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Cascade de réactions sur la souveraineté recouvrée après le retrait des troupes syriennes Les Libanais partagés entre espoir et déception sur l’indépendance retrouvée

L’année 2005 aura été tout sauf banale. Le séisme de l’attentat du 14 février, qui a coûté la vie à l’ex-Premier ministre Rafic Hariri, l’ancien ministre Bassel Fleyhane et leurs compagnons, a provoqué une série de bouleversements politiques et sécuritaires, qui auront surtout mené à un événement-clé, l’évacuation des forces armées et des services de renseignements syriens après trente ans de tutelle sur le territoire libanais. Par conséquent, cette fête de l’Indépendance du 22 novembre, qui commémore la fin du mandat français en 1943 et qui, ces dernières décennies, ne provoquait chez les Libanais que sarcasmes et indifférence, revêt cette année une nouvelle signification. Qu’avons-nous fait, en ce court laps de temps, de notre indépendance renouvelée ? Il semble bien que celle-ci ait retrouvé son éclat pour un grand nombre de personnes, malgré les points d’interrogation et certaines déceptions dues aux prestations politiques de ces derniers mois. Pour creuser davantage cette impression, nous avons interrogé une palette variée de personnalités dans les domaines politique, académique et social, obtenant des opinions étonnamment diverses. Pour Fouad Boutros, ancien ministre des Affaires étrangères, la fête de l’Indépendance cette année revêt un double aspect dans l’esprit et le cœur des Libanais : d’une part, elle leur rappelle qu’ils en ont été privés durant longtemps et que, quand ils prétendaient la fêter, ils se moquaient d’eux-mêmes et des autres, et, d’autre part, elle laisse poindre un espoir en l’avenir ainsi que des appréhensions sur les dangers qui pourraient la guetter. Il ajoute que la meilleure façon pour les Libanais de faire face à ces dangers est de réagir en citoyens, et de faire en sorte que le consensus soit réel et non de pure forme, sinon ils seraient en train de bâtir sur du sable. « J’appelle tous les intéressés à prendre conscience de cela », dit M. Boutros, ajoutant que cela n’était pas encore le cas, selon ses observations. Soulignant que l’indépendance n’est jamais chose acquise dans un monde truffé de problèmes, d’interrogations et de dangers, il estime qu’il ne faut pas laisser la satisfaction occulter la conscience du danger, et rester « intelligent et clairvoyant ». Le père Sélim Abou, ancien recteur de l’Université Saint-Joseph (USJ), considère que « c’est la première fois que nous fêtons vraiment l’indépendance, en dehors de toute tutelle et de toute occupation ». Il revient sur le récent discours « inconcevable » du président syrien Bachar el-Assad qui tente, selon lui, « de renouveler d’une autre manière la tutelle syrienne en essayant de provoquer des dissensions internes ». « Mais nous avons un Premier ministre remarquable, un homme d’État, et une majorité parlementaire décidée à consolider l’indépendance et la souveraineté », dit-il, rappelant toutefois l’isolement actuel observé au niveau de la présidence de la République. Sur les tensions politiques internes entre les différentes parties, le père Abou fait remarquer que les « discussions n’ont rien d’anormal dans une démocratie, mais que nous avions oublié les avantages et les problèmes des systèmes démocratiques ». Le désenchantement qu’affichent beaucoup de personnes, de nos jours, serait, selon lui, davantage à mettre sur le compte de la peur de l’avenir. « Je suis optimiste à moyen terme, mais il ne faut pas oublier que nous nous trouvons dans une région instable », conclut-il. Quel lien entre 2005 et 1943 ? Le Liban est-il libre de toute tutelle étrangère ? Certains, une minorité parmi les personnes interrogées, viennent à en douter. C’est le cas de la fille de l’un des pères de l’indépendance de 1943, Alia Riad el-Solh, qui nous donne cette réponse incisive sans vouloir élaborer davantage : « Je pose une question au peuple libanais : serions-nous plus libres pour avoir changé de maître ? De la tutelle de M. Assad à la tutelle de M. Bush, quoi de neuf ? L’indépendance ne s’invente pas à chaque coin de kermesse. L’indépendance de 1943 était l’aboutissement d’un long combat pour la liberté. » Michel Béchara el-Khoury, fils du premier président de la République après l’indépendance de 1943, donne un autre son de cloche. « C’est une seconde indépendance qui a rassemblé plus de Libanais qu’en 1943, et j’espère que nous parviendrons à la préserver », dit-il, soulignant qu’elle est porteuse de grands espoirs mais aussi de grands problèmes. Il se déclare optimiste quant à l’avènement d’une époque de maturité, de véritable citoyenneté et de sentiment d’appartenance, et ce malgré les différences d’opinions et les lacunes dans la situation politique libanaise. Faisant un parallèle avec la première indépendance, M. Khoury retient quelques similitudes tout en notant que la situation régionale est nettement plus explosive qu’à l’époque. « Mais nous avons obtenu notre liberté, ce qui est un grand acquis, poursuit-il. L’indépendance n’est pas ponctuelle, mais requiert un travail quotidien et responsable. » Il ajoute enfin : « Je suis sûr que si les morts pouvaient s’exprimer, Béchara el-Khoury et Riad el-Solh seraient très heureux. » Interrogé à son tour, l’uléma cheikh Hani Fahs trouve qu’il serait vain de ne vivre l’indépendance que comme un souvenir, parce que celle-ci devrait continuellement être renouvelée, sous peine de régresser. « Ces dernières années, l’indépendance a reculé, mais en réalité, elle est demeurée dans nos esprits et nous en avons mieux évalué la valeur, déclare-t-il. Or il faut mériter l’indépendance pour être à même de la renouveler. » Cheikh Fahs souligne que c’est l’unité nationale qui a permis de décrocher une première fois l’indépendance en 1943, et que les différences d’opinions étaient alors intégrées dans le processus démocratique. Pour lui, il faut apprendre à accepter l’autre dans sa différence, à militer pour plus de participation, de liberté responsable, de démocratie, de respect des droits de l’homme et de la loi. Or, ajoute-t-il, tout cela ne peut avoir lieu sans développement global, autant au niveau matériel que moral. « Il faut présenter un autre modèle libanais, estime-t-il. Le 14 mars nous a mis sur la voie, mais il s’agit de le transformer en un mode de vie. » La date du 14 mars est également retenue par Élie Karamé, chef de l’opposition Kataëb, mais pour dire qu’il « regrette que l’esprit de cette journée ne se soit pas perpétué » en raison de « petites manigances politiques motivées par des intérêts électoraux ». Certes, M. Karamé trouve que le retrait syrien est un grand pas et que le pays fêtera cette année son indépendance autrement que par le passé. Mais il souhaite que l’unité nationale se renforce et englobe toutes les composantes libanaises, que l’armée redevienne la seule force sur le terrain et que la vérité sur l’assassinat de Rafic Hariri soit révélée. « Je veux être optimiste par rapport à l’indépendance qui vient », déclare-t-il, appelant toutes les composantes libanaises qui n’ont pas encore adhéré au consensus national à le faire malgré les concessions. « La guerre a commencé au Liban-Sud avec l’accord du Caire, et elle ne sera totalement terminée que quand l’État retrouvera sa souveraineté sur tout le territoire, notamment au Sud », ajoute-t-il. Le sentiment d’appartenance nationale, un véritable rempart Plus encore que l’unité nationale, c’est la conscience d’appartenance à un pays libre et indépendant sur laquelle insiste Karim Mroué, compagnon de route au sein du Parti communiste libanais du martyr Georges Haoui, tombé cette année dans un attentat. « Je suis de ceux qui considèrent que cette année est le début d’une nouvelle époque, où le sentiment d’indépendance et d’appartenance à un pays sera plus réel chez les Libanais », dit-il. Il se déclare optimiste malgré les difficultés, notamment internes, dues aux conflits qui ont caractérisé l’époque précédente (depuis 1943 selon lui) et qui ont mené les Libanais sur le chemin de l’aliénation à l’étranger. Il note que l’appartenance des Libanais était plus d’ordre confessionnel, partisan et idéologique que national, et qu’elle a été aiguisée par les présences syrienne, israélienne... Si bien que les quinze dernières années, selon lui, ont connu une guerre civile sans combats. « Mais le retrait des troupes syriennes est bien réel, même si certains continuent de miser sur des Syriens, qui ne reviendront pas, pour défendre leurs intérêts », constate M. Mroué. Il voit dans les manifestations du 8 mars autant que du 14 mars, où, malgré les différences, les mêmes slogans ont été scandés, un début de conscience nationale chez les Libanais. Tout en niant que la communauté internationale ait l’intention d’imposer une quelconque nouvelle tutelle sur le Liban, il réaffirme qu’un vrai sentiment d’appartenance nationale renforcera ce pays face à toute velléité de cet ordre. Présidente du Rassemblement des ayants droit du centre-ville et consultante auprès du général Michel Aoun, Raya Daouk n’hésite pas à exprimer sa désillusion, même si, reconnaît-elle, l’indépendance retrouvée a mis un terme à un cauchemar de quinze ans. « Nous avions cru que l’indépendance allait nous apporter stabilité et réformes, dit-elle. Or c’est une époque très dangereuse que nous vivons, vu la grande inconnue de la région. » Elle insiste sur la nécessité de renforcer l’unité nationale, notant au passage qu’il y a toujours trois présidents qui se paralysent mutuellement, et que « la majorité de ceux qui sont sur la scène locale était également présente sous l’ancien régime ». « Il faut rebâtir les institutions, sinon l’indépendance sera vide de sens », ajoute Mme Daouk. Du côté des plus jeunes, les sons de cloche sont aussi divers. Michel Moawad, fils de René Moawad, président assassiné le jour de l’indépendance 1989, et de la ministre Nayla Moawad, considère que, « pour la première fois, nous commençons à vivre une indépendance que nous avons méritée, façonnée non par une élite politique, mais par le peuple ». Il rappelle que pour lui et sa famille, cette date est mêlée de la tristesse résultant de l’assassinat du père. Il souligne que le plus dur à vivre, ces quinze dernières années, était le fait qu’« on ait empêché l’enquête d’aboutir », mais qu’aujourd’hui, « nous savons que le sang des martyrs n’a pas été versé pour rien ». M. Moawad estime que pour défendre et consolider cette indépendance, il faut boucler certains dossiers relatifs à la présidence de la République, aux détenus libanais en Syrie, à la question palestinienne... Et il faut, poursuit-il, « un dialogue entre le 14 mars 2005 et le 25 mai 2000, les deux idées d’indépendance, les deux libérations ». « Cette occasion ne devrait pas être ratée », conclut-il. Se définissant comme un étudiant indépendant, ayant participé au camp des étudiants de la place des Martyrs, Sami Gemayel fait montre d’une plus grande amertume. « Nous aurions tellement eu envie de fêter notre libération cette année, dit-il, mais nous avons été très déçus par la classe politique, l’absence de changement et de remise en question. » Il estime que « ce qui a facilité l’entrée des Syriens, c’est-à-dire les problèmes interlibanais, le manque d’unité, les mensonges au lieu du dialogue, est toujours d’actualité ». Il est vrai, selon lui, que les problèmes sont moins violents que du temps de l’occupation, mais « il reste difficile d’instaurer le dialogue entre les communautés et de mettre en place un nouveau régime ». Mais la position la plus originale est certainement celle de Michel Éleftériadès, compositeur et producteur musical engagé depuis des années en faveur de la lutte pour l’indépendance. Pour lui, « il serait beaucoup plus significatif si l’indépendance était célébrée dorénavant fin avril, date de la sortie du dernier soldat syrien du Liban ». « Cette fête ne m’a jamais rien dit, pas plus aujourd’hui qu’hier, mais durant les quinze dernières années, elle me paraissait franchement ridicule, mais moins cette année », poursuit-il. Suzanne BAAKLINI
L’année 2005 aura été tout sauf banale. Le séisme de l’attentat du 14 février, qui a coûté la vie à l’ex-Premier ministre Rafic Hariri, l’ancien ministre Bassel Fleyhane et leurs compagnons, a provoqué une série de bouleversements politiques et sécuritaires, qui auront surtout mené à un événement-clé, l’évacuation des forces armées et des services de...