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Actualités - CHRONOLOGIE

Les corps auraient été transportés par l’armée syrienne et enterrés ailleurs, ou même brûlés

Un ancien responsable de l’armée libanaise qui a participé à la bataille du 13 octobre 1990 témoigne. Après avoir gardé profil bas durant plus de 10 ans dans l’institution militaire, après avoir été écarté des missions importantes, il tient à garder l’anonymat. Lui aussi, après l’invasion syrienne, il s’est caché, par peur de représailles, mais aussi pour épargner sa famille. Ce responsable a mené sa propre enquête. Il estime qu’il n’existe pas de charnier à proximité du couvent de Deir el-Kalaa. Il en explique la raison à L’Orient-Le Jour. « La bataille était rude ce jour-là. Preuve en est le nombre élevé de victimes syriennes, après les combats. Les soldats libanais postés à Deir el-Kalaa étaient de simples observateurs », raconte le responsable militaire. Des renforts sont montés de Kafra pour leur prêter main-forte, mais ils ont été appréhendés par les forces syriennes. C’est devant l’église Mar Sassine qu’a eu lieu la grosse bataille. Les pertes libanaises étaient importantes. Mais certains soldats ont pu s’enfuir. Sauvé par un officier libanais L’armée syrienne avait rassemblé ses morts sous un énorme chêne à proximité du mur d’enceinte du couvent de Deir el-Kalaa. Elle avait également regroupé au même endroit les soldats libanais faits prisonniers à Monteverde, Beit-Méry et dans les environs. « Le commandant du régiment 47 de l’armée syrienne, qui avait mené l’attaque sur le secteur, le général Mohsen Salloum, est arrivé sur les lieux, après la bataille, en compagnie de deux officiers de la première brigade de l’armée libanaise. Le général syrien a alors demandé à ses hommes quel avait été le rôle des prisonniers dans la bataille. Après avoir entendu la réponse, il a ordonné qu’on les liquide sur-le-champ. Mais l’un des deux officiers libanais s’est dépêché d’intervenir, expliquant que les soldats n’avaient fait qu’exécuter les ordres de leurs supérieurs, promettant que les soldats seraient jugés. L’autre officier libanais a même demandé au général syrien de lui remettre un soldat qui avait servi avec lui, quelques années plus tôt. C’est ce dernier soldat sauvé in extremis qui a raconté cet épisode de la journée du 13 octobre 1990 », indique le responsable de l’armée libanaise. Et de raconter aussi l’épreuve traversée par un soldat libanais blessé à l’oreille et à la fesse, mais qui a été capable de prendre la fuite le lendemain. Un soldat libanais que le responsable refuse de nommer, mais dont les propos correspondent presque mot pour mot à ceux du soldat Dory Nammoura, dont nous avons rapporté le témoignage. « Atteint de blessures légères, le soldat s’est enfui à travers bois en direction de la vallée. Il est ensuite remonté vers le village et est entré dans une maison. Il était uniquement vêtu d’un caleçon. Après avoir été soigné et revêtu d’habits civils par la famille qui l’a hébergé, le soldat a indiqué que l’armée syrienne l’avait déshabillé ainsi que tous les prisonniers de l’armée libanaise. Il a raconté comment ils avaient été conduits, les yeux bandés, les mains menottées, dans une fosse attenante au couvent de Deir el-Kalaa où l’armée syrienne les avaient mis les uns sur les autres avant de les mitrailler. Par pur hasard, ce soldat se trouvait sous les autres. S’il n’a été que légèrement atteint, c’est que les corps de ses camarades lui ont servi de rempart. Lorsque le feu s’est arrêté, un soldat syrien a proposé de lancer quelques grenades à main, mais un autre soldat l’en a empêché, assurant qu’ils étaient tous morts. Après le départ des Syriens, le soldat encore en vie a dû pousser les corps de ses compagnons morts qui le couvraient pour pouvoir se dégager du charnier. Il s’est enfui en direction de la vallée, alors qu’un autre soldat qui a eu, lui aussi, la vie sauve, a pris une autre direction. Ce n’est que le lendemain que le soldat a été hébergé par une famille de Beit-Méry, qui a organisé sa fuite et sa prise en charge. » Une odeur insoutenable « Trois jours plus tard, si je me rappelle bien, poursuit le responsable de l’armée, un des officiers libanais s’est présenté devant moi, m’annonçant qu’il recherchait les soldats libanais disparus. Je lui ai alors indiqué l’emplacement exact évoqué par le soldat rescapé que j’avais contribué à évacuer. » L’officier s’est rendu sur le lieudit, mais un officier syrien a tenté de l’en empêcher, niant la présence de soldats libanais. Devant l’insistance de l’officier libanais, le Syrien a fini par céder. « L’officier libanais a alors remarqué une fosse, récemment recouverte de sable et envahie de mouches. Une odeur insoutenable se dégageait de l’endroit. L’officier libanais a alors demandé au Syrien de lui prêter quelques soldats syriens pour fouiller les lieux, mais ce dernier a refusé catégoriquement, lui disant d’emmener lui-même son équipe le lendemain. Mais quelques heures après le départ de l’officier libanais, alors qu’il faisait déjà noir, un camion syrien recouvert d’une bâche a traversé la région du couvent de Deir el-Kalaa en direction de l’église Mar Sassine. Une odeur insoutenable s’en dégageait, à tel point que les habitants de la rue encore éveillés, les soldats libanais du premier bataillon ainsi que les sentinelles en ont été fortement indisposés. Un habitant de la vallée sous Deir el-Kalaa m’a contacté, le soir même, pour me dire qu’il ne sentait plus aucune odeur », poursuit encore le responsable. En effet, le lendemain, la fosse avait retrouvé son état normal et l’odeur qui s’en dégageait avait disparu, de même que les mouches. Le responsable militaire libanais se pose alors la question : « Où ont été jetés ou enterrés les corps ? Où ont-ils été brûlés ? » En fait, l’incinération des corps des soldats assassinés le 13 octobre 1990 demeure une éventualité. Un témoin a indiqué avoir vu de la fumée se dégager de la région de Monteverde, le lendemain de la disparition des corps. De même, raconte le responsable militaire, « le commandant des troupes syriennes de la région a lancé un jour, à l’intention des pères antonins, qu’il est possible que les deux prêtres qui se trouvaient au couvent et qui sont toujours portés disparus aient été incinérés, eux aussi, avec les soldats syriens qui ont péri brûlés après la bataille ». Aujourd’hui le mystère reste entier, car le sujet des disparus de l’armée libanaise est encore tabou. Il n’en reste pas moins que les langues commencent à se délier, même si la peur, elle, est encore vivace. Dossier réalisé par Anne-Marie EL-HAGE
Un ancien responsable de l’armée libanaise qui a participé à la bataille du 13 octobre 1990 témoigne. Après avoir gardé profil bas durant plus de 10 ans dans l’institution militaire, après avoir été écarté des missions importantes, il tient à garder l’anonymat. Lui aussi, après l’invasion syrienne, il s’est caché, par peur de représailles, mais aussi pour épargner sa...