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Actualités - OPINION

Commentaire La laïcité : une exception française ?

Par Raphaël Hadas-Lebel* La France s’apprête à célébrer le centenaire de la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l’État, alors qu’elle vient de connaître deux semaines de troubles sérieux dans ses banlieues. Bien qu’il n’y ait pas de lien direct entre les deux événements, les controverses renouvelées autour de la laïcité et de l’islam illustrent les passions qu’a toujours provoquées en France la relation entre la religion et l’État. C’était déjà vrai au Moyen-Âge, quand les légistes de Philippe le Bel s’évertuaient à asseoir la prééminence du pouvoir royal sur l’Église de France. Ce furent ensuite les sanglantes guerres de religion entre catholiques et protestants. La Révolution française, nourrie par l’esprit des Lumières, allait enfin jeter les bases de la liberté de conscience et de religion, tout en nourrissant un conflit durable avec le catholicisme traditionnel. Une organisation plus équilibrée des rapports entre les Églises et l’État devait être provisoirement trouvée, avec le Concordat conclu en 1801 entre Bonaparte et Pie VII et encore appliqué aujourd’hui en Alsace et dans une partie de la Lorraine. Tout au long du XIXe siècle, cependant, la place de la religion catholique dans l’État n’a cessé de donner lieu à de rudes combats, notamment à propos de l’enseignement, entre cléricaux et anticléricaux, qui exprimaient en réalité un conflit plus fondamental entre partisans de la République et défenseurs d’un retour à l’ordre ancien. La loi de 1905 n’est donc que le point d’aboutissement d’une longue évolution. Défendu avec modération par son rapporteur Aristide Briand, ce texte fondateur de la laïcité a pu être perçu comme une loi de combat, mais s’est révélé être plutôt une loi d’apaisement. Son article 1er proclame que la République assure la liberté de conscience et « garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées (…) dans l’intérêt de l’ordre public ». Son article 2 précise que « la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ». L’État, tout en garantissant le libre exercice des cultes, ne s’immisce pas dans le fonctionnement des différents cultes. La liberté du culte doit cependant se combiner avec le maintien de l’ordre public : la jurisprudence du Conseil d’État, fort libérale en la matière, a enraciné le principe selon lequel des restrictions liées à l’ordre public sont légitimes, à condition de ne pas avoir pour effet d’entraver la pratique du culte. La loi de 1905 marque ainsi un équilibre entre deux finalités : rejet de tout contrôle de l’État sur les religions et, dans le même temps, rejet de toute mainmise des religions sur l’État. Par rapport aux autres pays européens, la France, du fait de son expérience historique, apparaît comme une exception, en ce qu’elle est la seule à affirmer sa laïcité dans un texte constitutionnel, là où la Loi fondamentale allemande se réfère à Dieu et la Constitution irlandaise à la Sainte-Trinité. S’agissant de l’organisation des rapports entre la religion et l’État, l’Europe connaît une extrême diversité, depuis les pays comportant une Église d’État (Royaume-Uni, Danemark, Finlande, Grèce), jusqu’aux pays qui, comme la France, affirment leur laïcité (les Pays-Bas), en passant par ceux qui assortissent le régime de séparation d’un traitement particulier pour certaines confessions (Espagne, Italie, Irlande, Suède, Portugal) ou prévoient un système de reconnaissance de certaines confessions (Allemagne, Belgique, Autriche, Luxembourg). Mais ce qui frappe, au-delà de la variété des solutions juridiques retenues dans les pays occidentaux, qui sont toujours le fruit de l’histoire, c’est l’existence d’une approche très largement convergente exprimant des valeurs fondamentales communes : la liberté religieuse, le pluralisme, la neutralité de l’État, qui n’exclut pas son intervention si celle-ci est justifiée par un but légitime, notamment en matière d’ordre public. Cette vision apaisée de la laïcité allait être remise en question, ces dernières années, du fait du développement de l’islam en France. Deuxième religion de France quant au nombre de fidèles, l’islam éprouve une difficulté à s’insérer dans le système actuel d’organisation des cultes. C’est pour l’y aider que l’État a suscité la création d’un organe représentatif de toutes les composantes des communautés musulmanes. Dans ce contexte, on a sans doute accordé une portée excessive à la législation récente concernant le port d’insignes religieux à l’école. La revendication du « foulard islamique » apparaissait à beaucoup, et notamment à une partie majoritaire du corps enseignant, comme l’expression d’un mouvement organisé, comportant aussi d’autres revendications touchant à l’enseignement, et tendant à remettre en cause la neutralité religieuse de l’école et parfois même à contester, comme jadis l’Église, certains principes hérités de l’ère des Lumières. Il est donc apparu nécessaire au législateur de signifier un coup d’arrêt à ces dérives communautaristes au sein de l’appareil scolaire. Après deux ans d’expérience, l’application de cette loi apparaît comme un incontestable succès. C’est encore la prise en compte de la place de l’islam, en particulier la solution du problème du financement de la construction des mosquées, qui est à l’origine du débat, qui se développe aujourd’hui, sur l’opportunité d’apporter des modifications à la loi de 1905, regardée depuis cent ans comme un pilier de la République. La propension habituelle de la politique française aux débats idéologiques donne une importance probablement démesurée à cette controverse. Ces questions appellent un examen pragmatique. Il n’y a vraiment plus de place en France à une nouvelle guerre de religion, alors que la laïcité n’apparaît même plus, quand on la compare à la pratique des autres États démocratiques, comme une véritable exception française. * Raphaël Hadas-Lebel est professeur à l’Institut d’études politiques de Paris. Il est notamment l’auteur d’un livre intitulé Les 101 mots de la démocratie française. © Project Syndicate, 2005
Par Raphaël Hadas-Lebel*

La France s’apprête à célébrer le centenaire de la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l’État, alors qu’elle vient de connaître deux semaines de troubles sérieux dans ses banlieues. Bien qu’il n’y ait pas de lien direct entre les deux événements, les controverses renouvelées autour de la laïcité et de l’islam illustrent...