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THÉÂTRE - «Mademoiselle Julie», de Strindberg, à la salle Gulbenkian (LAU) L’amour peut-il abattre toutes les barrières?

Une œuvre dense, un texte aux contrastes subtils, une sexualité à fleur de peau, une lutte des classes, un conflit de pouvoir dans la parité homme-femme mais, avant tout, c’est d’une absolue performance d’acteurs qu’il s’agit dans Mademoiselle Julie de Strindberg. On ne touche pas impunément à ce monument dramaturgique, aussi bien convoité pour ses richesses scéniques que pour l’aura d’un brillant numéro d’acteur. Si tous ses ingrédients ne sont pas nettement mis en valeur par les feux de la rampe, et cela requiert sans nul doute une belle maturité et une ardeur au travail, c’est le désastre. Et c’est le cas avec les étudiants de la LAU qui ont voulu produire au théâtre Gulbenkian, dans une mise en scène signée Rasha Joukhadar, cette œuvre ambitieuse, explosive et d’une torride sensualité, sans avoir les moyens du métier. Une jeune demoiselle bourgeoise qui boit sec et s’envoie en l’air avec un valet de cuisine, c’était un sujet tabou et scandaleux en 1870. Aujourd’hui, avec la libération de la femme, le laxisme sexuel ambiant et l’abattage des barrières sociales, le sujet est moins sulfureux et appelle moins à l’opprobre. Mais reste cette admirable atmosphère du Suédois Strindberg, père de l’expressionnisme, où entre lumière et pénombre, entre non-dit et crudité de langage, entre désirs des corps et convenances sociales, entre pulsions secrètes et francs aveux, entre neurasthénie et frustration, entre ordre et désordre, est brossé un émouvant portrait de femme qui rêve d’émancipation et de liberté. Mademoiselle Julie, jeune aristocrate tout en dentelle et robe froufroutante, en ce soir d’été où les jeux sont innocents, rentre dans la cuisine et pique Jean, un valet en frac et bottes ranger, pour danser avec lui… Contact qui mène vers une «coucherie» (aujourd’hui on dirait sans complexe un «one night stand» sans conséquence!) mal assumée, d’où naît un couple difforme que tout sépare… Dans le violent déballage verbal des deux amants se révèle la personnalité autoritaire et vulnérable d’une bourgeoise qui étouffe dans l’emprisonnement de sa classe et un valet rustre et grossier aux appétits de gigolo à peine camouflés... Mais rien ne sera tranché et la fuite improbable des deux fugueurs demeure virtualité. Julie est rattrapée par le puritanisme pudibond et lui, mufle imperturbable, servant avec dévotion ses maîtres dont il cire les bottes sans états d’âme... Une étoile a regardé une vermine et on en reste là… Entre-temps tout a été dit et les êtres, mal dans leur peau, se sont tragiquement effleurés. Pour tout cet éruptif baril de poudre, il aurait fallu le talent fou de deux comédiens pour remplir l’espace des cris (et surtout de quelques éloquents silences!), d’amour, de haine, de révolte, de solitude, de désarroi… Mais rien de cela n’arrive. On reste sur un ton monocorde et neutre d’acteurs à des milliers de kilomètres de leurs personnages malheureux et machiavéliques. Notamment Mademoiselle Julie (campée par Yasmine Moustafa, une jeune actrice au visage agréable, mais manquant totalement de présence et d’expression) dont la voix aux confins nasillards est d’une agaçante persistance dans ses jérémiades aux velléités autoritaires. Quant au valet Jean (incarné par Nadim Bedrane), au ton invariablement récitatif, il manque de machisme et d’une rude sensualité. Seule la corpulente bonne Christine (Haniya Akl), malgré une attitude robotisée, a quelques éclats de vie. Et, une fois de plus, l’anglais utilisé par les acteurs est non maîtrisé et d’une rapidité de métronome lâché à bride abattue. Décor simple et efficace, avec deux agréables interludes musicaux dont la Forza del destino de Verdi. Un huis clos étouffant, où le verbe de Strindberg, malgré tout, entre maintien respectable et enfer de la chair (les deux mal traduits et peu perçus sous les feux des sunlights), a des résonances inquiétantes. Mais bien sûr on ne demande pas aux étudiants inexpérimentés ce que l’on exige des comédiens rompus au métier. Et c’est pour cela, la voix de Strindberg, en dépit de tout, a une certaine présence et éveille tous les démons du bonheur et des illusions du contentement et de l’amour. Edgar DAVIDIAN
Une œuvre dense, un texte aux contrastes subtils, une sexualité à fleur de peau, une lutte des classes, un conflit de pouvoir dans la parité homme-femme mais, avant tout, c’est d’une absolue performance d’acteurs qu’il s’agit dans Mademoiselle Julie de Strindberg. On ne touche pas impunément à ce monument dramaturgique, aussi bien convoité pour ses richesses scéniques que pour...