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Actualités - OPINION

LE POINT Les mauvais calculs

Oubliez un pays à feu et à sang du fait des attentats, et qui s’enfonce inexorablement dans l’horreur ; oubliez le scandale de la sous-traitance des prisonniers de guerre par des services spécialisés un peu partout en Europe, en Afrique et même dans certains États membres de la Ligue arabe, ou encore la honte de Guantanamo et d’Abou Ghraib ; oubliez les tours de passe-passe des boutiquiers de Halliburton and Co. Tout cela, aujourd’hui, se trouve relégué au second plan des préoccupations de ceux qui ont pris la décision de mener cette infortunée expédition mésopotamienne. Vont-ils ou non se retirer, et dans l’affirmative, totalement, partiellement ou par étapes, avec ou sans leurs alliés britanniques, japonais et autres ? Surtout, oui surtout, quand ? Telles sont les questions que l’on se pose dans toutes les chancelleries, mais aussi dans les salles de rédaction et au niveau de ce qu’il est convenu d’appeler l’homme de la rue, celui qui continue de servir de chair à canon – ou plutôt à voiture piégée – et qui continue de payer de ses deniers cette guerre absurde – au fait, y aurait-il des guerres intelligentes ? « Nous comptons, mais ne pouvons garantir, que notre présence militaire sur le terrain va changer l’année prochaine » : après des semaines de suspense, le Conseil de sécurité nationale auprès de la Maison-Blanche a servi hier à une opinion publique avide de savoir de quoi demain sera fait un document intitulé « La stratégie pour la victoire en Irak » dans lequel, en 35 pages, il réussit le tour de force de rendre plus épais encore le mystère entourant les intentions de la Maison-Blanche. Quelques heures plus tard, le chef de l’Exécutif lui-même entreprenait d’expliquer les grandes lignes de sa stratégie dans un discours prononcé à l’Académie navale d’Annapolis. Sans en dire davantage. Des bribes d’informations lâchées à ce jour, il ressort que Washington va rappeler, vers le milieu de 2006, une partie de son contingent, soit près de 30 000 hommes. Personne cependant n’a pris la peine d’expliquer que le Pentagone ayant porté auparavant à 160 000 le nombre de ses GI engagés dans les combats, en prévision du scrutin du 15 décembre, amputant ainsi le gros des troupes, comme on le laisse entendre, se traduira tout simplement par un retour (à quelques milliers près) au chiffre initial de 138 000 soldats. Chapeau, l’adjudant-comptable dont Donald Rumsfeld s’est attaché les services ! La raison du souci soudain de cette vague transparence de l’Administration républicaine, il faut la chercher dans la guérilla que lui livrent l’opposition démocrate et les grands journaux, et dans le fait que les sondages donnent depuis quelque temps de sérieuses inquiétudes aux caciques du Grand Old Party. La cote de popularité du président a atteint, avec 35 pour cent d’avis favorables, un niveau proprement alarmant, laissant craindre le pire pour l’élection de l’an 2008 et pour les « Mid Terms » qui doivent la précéder. La grogne a gagné les rangs des législateurs, hier encore favorables à la guerre. C’est ainsi que le 15 novembre, la Chambre haute a voté, par 79 voix contre 19, un amendement présenté par John Warner (sénateur républicain de l’État de Virginie) et demandant à George W. Bush de définir son plan pour mettre fin à la guerre, ainsi qu’un rapport trimestriel sur les progrès réalisés à cet effet. Moins de deux semaines plus tard, John Murtha, un congressiste démocrate qui avait voté en 2003 en faveur de l’opération « Shock and Awe », a porté un jugement impitoyable, estimant que les Américains se sont transformés en « catalyseurs de la violence ». Les troupes US, a-t-il dit, sont devenues « l’ennemi pour les sunnites, les saddamistes et les jihadistes étrangers ». Le bilan des pertes s’alourdit tous les jours : 2 100 tués et 16 000 blessés en trente-deux mois, alors que la reconstitution des forces de sécurité locales s’annonce plus longue que prévu, même si Bayan Jabr, ministre irakien de l’Intérieur, ne cesse de répéter qu’elle sera achevée à 75 pour cent dans un mois, et à 100 pour cent un an plus tard. Par mesure de sécurité, une nouvelle campagne de recrutement, la première du genre, n’en a pas moins été lancée, principalement dans les rangs des anciens militaires ayant déjà servi depuis la première guerre du Golfe, invités à rempiler « si l’aventure, la camaraderie et le travail en équipe » leur manquent. C’est qu’il faudra « battre les terroristes avant de rappeler nos boys », selon la formule utilisée hier encore par le président. « Proclamez la victoire et retirez-vous » : tel était le conseil donné en 1967 par le sénateur George Aiken à Lyndon B. Johnson au plus fort de la guerre du Vietnam. Peu après, la bataille de Saigon était perdue, avec des conséquences que l’on n’est pas prêt d’oublier. Autres temps, autre guerre… Autre président aussi. Christian MERVILLE
Oubliez un pays à feu et à sang du fait des attentats, et qui s’enfonce inexorablement dans l’horreur ; oubliez le scandale de la sous-traitance des prisonniers de guerre par des services spécialisés un peu partout en Europe, en Afrique et même dans certains États membres de la Ligue arabe, ou encore la honte de Guantanamo et d’Abou Ghraib ; oubliez les tours de passe-passe des...