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Actualités - CHRONOLOGIE

L’Âge d’homme-Dar an-Nahar publient une somme de témoignages sur l’une des grandes figures maronites du XXe siècle Youakim Moubarac, un éclaireur de la « maronité », de l’arabité et du dialogue avec l’islam

Présenté au Salon du livre au cours d’une table ronde présidée par l’ambassadeur de France, Bernard Émié, et animée par Farès Sassine, le dossier sur Youakim Moubarac (1924-1995), paru chez L’Âge d’homme-Dar an-Nahar, fait partie de ces ouvrages de référence indispensables pour ceux qui veulent avancer dans la connaissance d’un homme et d’une pensée qui ont joué un rôle fondamental, comme ferment de vérité et de renouveau, dans l’histoire de l’Église maronite contemporaine et du Liban. Il est comme cela des éclaireurs, des pionniers dans la vie de l’Église. Ils travaillent dans la broussaille pour tracer un sentier à leurs suivants. Ce ne sont pas des saints, mais sur leur visage se voit quelque chose de la lumière. Tel est Youakim Moubarac. Sa vie n’a rien de spectaculaire. Il a vécu entre le Liban et la France, se dépensant ici et là au service de la vérité. C’est surtout une aventure de l’esprit qu’il a vécue, un service intellectuel et spirituel qu’il a rendu à son Église d’abord, au Liban ensuite et enfin au dialogue avec l’islam. Il a défriché les terres inconnues d’un passé syriaque oublié, recouvert par la poussière des siècles, et remis à jour les trésors délaissés d’un patrimoine ecclésial terni auquel seuls se comparent les héritages latin et grec, que l’histoire nous a légués intacts. L’ouvrage est publié par l’Association des amis de Youakim Moubarac, créée à Paris, dont le but est de « faire connaître l’œuvre de Youakim Moubarac et de favoriser les travaux sur sa pensée et ses engagements ». Il a été réalisé sous la direction de Jean Stassinet et comprend des contributions d’une cinquantaine d’auteurs et chercheurs libanais et français, ainsi que des textes, lettres et préfaces d’auteurs aujourd’hui disparus. Le livre s’ajoute, sans la remplacer, à l’étude consacrée à Youakim Moubarac par Georges Corm et donne une idée de son œuvre, dispersée entre diverses maisons d’édition (Cénacle libanais, Cariscript, Université libanaise, etc.) et introuvable. La table ronde de présentation de l’ouvrage réunissait, autour de Bernard Émié, Mgr Boulos Matar, Ghassan Tuéni, Mgr Georges Khodr, Carole Dagher, Farès Sassine et Jean Stassinet. Chacun à sa manière, ces derniers ont esquissé le portrait d’un homme pour lequel le Liban était « le fils aîné de la convivialité », une image éloquente qui renvoie à la célèbre proposition faisant de la France « la fille aînée de l’Église ». C’est au poète de la « négritude », le grand homme d’État sénégalais Léopold Sedar Senghor que l’on doit le terme « arabité », que Youakim Moubarac a été l’un des premiers à reprendre. Ce concept permettait de clarifier ce qui, dans la culture de notre monde, est proprement arabe, avec toutes les nuances et apports que cette civilisation a pu recevoir, notamment de la culture syriaque et hellène, de ce qui est islamique. Et cela, sans dérogation à l’égard de l’islam, pour lequel Moubarac revendiquait, en disciple du grand arabisant et islamisant Louis Massignon, le rang de religion révélée. Un incompris Youakim Moubarac fut l’un des plus ardents artisans d’un « aggiornamento » de l’Église maronite, sur le modèle de Vatican II, ce qui lui valut d’abord bien des incompréhensions et sourdes hostilités. De fait, et le mot est de Carole Dagher, « être maronite n’est pas une sinécure ». Il y travailla d’arrache-pied à partir de 1985, mais vit son projet retardé par la convocation du synode sur le Liban par Jean-Paul II. Son travail fut repris et développé par l’Église maronite à l’occasion du synode patriarcal maronite ouvert en 2003, aujourd’hui dans sa phase finale. Le témoignage de l’archevêque maronite de Beyrouth, Boulos Matar, sur ce point, doit être relevé. Associé au père Moubarac dans la préparation de ce travail, ce dernier devait affirmer : « Avec nos amis français, nous aussi avons rêvé sur cette terre du Liban et du Moyen-Orient de liberté, d’égalité et de fraternité (…). Cependant, la pensée de Moubarac et de ses pairs a renversé l’ordre des mots, car il était conscient, et c’est cela sa nouveauté, que liberté et égalité chez nous devaient être réclamées et trouvées au cœur de la fraternité (…) Il fallait en priorité mettre le cap sur la fraternité réelle des familles spirituelles de notre Orient, celles des chrétiens et des musulmans. » « Moubarac, ajoute Matar, voulait que les Orientaux œuvrent intellectuellement et socialement à leur réconciliation interne, par leur reconnaissance les uns des autres. » Sur Moubarac, l’homme, les témoignages sont encore plus émouvants que sur Moubarac, le chercheur. C’était, pour Mgr Georges Khodr, « un aristocrate de la pensée qui était resté un de ces “doux” auquel la terre est promise en héritage, un témoin de la vérité, un homme de Dieu à qui bien des hommes doivent d’avoir été rattrapés par la grâce ». Sa curiosité intellectuelle et son ouverture, sa capacité d’écoute, son sens indéfectible de l’amitié, son élégance morale et même son accablement devant l’échec répété de ses « utopies politiques » en dressent un portrait émouvant. Son enracinement et, à la fois, son déracinement feront dire à Jean Stassinet : « C’était un constructeur de ponts, mais on ne sait pas très bien où vont ces ponts ?... » Moubarac était aussi un mystique. En 1995, il entrait pour toujours dans la « chambre nuptiale » de la rencontre avec l’aimé, au son de la « prière du cœur » qu’il avait demandée à ceux qui le veillaient de répéter. On a fait de Moubarac un « Araméen errant », et encore « l’homme de toutes les déceptions, un passionné dont toutes les causes ont été perdues ». Peut-être, mais les pieds des éclaireurs ne pataugent-ils pas toujours dans la boue ? Fady NOUN
Présenté au Salon du livre au cours d’une table ronde présidée par l’ambassadeur de France, Bernard Émié, et animée par Farès Sassine, le dossier sur Youakim Moubarac (1924-1995), paru chez L’Âge d’homme-Dar an-Nahar, fait partie de ces ouvrages de référence indispensables pour ceux qui veulent avancer dans la connaissance d’un homme et d’une pensée qui ont joué un rôle...