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Actualités - CHRONOLOGIE

THÉÂTRE - « Those Eyes That Mouth » du 18 au 22 novembre, rue Spears Paranoïa en la demeure

Drôle et corrosive à la fois, captivante, puissante, lyrique et profondément émouvante, «Those Eyes That Mouth», mise en scène par Ben Harrison, est une pièce d’une intelligence humaine absolument éclectique et totalement compassionnelle. La compagnie écossaise Grid Iron nous donne là une belle leçon de théâtre. Du 18 au 22 novembre, dans l’ancien bâtiment de la Sûreté générale, rue Spears.* Invités par le British Council, ces professionnels des planches ont par ailleurs animé un atelier de formation pour jeunes talents libanais, syriens, jordaniens et tunisiens. Le public aura l’occasion de visionner (Kossat mot Nagib Brax, l’histoire de la mort de Nagib Brax) un work in progress (un travail inachevé) réalisé en commun, en langue arabe, par Hicham Jaber et Ben Harrisson les 25, 26 et 27 novembre, toujours rue Spears. Le théâtre britannique a tendance à vous saisir par la peau du cou pour vous secouer un bon coup. Qui s’en plaindra ? On se souvient de la brève folie des jeunes Anglais en colère (les « angry young men ») de John Osborne et Arnold Wesker, dans les années 50, et, plus tard, des scènes scandaleuses d’une Sarah Kane ou d’un Ravenhill gaiement éclaboussées de «Sperm and blood » (du sperme et du sang). Et aujourd’hui? Pays du monde où l’on produit le plus de pièces par an, le Royaume-Uni est devenu une sorte de Hollywood théâtral, qui englobe également l’Écosse voisine. Tombées d’un ciel lourdement étoilé, quelques comètes continuent d’inventer notre époque, avec le même goût d’engagement que leurs ancêtres. Des électrons libres dont on reçoit de temps en temps les bonnes retombées. Comme aujourd’hui, grâce au British Council, la pièce Those Eyes That Mouth, de la troupe scottish Grid Iron, où les personnages s’avancent dans les méandres du dérangement cérébral. Schizophrénie, dédoublement, paranoïa et autres dysfonctionnements, versants effrayants abordés par les écrivains Tchekhov, Dostoïevski ou Maupassant. Ce dernier demandait: «Sait-on quels sont les sages et quels sont les fous dans cette vie où la raison devrait souvent s’appeler sottise et la folie s’appeler génie?» Cette pièce touche la folie, douce, burlesque ou sanguinaire. Celle, insidieuse, qui mène la danse des passions. Celle, clinique, qui isole l’individu dans ses délires. Celle qui laisse d’autres victimes, quand elle vire aux fanatismes de tous bords. Avec un seul fil conducteur : la fameuse toile de Vermeer intitulée La jeune fille à la perle. Des mots qui flottent Kesaco alors ? La tension plane en la demeure. Les spectateurs sont invités à se tenir debout, en file indienne, sur les escaliers. Éclairage tamisé, spots virant au rougeâtre, musique menaçante. L’on se croirait dans la maison hantée de Disneyworld. Petits rires gênés. Un coup de fil installe une tension à couper au couteau. Une voix de femme s’élève du premier. On devine assez vite que la personne qui appelle ne compte pas faire une visite de courtoisie. L’actrice est devant nous, pantalon noir et chemise bleue. Très près des spectateurs, les bras le long du corps, les jambes légèrement écartées, l’œil humide, elle semble à la fois nous défier et nous dire toute la résignation qu’elle s’apprête à incarner. La voilà en position, prête à amorcer son long voyage immobile vers la mort. La traversée sera éprouvante. Pour elle, sans doute, mais pour le spectateur aussi. Il sera invité à la suivre dans les différentes pièces de la demeure, transformée pour l’occasion en espace labyrinthique onirique. Son partenaire, David Paul Jones, apparaît et paraît aussi silencieusement. Il est son amant, mais ses inflexions et sa position dans l’espace nous font douter de son statut réel. N’est-il pas plutôt une projection de l’inconscient de cette autre « entité » qui est sur scène ? (On hésite à appeler cette « entité » un personnage, tant il nous a été dit et redit qu’elle n’en était pas un, mais plutôt une «traversée d’états successifs »). Toujours est-il que c’est lui, cet homme qu’elle prétend aimer, qui chante si bien, avec douceur et monotonie. Le ton est donné. On ne criera pas, ou si peu, dans cette pièce pourtant porteuse d’une colère inouïe. « J’étais capable de pleurer avant, mais je suis maintenant au-delà des larmes.» Rarement les mots d’un texte ont-ils résonné sur la « scène » d’une manière aussi limpide, tangible. On les voit presque sortir de la bouche de l’interprète et flotter dans l’espace nu. Comme pour donner raison à cette impression, des constellations de chiffres et de mots s’accrochent parfois à l’écran, telle une fenêtre qu’on ouvrirait sur la pensée qui est à l’œuvre. Pour le public, cette heure de spectacle est un travail de concentration particulièrement exigeant. Peu de pièces de théâtre sollicitent l’attention du spectateur comme celle-ci. Un mouvement de tête, un doigt qui se lève, un poing qui se ferme, une larme qui coule sur un visage sans émotion. Chaque micro-mouvement compte comme s’il s’agissait du dernier. De veine réaliste et psychologique, la pièce mise sur les failles des personnages, qui se dévoilent petit à petit jusqu’à ce que les masques tombent complètement. Le dénouement, un peu convenu et geignard, est peut-être le moment le plus faible du spectacle. Mais quelle montée! Le metteur en scène dirige très bien les deux comédiens dans cette vertigineuse ascension (en réalité, ce serait plus juste de parler d’impitoyable descente aux enfers). Leur jeu basé sur une interaction constante, toujours en mouvement et en évolution, était rodé et respirait une aisance plutôt rare. Une belle surprise. On accompagne l’actrice jusqu’à l’ankylose et on applaudit chaudement cette courageuse et rigoureuse prestation. L’actrice Cait Davis? En voilà une à qui la gloire devrait accorder bien plus que ces maigres 10 secondes. Maya GHANDOUR HERT * Entrée libre, mais places limitées. Réservations aux 01/740123 ou 03/ 031342.

Drôle et corrosive à la fois, captivante, puissante, lyrique et profondément émouvante, «Those Eyes That Mouth», mise en scène par Ben Harrison, est une pièce d’une intelligence humaine absolument éclectique et totalement compassionnelle. La compagnie écossaise Grid Iron nous donne là une belle leçon de théâtre. Du 18 au 22 novembre, dans l’ancien bâtiment de la Sûreté...