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Actualités - OPINION

LE POINT Le retour des « Ikhwane »

Vingt-neuf sièges supplémentaires à l’issue du second tour des législatives d’avant-hier dimanche, et le reflux ne semble pas être pour demain : malgré les pressions exercées par le pouvoir, les Frères musulmans sont en passe de réussir en Égypte ce que Hassan el-Banna lui-même n’aurait pas osé espérer lorsque, il y a de cela 77 ans, il avait fondé une organisation de jeunesse devenue onze ans plus tard un groupe politique dont le monde arabe tout entier n’allait pas cesser d’entendre parler. Le mouvement a déjà enlevé 76 sièges sur les 444 que compte l’Assemblée et lors de la prochaine phase, entre le 1er et le 7 décembre, il est à prévoir qu’il remportera théoriquement plus qu’une dizaine des 136 circonscriptions en jeu, pour porter le total de ses acquis au quart des membres de la Chambre et du coup quintupler ses effectifs depuis la dernière consultation populaire. Du grand art politique et la performance mérite bien évidemment d’être saluée. « L’islam est la solution », proclame le slogan des « Ikhwane ». Mais pour les détails du programme, il serait inutile d’attendre des explications, sinon qu’il appartient à la charia de déterminer la ligne de conduite à suivre. En insistant, le chercheur un tant soit peu curieux peut espérer obtenir un semblant de précision sur le port du voile ou encore la lutte contre l’« immoralité » dans les médias, mais rien de plus. Ah ! Ceci encore, en cherchant bien : « Nous sommes partisans d’une doctrine plus modérée que celle prévalant en Arabie saoudite. » Mais cela ne va jamais plus loin et le flou demeure savamment entretenu avec, dans le discours, un art consommé de la litote que l’on retrouve chez tous les prédicateurs envoyés en Europe. Dans la pratique, l’action a été effectuée, elle, en profondeur. Tout comme nombre d’autres courants politico-religieux dans le monde arabe - et même ailleurs -, priorité a été donnée aux problèmes du menu quotidien: adduction d’eau, fourniture d’électricité, ouverture de dispensaires et d’écoles, distribution de vivres, de médicaments… Souvent aussi, il arrive qu’un représentant du parti intervienne pour régler une querelle de clans ou une simple dispute entre voisins sur un minuscule lopin de terre. La tactique a fait ses preuves ailleurs, au Liban par exemple où le Hezbollah a déjà commencé à cueillir les fruits d’un lent travail de fourmi poursuivi depuis trois décennies. Au niveau syndical, un noyautage a été opéré dans les diverses organisations que compte l’Égypte, de même que désormais, les mouvements universitaires sont parfaitement contrôlés. Tout cela fait qu’aujourd’hui, le vice-président du parti de gauche al-Tagammo’ (Rassemblement), Aboul Ezz Hariri, peut affirmer sans risque d’être contredit que les Frères musulmans représentent un pouvoir parallèle qu’il serait difficile d’ignorer. Bien sûr, le Parti national démocrate du président Hosni Moubarak est appelé à rester - avec 195 députés à ce jour auxquels viendront s’ajouter de nombreux autres dans deux semaines - la force dominante dans l’arène égyptienne. Bien sûr aussi, vient de s’ouvrir une phase de transition dont il est malaisé pour l’heure de délimiter les contours, tout comme il est difficile de prévoir la nature du virage dans lequel la confrérie est immanquablement appelée à s’engager maintenant qu’elle n’aura plus à œuvrer dans une semi-clandestinité qui lui avait été si favorable jusqu’à un passé récent – au point que la plupart de ses candidats avaient choisi de se présenter sous l’étiquette d’indépendants. Toute la question est de savoir comment et dans quelle mesure cette percée islamiste pourrait se répercuter sur le reste de la région, et pour commencer à l’occasion du prochain scrutin en Irak, le 15 décembre, ou encore dans les rangs palestiniens, le 25 janvier. L’autre grande question porte sur les plans américains pour l’accélération du processus démocratique dans l’ensemble du Proche-Orient. Les journées égyptiennes viennent de prouver que face aux régimes en place, une importante frange de la population est prête à céder à la tentation d’un choix se présentant comme religieux, même si, dans la pratique, l’appellation ne répond pas à la réalité. Il faut croire que George W. Bush n’était pas particulièrement bien inspiré en demandant au Raïs de montrer la voie de l’ouverture à d’autres pays arabes ; ou plutôt qu’il ne savait pas très bien, pas plus que les ténors de l’Administration républicaine, de quoi les lendemains de la libéralisation seraient faits. En visite récemment au Caire, la secrétaire d’État Condoleezza Rice avait d’ailleurs clairement annoncé que les USA n’envisageaient pas d’avoir des contacts avec les Frères musulmans, « une organisation illégale ». Il faut croire que la clandestinité est propice aux floraisons de partis. Et nuisible l’action au grand jour ?… Christian MERVILLE

Vingt-neuf sièges supplémentaires à l’issue du second tour des législatives d’avant-hier dimanche, et le reflux ne semble pas être pour demain : malgré les pressions exercées par le pouvoir, les Frères musulmans sont en passe de réussir en Égypte ce que Hassan el-Banna lui-même n’aurait pas osé espérer lorsque, il y a de cela 77 ans, il avait fondé une organisation de...