Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

COMMENTAIRE Les leçons de la Perestroïka, vingt ans après

Par Gavril POPOV* Vingt ans après les débuts de la Perestroïka sous la direction de Mikhaïl Gorbatchev, nombreux sont ceux qui se plaignent de la lenteur des réformes en Russie sous l’égide du président Vladimir Poutine. Pourrait-il en avoir été autrement ? Cela ne devrait pas nous surprendre, car les époques tumultueuses de MM. Gorbatchev et Eltsine ont épuisé le pays. Qui peut donc blâmer les Russes de souffrir de la fatigue des réformes ? Si la Russie veut donc se remettre sur pied, il faudra bien plus de réformes. Pourtant, avant qu’un nouveau cycle de réformes ne puisse commencer, il faudra assimiler certains principes de base sur les capacités politiques de la Russie. La première question que tout réformateur russe potentiel devra poser de nos jours (et que nous n’avons pas posée lors de la Perestroïka sous M. Gorbatchev) est : la société est-elle prête à endurer les maux passagers qu’impliquent les réformes, et dans quelle mesure est-elle prête à endurer ces maux ? L’expérience de la Perestroïka souligne l’importance de cette question. La Perestroïka s’est déroulée à un moment unique de l’histoire russe. Les grandes réformes du passé, notamment la libération des serfs en 1861, furent le résultat de nombreuses années de débats chez les Occidentaux, les slavophiles et bien d’autres. Les révolutions de 1905 et de 1917 se sont également produites au moment où ces débats cessèrent et où tout le monde savait à quoi s’en tenir vis-à-vis des positions respectives de chacun. En fait, j’ai même lu un jour que la première nomination de Staline à un poste-clef au sein du parti était le résultat d’une erreur. Il est pourtant bien évident que le parti savait qui était Staline. Quand ils lui firent confiance et lui confièrent la responsabilité de rassembler l’Assemblée constituante, les Bolcheviks savaient ce qu’ils voulaient faire de cette Assemblée parce qu’ils savaient que Staline n’était pas du genre à se laisser arrêter par quoi que ce soit. La Perestroïka fut différente parce que les débats n’avaient pas cessé, et en fait, des débats sans fin faisaient rage sur ce que M. Gorbatchev devait entreprendre. En outre, en Russie, toutes les époques précédentes de réformes et de révolutions étaient connectées à certains modèles historiques. La Perestroïka ne bénéficiait d’aucun précédent historique de la sorte. Le passage du socialisme d’État à une société postindustrielle ne s’était jamais produit ailleurs. De ce fait, la Perestroïka se réalisa dans ce vide. Malheureusement, cette expérience se répète. Plusieurs leaders politiques issus de différents partis politiques font des apparitions éclair sur les écrans de la télévision russe, mais il n’y a aucun débat national véritable sur le chemin que doit prendre le pays pour aller de l’avant. Nous n’avançons pas vers un choix issu de nombreuses discussions. Le programme de la réforme est la seconde leçon de la Perestroïka. Après vingt ans d’une évolution époustouflante, la Russie n’a toujours pas connu de véritable programme de réforme constructif. Pour utiliser une expression moderne, nous ne possédons pas de « feuille de route ». Quasiment tout le monde sait ce qui n’est pas acceptable et ce qui doit être éliminé. Mais nous ne savons tout simplement pas comment remplacer ce que nous voulons changer. La sortie du socialisme fut bien sûr un événement sans précédent. Une grande partie de ce que le socialisme avait bâti a dû être défaite. Mais cela se fit à l’aide de slogans et non pas d’un programme de changement que les citoyens russes ordinaires pouvaient comprendre et accepter. Nous ne connaissons que les débats sans fin, mais pas les alternatives pratiques à discuter et à décider. Une des raisons pour lesquelles les débats sur la réforme de la Russie sont si pauvres tient au fait que le pays manque de partis politiques cohérents. Durant la Perestroïka et sous la présidence de M. Eltsine, notre héritage était fait d’une haine et d’une peur largement partagées à l’encontre du Parti communiste, et de toute sa force et sa puissance. Cette peur s’étendait à tous les partis politiques et bloqua dans l’ensemble le désir de créer des partis puissants. Cette défiance envers les partis politiques en tant que tels impliquait finalement qu’il n’y eut aucun corps constitué dans tout le pays prêt à mettre en place un programme de réforme cohérent et bien pensé. Les réformes furent plutôt décrétées d’en haut, sans bénéficier d’aucun soutien populaire, et de ce fait, sans aucune durabilité à long terme. Tout ce dont nous disposions étaient les appels directs à la rue et aux masses plutôt que les encouragements d’un véritable consensus social. Une méthode aussi directe est source d’autoritarisme. Nous devons reconnaître cela et comprendre que cela se produit non seulement quand le public est apathique ou effrayé, mais aussi quand aucun garde-fou stable, tel un parti politique puissant, ne se détache pour choisir les leaders et les contrôler. Ainsi, la Russie est maintenant confrontée à une situation où l’élection présidentielle est la seule véritable question politique. En réalité, la Russie a besoin d’organisations sociales et politiques indépendantes et puissantes qui n’hésiteraient pas à dire : dans chaque élection présidentielle, certaines choses doivent être réalisées pour diriger les politiques, afin de renvoyer au second plan la question de savoir qui doit être président. Dans ce sens, les efforts récents de M. Poutine pour assurer un contrôle plus serré de l’État sur les organisations privées sont particulièrement inquiétants. La dernière leçon de la Perestroïka, et la plus vitale, concerne le rythme des réformes et les attentes de la société. En un mot, le gouvernement doit aller à la rencontre du peuple et faire la moitié du chemin. Il ne peut pourtant pas réduire également la réforme à une somme nulle pour se faire bien voir des masses. C’est un chemin risqué à suivre, mais c’est aussi le seul qui en vaille la peine. En fait, la Perestroïka et les années de réforme qui suivirent ont fait la preuve que le simple suivi des structures formelles du modèle occidental de démocratie n’est pas suffisant si la Russie veut voir les réformes mises en place de manière cohérente. Car ce modèle, comme nous l’avons vu en Russie, mène à une démocratie populiste et à des réformes timides. Le pays a besoin d’un engagement plus profond envers la réforme, engagement qui ne sera possible qu’à partir du moment où ses institutions s’adresseront au public russe dans le cadre d’un débat ouvert qui nous a manqué jusqu’à présent. Nous devons dire adieu à la démocratie populiste afin de nous en débarrasser et embrasser ce que la démocratie a toujours représenté : l’engagement de tous les citoyens dans la gestion de leur gouvernement. * Gavril Popov, ancien maire de Moscou, est président de l’Université internationale de Moscou. © Project Syndicate 2005. Traduit de l’anglais par Catherine Merlen.
Par Gavril POPOV*

Vingt ans après les débuts de la Perestroïka sous la direction de Mikhaïl Gorbatchev, nombreux sont ceux qui se plaignent de la lenteur des réformes en Russie sous l’égide du président Vladimir Poutine. Pourrait-il en avoir été autrement ? Cela ne devrait pas nous surprendre, car les époques tumultueuses de MM. Gorbatchev et Eltsine ont épuisé le pays. Qui peut...