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Actualités - interview

Le chroniqueur du « Nouvel observateur » de passage à Beyrouth Jacques Julliard : La peur est à l’origine de la crise des banlieues

Son parcours académique est exemplaire, sa production littéraire pour le moins impressionnante, et sa carrière journalistique en ferait rêver plus d’un. Un seul bémol venait altérer la biographie de Jacques Julliard, directeur délégué du « Nouvel Observateur » dans les colonnes duquel il signe une chronique : l’absence totale de visa libanais sur ses passeports. Un manque auquel le célèbre chroniqueur a enfin pallié en visitant, pour la première fois cette semaine, le pays du Cèdre. Une occasion d’entendre son analyse sur la récente crise des banlieues, la laïcité « à la française », ou encore la démocratisation du Moyen-Orient. Question - « Nous haïssons les Français, et les Français nous haïssent. » Cette phrase, prononcée par un jeune d’une banlieue parisienne, illustre-t-elle le caractère identitaire de la crise qui a agité la France ces dernières semaines ? Réponse - « Ce genre de déclaration prouve plus, selon moi, le degré d’exaspération des populations que la vérité des sentiments. Lors de la crise des banlieues, ce ne sont ni la haine ni le racisme qui ont dominé, mais la peur réciproque entre les Français de souche et les Français issus de l’immigration. Cette méfiance repose sur l’appréhension qui naît lorsque l’on côtoie ce qui est étranger. » Q-L’immigration, notamment maghrébine, n’est toutefois pas un phénomène récent, et l’étranger ne devrait plus l’être depuis le temps… R - « En dépit de ce qu’affirment les bonnes âmes, l’immigration a pris un caractère massif. De ce fait, se sont constitués de véritables quartiers ethniques, des ghettos, dans les banlieues françaises. Avec, en miroir, la création de contre-ghettos abritant des “Français de souche”. La différenciation croissante des quartiers a nourri cette peur, et ce d’autant plus que certains quartiers de banlieue sont devenus de véritables zones de non-droit où la police n’osait plus s’aventurer. » Q - Comment en est-on arrivé là ? R - « On a laissé la situation se dégrader. La division géographique par quartier n’est pas nouvelle. Elle a commencé sous le Second Empire, à partir de 1850, quand nous sommes passés d’une répartition des couches sociales par étage de maison à une répartition par quartier. Un phénomène qui s’est accentué avec l’arrivée massive de travailleurs et l’adoption, sous la présidence du Valéry Giscard d’Estaing, de la loi sur le regroupement familial. Une loi qui n’a pas été accompagnée de mesures adéquates en matière de politique de logement. » Q - Comment jugez-vous la réponse du gouvernement à la crise des banlieues ? R - « La réponse du gouvernement et de la police a été très mesurée et maîtrisée. Il n’y pas eu de morts. La population a également fait preuve d’une extraordinaire maîtrise, de même que les organisations musulmanes qui ont prêché le retour au calme. » Q - À moyen et long terme, quelles mesures doivent être adoptées pour favoriser l’intégration ? R - « Une intégration est réussie quand se crée une bourgeoisie issue de la population en question. Aux États-Unis, des représentants des populations immigrées sont présents à des niveaux très élevés de responsabilité. En France, nous n’avons jamais eu de ministre des Affaires étrangères noir. Une intégration est réussie quand, d’autre part, des gens de différentes communautés se marient entre eux. En ce qui concerne les populations issues de l’immigration maghrébine, se pose alors la question de la religion. Il faut, par ailleurs, lutter contre la discrimination, notamment à l’embauche. » Q - Les mesures de discrimination positives sont-elles, à ce sujet, une solution ? R - « Je ne crois pas. Je pense qu’il faut d’abord lutter contre les discriminations négatives. Ceci suppose une pédagogie des populations et requiert du temps. Il n’y a pas de solution miracle. » Q - La crise des banlieues a été l’occasion de propos à l’emporte-pièce de la part de certains politiciens. Assiste-t-on à un retour du populisme en France ? R - « À droite comme à gauche, nous assistons effectivement à une marche vers le populisme. Mais l’immigration n’en est pas la cause principale. En France, le populisme se nourrit d’une déception à l’égard du système politique. Un système au sein duquel l’avancement se fait à l’ancienneté. Pas ailleurs, ce système ne place pas la société devant ses propres responsabilités. » Q - Lors de la révolte des banlieues, la question du voile, pourtant intimement liée aux populations immigrées, n’a pas été soulevée. Ceci signifie-t-il que la loi sur la laïcité, adoptée en mars 2004, a finalement été assimilée par les populations ? R - « Ceux qui pensaient que le modèle français, en terme de laïcité, se heurterait à l’incompréhension et à la résistance des populations musulmanes étaient des prophètes de malheur. À ce titre, les revendications sur le port du voile des preneurs d’otages de journalistes français en Irak ont eu un effet paradoxalement positif, la population musulmane rejetant leurs appels. » Q - Dans le cadre de la politique américaine au Moyen-Orient, le maître mot est « démocratisation ». Pensez-vous que la démocratie puisse être imposée de l’extérieur ? R - « La démocratie ne peut fonctionner que si elle est voulue par les populations concernées. Une intervention internationale peut être nécessaire pour renverser un tyran, et je suis pour le droit d’ingérence, mais seulement s’il s’accompagne d’une intelligence des situations. Certaines dictatures ne sont pas dans un état tel qu’on puisse les renverser et ensuite les remplacer. À ce titre, la comparaison du traitement des dossiers libanais et irakien est exemplaire. Le cas irakien a été marqué par l’absence de sérieux de la part des Américains qui voulaient faire un exemple sans véritable examen de la situation. Avec, pour résultat, entre autres, d’aggraver les tensions entre sunnites et chiites. Au Liban, l’action diplomatique de la France, en accord avec les États-Unis devenus un peu plus sages, a contribué à placer le régime syrien devant ses responsabilités. L’effet a été positif car relayé par une révolution nationale libanaise. La question ne se pose pas en terme d’ingérence ou de non-ingérence, mais entre une ingérence mal appliquée et définie, et une ingérence respectueuse des exigences de démocratisation. » Propos recueillis par Émilie SUEUR

Son parcours académique est exemplaire, sa production littéraire pour le moins impressionnante, et sa carrière journalistique en ferait rêver plus d’un. Un seul bémol venait altérer la biographie de Jacques Julliard, directeur délégué du « Nouvel Observateur » dans les colonnes duquel il signe une chronique : l’absence totale de visa libanais sur ses passeports. Un manque auquel...