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Actualités - CHRONOLOGIE

XIIE FESTIVAL DU CINEMA EUROPÉEN - Une réalisation d’Emmanuel Carrère, aujourd’hui , à l’Empire-Sofil «La moustache», un film aussi déroutant qu’hypnotisant

«La moustache» est le deuxième long- métrage et la première œuvre de fiction d’Emmanuel Carrère, longtemps connu comme écrivain. Après le documentaire « Retour à Kotelnitch » (2004), il a choisi de porter à l’écran l’un de ses propres ouvrages, publié en 1986. Deux de ces romans avaient déjà fait l’objet d’adaptations cinématographiques : « La classe de neige », réalisé par Claude Miller (1998) et « L’adversaire » (2001), mis en scène par Nicole Garcia. Démarrage plutôt réussi puisque « La moustache », présenté en 2005 au Festival de Cannes dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs, a récolté le label Europa Cinemas, qui distingue un film européen de la sélection et facilite sa circulation en Europe. L’intrigue part d’une idée simple : Marc (Vincent Lindon) décide un jour de raser la moustache qu’il portait depuis des années. Mais ni sa femme (Emmanuelle Devos) ni ses amis ne le remarquent. « C’est l’histoire d’un couple qui surmonte une épreuve, à la fois énorme et commune. Je pense que cette affaire de moustache, c’est une chose que rencontrent tous les couples à un moment ou à un autre, sous une forme ou une autre », précise Emmanuel Carrère. Plus le film avance, plus le brouillard s’épaissit. Commence alors la longue descente aux enfers du personnage masculin. Conspiration, aliénation, folie, paranoïa… Aussi déroutés que lui, les spectateurs vivent, malgré eux, un voyage incroyablement intrigant. Cette histoire n’est possible que s’ils épousent entièrement le point de vu du protagoniste. Et c’est précisément ce que nous force à faire le cinéaste. Nous vivons l’histoire à travers les yeux de Marc : « On reste sur lui. On n’y échappe jamais. J’ai adopté une règle simple : ne rien voir de ce qu’il ne voit pas, ne rien entendre de ce qu’il n’entend pas. Voilà précisément pourquoi j’ai choisi de ne pas avoir recours à la voix off. Les questions qu’il se pose passent uniquement à travers les gestes, les mots, les situations, les ellipses », explique le cinéaste. Une manière également de permettre aux spectateurs de s’identifier beaucoup plus facilement au personnage principal, de ressentir intensément ses angoisses, ses troubles, ses peurs. Avec une virtuosité indéniable, Carrère parvient à créer une atmosphère extrêmement singulière qui ne lâche le récit à aucun moment. Tous les éléments du film participent à oppresser les spectateurs, que ce soit la musique hypnotique de Philippe Glass, qui hante constamment le récit, ou l’appartement étouffant du couple. L’histoire se déroule d’ailleurs quasiment en huis clos. Marc passe d’un intérieur à un autre, enfermé dans des cases (dans sa tête). Sa seule échappatoire, la fuite. Il part alors à Hong Kong. Mais le malaise persiste. Le voilà étranger dans un pays qui lui est lui-même étranger. Incroyable interprétation que celle de Vincent Lindon, qui parvient admirablement à mêler en un seul regard une palette d’émotions extrêmement fortes qui vont de la détresse, à la paranoïa, en passant par la fragilité et la colère. La caméra de Carrère le suit fidèlement. Elle suit ce personnage à la déroute qui erre entre deux rives. Elle suit les mouvements d’oscillation du ferry (première métaphore) que Marc prend pour passer d’une rive à l’autre (deuxième métaphore). Et le spectateur vacille avec lui, persiste tant bien que mal à vouloir comprendre le pourquoi du comment. Mais y a-t-il finalement un sens à tout cela, une réponse ? Le cinéaste répond tout simplement par la négative : « Le seul ressort de ce film, c’est qu’il n’y a pas d’explication. Je suis dans la même posture que le personnage principal. Le spectateur également ne comprend pas ce qui lui arrive. Voilà ce qui rend le film déroutant. Ceci est renforcé par le fait que je montre une réalité littérale. Il n’y a effectivement pas de scènes fantasmatiques dans le film. Alors, comment quelqu’un, dans un contexte réel, réagit-il à une situation impossible ? » Si toutes les hypothèses sont plausibles, une affirmation reste incontestable. Emmanuel Carrère réussit son challenge. Il offre un film incroyablement angoissant et fascinant. Des sentiments qui nous habitent d’ailleurs longtemps après la projection. Car finalement, chacun n’a-t-il pas quelque part son propre secret, sa propre « moustache » ? Dyma DÉMIRDJIAN
«La moustache» est le deuxième long-
métrage et la première œuvre de fiction d’Emmanuel Carrère, longtemps connu comme écrivain. Après le documentaire « Retour à Kotelnitch » (2004), il a choisi de porter à l’écran l’un de ses propres ouvrages, publié en 1986. Deux de ces romans avaient déjà fait l’objet d’adaptations cinématographiques : « La classe de neige »,...