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Gaza évacuée, mais la colonisation progresse en Cisjordanie Israël se retire pour mieux rester

par Marius CAMPEAN et Jérôme DREVON* Pour la première fois depuis la guerre de 1967, l’armée israélienne s’est retirée entièrement d’un territoire palestinien. Le gouvernement du Premier ministre Ariel Sharon a conclu le désengagement de Gaza le 12 septembre dernier. Même si la bande reste pour l’instant isolée du reste du monde, le progrès politique que le retrait représente est incontestable. Mais un regard plus attentif révélerait que ce départ israélien de Gaza, fort médiatisé, est accompagné par plusieurs avancées de l’occupation dans la Cisjordanie. Des avancées demeurées, elles, silencieuses. En observant les nouvelles confiscations massives de terres palestiniennes autour de Jérusalem, l’avancement du mur de séparation et le flux de nouveaux colons vers la Cisjordanie, on peut redouter que le zèle israélien ne soit que de la poudre aux yeux du monde. Et si Israël ne s’était retiré de Gaza que pour mieux renforcer sa présence en Cisjordanie ? L’armée israélienne et les 8 000 colons juifs évacués qui peuplaient cette étroite bande de terre – 5 % des territoires occupés – ne pèsent pas lourd comparé aux 450 000 colons qui habitent aujourd’hui la Cisjordanie et Jérusalem-Est. Un nombre qui ne cesse de croître : cette année ce sont près de 12 000 colons supplémentaires qui s’y sont installés. Ni l’annexion de Jérusalem-Est ni le changement de facto des frontières séparant l’État israélien des Palestiniens, par le biais de l’implantation continuelle de colonies du côté palestinien de la ligne verte, n’ont été reconnus par la communauté internationale. Pourtant, invoquant ses besoins sécuritaires, Israël mène depuis 1967 une politique de colonisation active en Cisjordanie et d’isolement forcé de Jérusalem du reste des territoires occupés. Le nouveau mur de séparation qu’Israël fait bâtir depuis trois ans entérine les résultats de cette politique sur le terrain. Les grands blocs de colonies israéliennes en Cisjordanie ont déjà été considérés comme des « nouvelles réalités immuables » lors des dernières négociations de paix à Camp David et Taba, en 2000-2001; George W. Bush les traite de la même façon dans sa correspondance récente avec Ariel Sharon. La politique de colonisation en force n’a donc pas tardé à porter ses fruits. Quand à Jérusalem-Est, avec les années elle s’est retrouvée isolée, entourée par une dizaine de colonies israéliennes. À celles-ci s’ajoute l’impact du mur de séparation : une fois coupée, de tous les côtés, du reste de la Cisjordanie, la ville ne pourra que tomber du côté israélien lors d’éventuelles négociations finales – une légalisation forcée après une annexion illégale. C’est précisément au niveau de cette politique du fait accompli sur le terrain jérusalémite et à propos des colonies que les activités israéliennes se sont intensifiées récemment, en parallèle avec le retrait de Gaza. L’instrument principal de cette intrépide entreprise politique est assurément le mur de séparation. Si le mur suivait la ligne verte – ligne de l’armistice arabo-israélien de 1967 – cette énorme entreprise sécuritaire serait encore une politique défendable devant le droit et les opinions publiques internationales. On ne parle d’ailleurs jamais du mur autour de la bande de Gaza. Effectivement, qu’au 21e siècle des murs comme celui de Berlin, de Corée ou de Chine soient justifiables ou non dans l’absolu, Israël a le droit de rendre ses frontières impénétrables. Il pourrait alors considérer que la seule façon de s’assurer contre quelques douzaines de kamikazes provenant de la Cisjordanie est cette forme de « punition collective » dans laquelle des millions de Palestiniens sont enfermés dans leurs territoires. Et effectivement, sensibilisé par les images télévisées de bus, cafés et centres commerciaux israéliens ensanglantés par les attentats des années 2001-2003, le monde occidental pourrait parvenir à la conclusion suivante : tant que ce type de violence contre des civils israéliens perdure, la société palestinienne peut être « mise en quarantaine » dans son entier – de la même façon qu’un pays où on a trouvé la vache folle serait isolé des marchés voisins jusqu’à ce que la maladie disparaisse. Mais le mur est loin de suivre la ligne verte. En fait, la différence entre les 300 km de la ligne verte et les presque 670 km du mur consiste en les incursions qu’il fait dans les territoires palestiniens. Il mord profondément dans les 22 % de la Palestine qui restent de jure aux Palestiniens et il en fait encore passer le dixième du côté israélien. Ceci pour intégrer à Israël les grands blocs de colonies établis dans les territoires palestiniens, comme Ariel, Gush Etzion ou Maale Adumim. Chez les Israéliens, le besoin de sécurité n’est vraisemblablement pas accompagné par une reconnaissance des besoins des Palestiniens – notamment ceux de mobilité et de contiguïté territoriale des terres qui leur restent. Dans un paradigme où la force militaire d’Israël dépasse de loin non seulement celle des Palestiniens, mais aussi celle des pays arabes du Moyen-Orient réunis, le fort ignore depuis longtemps les besoins du faible et peut continuer de le faire pour encore longtemps. Des actions unilatérales – comme l’annexion de Jérusalem-Est après la guerre de 1967 – deviennent la règle du jeu malgré les protestations formelles des autres pays (quoique avec la bienveillance tacite des États-Unis). C’est un jeu cynique, pratiqué par toute une suite de gouvernements israéliens. Depuis 1973, il n’y a pas eu un seul Premier ministre qui n’ait pas permis, voire encouragé, l’élargissement des colonies israéliennes en Cisjordanie, notamment autour de Jérusalem. Prenons l’exemple de Maale Adumim, colonie israélienne qui se situe à 15 km à l’est de la ligne verte séparant Jérusalem-Ouest (israélien) de Jérusalem-Est. Elle se trouve en plein cœur de la Cisjordanie, car entre Jérusalem et la frontière jordanienne le territoire palestinien n’est large que d’une trentaine de kilomètres. Israël a décidé unilatéralement de la garder même dans le contexte d’un futur État palestinien. Le Premier ministre Sharon n’a pas manqué de l’annoncer à maintes reprises, et cela semble entériné dans son échange de lettres avec le président Bush en avril 2004. Pour garder cette colonie, Israël prévoit d’étendre le mur de séparation tout autour de Maale Adumim, ne laissant qu’un microcouloir de 15 kilomètres pour le passage du nord au sud de la Cisjordanie. Dans les faits, quand le mur sera prêt dans cette région, Jérusalem-Est et plus de 150 km2 de territoires palestiniens se retrouveront entièrement enveloppés du côté israélien. Outre le fait qu’un futur État palestinien ne pourrait pas être viable dans les conditions d’une contiguïté territoriale gravement réduite par le mur, le prix payé par les Palestiniens est de plus un prix immédiat : le mur sépare des villages jérusalémites de leurs terres arables, des employés de leurs lieux de travail, des étudiants de leurs écoles, des commerçants de leurs marchés, des pèlerins de leurs lieux saints. Paradoxalement, il est plus facile pour un chrétien argentin de venir prier au Saint-Sépulcre ou pour un musulman indonésien sur l’esplanade des Mosquées, que pour un Palestinien qui habite à seulement 15 km du cœur de la vieille ville de Jérusalem. Quand on regarde l’action destructrice de l’occupation israélienne dans tous les secteurs de la vie des Palestiniens, on se demande effectivement si la partie israélienne pense sérieusement à faire une paix viable ou bien ne veut que prolonger le statu quo de l’occupation à l’infini – ou jusqu’à ce que « la Palestine devienne la Finlande », au dire de Dov Weisglass, conseiller d’Ariel Sharon pour la politique étrangère. Les jeunes Palestiniens comprendraient alors que l’exil reste leur seule voie viable. Ce 18 août, Israël a mené à son terme l’évacuation de 65 km2 de colonies à Gaza dans l’émoi d’un public mondial touché par les larmes des enfants d’Israël, qui refusaient de rendre la terre prise par leurs parents à leurs propriétaires Palestiniens légitimes. Le même jour, les autorités israéliennes ordonnaient l’expropriation de 67 km2 de terres, 2 km2 de plus que la zone évacuée, pour compléter le mur autour de Maale Adumim, avec l’intention déclarée de le relier à Jérusalem par une nouvelle colonie. Ainsi, toute prétention future des Palestiniens à une partie de la Ville sainte serait rendue caduque par son encerclement total. S’il s’est bien retiré de Gaza, Israël ne cesse pourtant pas de s’étendre dans la Cisjordanie, tout en annexant Jérusalem-Est et encore 10 % des terres palestiniennes de 67. On peut se demander si, à l’abri d’un discours antiterroriste qui s’est développé depuis le 11 septembre, l’État hébreu n’est pas en train d’agrandir de façon machiavélique ses territoires pour ensuite se laver les mains en abandonnant les Palestiniens qui demeureront de l’autre côté du mur de séparation. C’est à ces Palestiniens à qui manquent éducation, soins de santé, marchés, lieux saints et même leur capitale historique, logique et légitime que le monde demande de renoncer à toute résistance armée. Mais le monde ne parvient pas à comprendre qu’un esprit raisonnable généralisé à l’échelle de la société palestinienne ne saurait pas émerger du désespoir inhérent au témoignage vécu d’une mort annoncée – la mort lente et continuelle d’un rêve national viable. * Marius Campean, doctorant en sciences politiques à l’EHESS (Paris) et McGill (Montréal), est en stage de formation à Ramallah, auprès de l’Agence canadienne de développement international. Jérôme Drevon est étudiant en relations internationales à l’IUHEI de Genève.
par Marius CAMPEAN et Jérôme DREVON*

Pour la première fois depuis la guerre de 1967, l’armée israélienne s’est retirée entièrement d’un territoire palestinien. Le gouvernement du Premier ministre Ariel Sharon a conclu le désengagement de Gaza le 12 septembre dernier. Même si la bande reste pour l’instant isolée du reste du monde, le progrès politique que le retrait...