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Actualités - CHRONOLOGIE

L’analyse d’une professeure à l’Université libanaise, spécialiste en ethnopsychologie Il faut instaurer le tabou de l’inceste dans les sociétés patriarcales, affirme Joëlle Haroun

Comment expliquer ces répugnants crimes qui sont supposés « laver l’honneur de la famille » ? À quoi servent-ils exactement ? Docteur Joëlle Haroun, spécialiste en ethnopsychologie et professeure à l’Université libanaise, examine pour « L’Orient-Le Jour » les mécanismes sociaux des « crimes d’honneur » du point de vue anthropologique. Les « crimes d’honneur » ont lieu dans une société patriarcale où l’homme considère que la femme est sa propriété. Est dès lors instauré le tabou de la virginité des jeunes filles, explique le Dr Haroun. Dans ce cadre, « la virginité est faite normalement pour protéger les filles des hommes de la famille », pour les protéger de l’inceste. Et ce jusqu’à ce que la jeune fille soit attribuée à… un homme de la famille, le cousin ayant un statut préférentiel. Sinon, il s’agit d’un homme que le père aura choisi comme substitut du cousin. « Nous sommes dans le cas de sociétés endogames, des sociétés où l’on vit entre soi, où la sexualité de la fille concerne les membres de la famille », ajoute-t-elle. Dans cette situation, le conjoint doit être choisi à l’intérieur du groupe, familial ou élargi : la tribu ou la communauté religieuse. D’où l’explication des crimes d’honneur quand le partenaire de la jeune fille est d’une autre religion. Selon le Dr Haroun, cette situation est une catastrophe anthropologique. « Il est considéré comme quasiment acquis que les hommes de la famille ont tous les droits sur les filles de la famille. C’est un principe primordial », ajoute-t-elle. Si une jeune fille a un copain ou si l’on imagine qu’elle a un copain, la famille la fera rapidement disparaître afin de prouver qu’elle n’est pas responsable de la possible perte de virginité de la jeune fille. « Un meurtre en guise de preuve de “bonne foi”. C’est un système pervers », estime l’anthropologue. Les sociétés arabo-musulmanes sont ainsi aux antipodes des sociétés occidentales qui sont obligatoirement exogames, puisque celles-ci interdisent l’inceste. Le conjoint doit nécessairement être extérieur à la famille élargie. Ainsi, dans les pays où l’interdit de l’inceste est très puissant, et protège par là même les jeunes filles, le tabou de la virginité n’est pas nécessaire. A contrario, quand le tabou de la virginité est puissant dans une société déterminée, l’interdit de l’inceste est quasiment inexistant. Le Liban est un cas particulier, ajoute Dr Haroun. Les Libanais ont hérité des Phéniciens l’interdit de l’inceste. C’est pour cette raison que le nombre de crimes d’honneur au Liban est relativement faible. Le Liban est néanmoins sujet à une particularité culturelle en raison de la superposition du tabou de la virginité sur celui de l’inceste. Pour protéger leurs filles des envahisseurs, les Phéniciens ont adjoint à l’interdit de l’inceste, le tabou de la virginité. Les Libanaises se retrouvent donc aujourd’hui avec une structure sociale marquée par deux interdits. Limiter le pouvoir des hommes Pour mettre fin à cette situation, il faut donc impérativement instaurer l’interdit de l’inceste dans les sociétés arabes, où seule la loi peut fixer certaines limites. Toutefois, la loi s’arrête à la porte de la maison. « Si on admet l’interdit de l’inceste, explique le Dr Haroun, on limite le pouvoir des hommes et, par voie de conséquence, on élimine les causes anthropologiques derrière les “crimes d’honneur”. C’est à travers un apprentissage collectif de ce tabou qu’on peut changer la mentalité actuelle de certaines cultures. » Au Liban, explique Mme Haroun, « dans certaines écoles, on a préparé des programmes d’animation, de vocabulaire, de langage, de marionnettes sur l’interdit de l’inceste à partir de la maternelle et durant la période œdipienne de l’enfant. Par le biais des enfants, on peut se permettre d’expliquer aux parents ce qu’on fait avec leurs enfants pour leur protection, sans pour autant remettre en question directement le pouvoir des pères, des frères, et des autres… C’est un travail très diplomatique, mais qui peut porter ses fruits », explique Dr Haroun. Un autre argument en faveur de l’apprentissage de l’interdit de l’inceste est la constitution de la conscience morale, du surmoi. Les parents y sont intéressés dans la mesure où l’enfant apprend à développer un sentiment de culpabilité et de peur de la punition. Dans ce contexte, les parents laissent faire, car ils ne voient pas, derrière les arguments du pédagogue, une limitation du pouvoir des hommes.
Comment expliquer ces répugnants crimes qui sont supposés « laver l’honneur de la famille » ? À quoi servent-ils exactement ? Docteur Joëlle Haroun, spécialiste en ethnopsychologie et professeure à l’Université libanaise, examine pour « L’Orient-Le Jour » les mécanismes sociaux des « crimes d’honneur » du point de vue anthropologique.
Les « crimes d’honneur » ont lieu...