platitude devant cette peine qui nos laboure le cœur. Tu t’es trop exposé, Gebran. Tu as presque arrogamment défié la mort, flirté au quotidien avec le danger. J’étais venu un jour dans ton bureau de l’ancien Nahar où j’ai été fascinée par ta merveilleuse collection de coqs. On a cassé ta plume, on a cassé ta voix, mais ces coqs-là nul ne pourra les museler. De concert avec un vibrato qui crève le ciel, ils reprendront à tout jamais ton magnifique serment. Ce serment poignant jusqu’aux os, Gebran. Lina SINNO
Interdit de pleurer !

Ces mots entreront dans l’histoire, depuis que Ghassan Tuéni les a prononcés à sa descente d’avion. Accueilli par un peuple éploré, qui vient de perdre l’un des défenseurs de la patrie les plus intrépides et les plus efficaces, atteint, lui-même en premier, par un malheur qui dépasse l’entendement, il s’est redressé de toute sa taille et a ordonné...