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LITTÉRATURE Vassili Grossman: centenaire d’un homme, destin hors du commun d’une œuvre

Lorsqu’il présenta à l’édition son œuvre majeure, Vie et Destin, Vassili Grossman fut convoqué en 1961 par l’idéologue du Parti communiste d’URSS, Mikhaïl Souslov, qui lui annonça que son roman ne serait pas publié avant 200 ou 300 ans et qu’il ne reverrait jamais le manuscrit. Le nazisme et la terreur stalinienne avaient métamorphosé Grossman, écrivain soviétique et correspondant de guerre, né il y a un siècle dans une petite ville d’Ukraine, en l’un des plus purs défenseurs de l’homme face au totalitarisme. Vie et destin, une longue fresque de la bataille de Stalingrad et de la vie dans les camps allemands puis soviétiques, fut édité bien avant le délai de Souslov : en 1980, en russe, à Genève. Un ami l’avait sauvé en faisant parvenir un microfilm du manuscrit en Occident. Mais il était trop tard pour son auteur, mort en 1964, à qui la saisie du roman par des hommes des services secrets qui avaient perquisitionné le logement de tous ses amis, allant jusqu’à saisir des bandes de carbone de machine à écrire, porta un coup mortel. En cette période de dégel après la déstalinisation « il espérait pouvoir le publier sans le chapitre sur la ressemblance du stalinisme et du fascisme », a témoigné sa fille Ekaterina Korotkova, 75 ans, dans un entretien accordé à l’AFP. «Il a subi cela comme une catastrophe. Son cancer était une conséquence directe de la saisie du roman», dit-elle. La traduction française reçut le prix du meilleur livre étranger et l’auteur fut acclamé comme un égal du dissident Soljenitsyne par la presse à l’exception du quotidien communiste l’Humanité. Né le 12 décembre 1905, à Berditchev, Grossman entama une carrière d’écrivain en 1934. Dans la plus pure tradition du réalisme socialiste, il contait la vie de l’ouvrier révolutionnaire dans la région industrielle et minière du Donbass où il a exercé son premier métier de chimiste. «Il avait un œil précis et acéré, sa voix sonnait juste», ce qui lui donna dans le contexte de ces années 1930 un «succès mérité » même si « l’idéologie» donnait aussi parfois des «résultats déplorables», notait en 1989 le critique littéraire Simon Markish. «Sa foi sincère dans le talent du peuple le mettait en accord avec la politique littéraire de l’État» de l’époque, dit sa fille. Vie et destin qu’il commença à écrire en 1953 ne fut publié en Union soviétique qu’en 1988, à l’époque de la perestroïka. Les Russes ne découvrirent qu’à ce moment le nouveau Grossman, l’écrivain soviétique devenu antisoviétique, celui qui avait vu l’apparition de l’antisémitisme officiel et meurtrier en URSS après la Seconde Guerre mondiale, qui avait patiemment interrogé d’anciens prisonniers des camps soviétiques. Celui qui dénonçait les horreurs de la collectivisation forcée des campagnes, la famine des années 1930, et surtout faisait un parallèle entre deux États totalitaires qui, sous prétexte de le défendre, écrasaient l’homme. Cet être humain est au centre de son œuvre, il l’observe avec indulgence, tendresse et humour, il cherche en lui «la bonté» et « la liberté», ce qui valut à son roman d’être surnommé le «Guerre et Paix» du 20e siècle. Lorsqu’il a lu les premiers chapitres à quatre ou cinq intimes, «nous avons eu cette sensation qu’il s’était arraché de ses entraves. Il voyait clair depuis longtemps, mais ce qu’il avait compris, il l’avait gardé et puis il s’était mis à écrire», se souvient sa fille. Dans une œuvre ultérieure, Tout passe, il ira jusqu’à démonter froidement l’image de Lénine, intouchable en URSS jusqu’à la perestroïka. Juif « totalement assimilé», «écrivain russe à cent pour cent», il doit sa métamorphose «à sa destinée juive» qui «lui a ouvert les yeux sur le malheur des autres», estimait Simon Markish. Sa propre mère est morte assassinée par l’armée allemande à Berditchev. La dernière lettre à son fils d’une femme médecin juive de Vie et destin doit être lue aujourd’hui, lundi 12 décembre, jour de l’anniversaire de l’écrivain, dans un théâtre de Moscou.
Lorsqu’il présenta à l’édition son œuvre majeure, Vie et Destin, Vassili Grossman fut convoqué en 1961 par l’idéologue du Parti communiste d’URSS, Mikhaïl Souslov, qui lui annonça que son roman ne serait pas publié avant 200 ou 300 ans et qu’il ne reverrait jamais le manuscrit.
Le nazisme et la terreur stalinienne avaient métamorphosé Grossman, écrivain soviétique et...