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Actualités - REPORTAGE

Entre les voies de passage illégales et les villages enclavés, le contentieux avec Damas remonte à 1920 Les archives françaises, un des recours possibles pour délimiter les frontières avec la Syrie

La frontière entre le Liban et la Syrie a été tracée sous le mandat français lors de la création du Grand Liban en 1920. Des endroits de cette frontière sont restés toutefois à délimiter. Sous le mandat de Fouad Chéhab, des négociations avaient été engagées sur ce plan entre le Liban et la Syrie, et le premier procès-verbal portant sur la question du tracé date du 27 février 1964, signale Issam Khalifé, professeur d’histoire contemporaine à l’Université libanaise et auteur d’une douzaine d’ouvrages spécialisés. En 1967, une équipe libano-syrienne dirigée par Georges Saroufim et Ahmed Abbara a planché sur les limites administratives des bourgs et villages frontaliers. Entre 1969 et 1973, une instance permanente comprenant des magistrats libanais et syriens avait formé une commission foncière qui s’était penchée sur les cartes topographiques dressées par le service géographique des forces françaises du Levant. Elle avait clarifié les divergences, dressé quelque 30 procès-verbaux et, le 18 août 1971, un cadre général a été établi pour régler les litiges. « Ces documents ont peut-être disparu durant la guerre, mais l’État libanais a la possibilité d’examiner les archives cartographiques du Quai d’Orsay et de Nantes, les traités et les accords internationaux qui ont dessiné nos frontières et défini les limites. Il y a aussi les titres de propriété qu’on peut trouver chez les “moukhtars” et les responsables des municipalités des régions frontalières », souligne le professeur Khalifé, ajoutant que la question de certains tracés était toutefois devenue très complexe au fil des ans, particulièrement dans certaines localités comme Ras Baalbeck-Kaa, Irssal, Masna’ et Mazraat-Deir al-Achayer, où Libanais et Syriens détiennent des titres de propriétés. Selon d’autres sources, une équipe franco-libanaise cherchant à établir une base de données des limites foncières a abouti à la mise en évidence de plusieurs types de divergences entre les cartes topographiques et les documents cadastraux. En plusieurs endroits, le tracé frontalier établi à partir des cartes topographiques déborde les limites officielles des circonscriptions foncières. Par ailleurs, le cadastre a lui-même classé certaines zones comme « litigieuses », ce qui signifie que les juges fonciers ne sont pas parvenus à déterminer de quelles circonscriptions foncières elles dépendent. « Ces litiges sont fréquents dans la région. Ils sont souvent un héritage des configurations territoriales de l’époque coloniale. Mais à l’instar de la Jordanie qui a conclu le 5 février 2005 un accord pour mettre fin à un empiètement de 125 km2 par la Syrie en territoire jordanien, nous pouvons charger une commission mixte de définir un tracé commun, permettant de vivre en bonne intelligence. Nous prônons une politique réclamant le rééquilibrage des relations syro-libanaises et la mise en place de relations diplomatiques entre les deux États indépendants et souverains », souligne le Pr Khalifé. Frontières passoires Un État moderne revendique le droit d’être « la source exclusive des pouvoirs et des prérogatives de la loi ». Un tel objectif ne peut être atteint que si ses frontières sont rendues imperméables à toute intrusion étrangère. Or au Nord, comme à l’Est, les frontières sont de véritables passoires pour les trafics en tout genre, l’infiltration de combattants palestiniens prosyriens et la main-d’œuvre arabe clandestine. Dans le Wadi Khaled, le « mur de Berlin » (construction de quatre mètres de haut) est une frontière bidon. Libanais et Syriens n’ont pas besoin de jouer aux cascadeurs pour la traverser, d’autant que les voies de passage illégales ne se comptent plus. Les riverains, des deux côtés, font un aller-retour quotidien. « On se rend en Syrie, où tout est bon marché, pour acheter des médicaments, des légumes, du charbon, des vêtements, bref tout ce dont nous avons besoin », raconte un habitant de la région. Les mêmes facteurs économiques illustrent l’histoire de Mouchérifa, village situé en territoire syrien et habité par des citoyens libanais qui votent au Akkar, y travaillent, mais vivent de l’autre côté du grand fleuve. Le village se compose principalement de familles grecques-orthodoxes comme les Haddad, Salamé, Salloum, Koborsi et Hanna. Dans la foulée, on ne sait plus qui entre et qui sort du pays ! Côté Hermel, Kaa, Ras-Baalbeck, Erssal, toutes les pistes empruntées par les contrebandiers ne sont pas des sentiers muletiers. Des routes goudronnées permettent de voyager clandestinement et confortablement alors que pour accéder à Toufayl, village libanais enclavé en territoire syrien, il faut emprunter la route de Damas ! En effet, Toufayl est coupé du pays. Perché à 1 750 m d’altitude sur le versant est de l’Anti-Liban, il représente un exemple du laxisme politique ahurissant dont s’est rendu coupable le pouvoir central. Il n’est accessible en voiture que par le chemin de Damas – Maaloula – Rankous – Aassal el-Ward. Sur le versant libanais, c’est à dos d’âne qu’on peut s’y rendre, en suivant un sentier muletier tracé par les contrebandiers à partir de Ham. Le hameau, qui regroupe une centaine d’habitations, n’a connu l’eau courante et l’électricité qu’au…XXIe siècle, suite à un accord conclu entre le gouvernement syrien et l’État libanais, fixant le tarif de l’électricité. La lampe à pétrole a régné jusqu’en 2001. En été, il n’y avait évidemment ni climatisations, ni ventilateurs, ni réfrigérateurs. Pas le moindre rafraîchissement sous le soleil de Satan. Aucune onde radio venant du Liban. Pas de nouvelles fraîches du pays, si proche et si lointain à la fois. L’école de Toufayl est dirigée par des Syriens. Le poste de police aussi. La monnaie d’échange est la livre syrienne. Toufayl est pourtant lié au caza de Baalbeck. Taëf et les frontières Dans l’ouvrage intitulé Un siècle pour rien, Ghassan Tuéni indique que les participants à la conférence de Taëf ont mis l’accent sur « le Liban dans ses frontières actuelles – quelquefois désignées comme naturelles –, une entité souveraine indiscutable, la patrie définitive de tous les Libanais. Le principe fut de plus consacré par la Constitution. Ce point s’adressait précisément à la Syrie. Plus encore, le texte constitutionnel était destiné à rassurer les chrétiens sur le fait que les unionistes potentiels, donc les musulmans, renonçaient à leur rêve ». Protocole d’Alexandrie Le professeur Khalifé rappelle que les frontières du Liban sont une réalité internationale. « Les puissances occidentales affirment chacune distinctement leur attachement à l’indépendance du Liban, à sa souveraineté et à la sécurité de ses frontières ». De même, « dans le protocole d’Alexandrie, signé le 7 octobre 1944, la Ligue arabe s’était engagée à soutenir et à respecter l’indépendance et la souveraineté du Liban à l’intérieur de ses frontières internationales ». Les grandes dates En 1516 : domination turque qui durera jusqu’en 1918. Première tentative d’autonomie avec le règne de l’émir Fakhreddine II (1590-1632). 1788-1840 : règne de l’émir Béchir Chéhab II. 1860 : intervention militaire française et règlement organique de 1861 garanti par les puissances et accordant au Liban une certaine autonomie. 12 octobre 1918 : arrivée au Liban d’un corps expéditionnaire anglo-français. 1920 : instauration du mandat français, conformément aux accords franco-britanniques de « Sykes-Picot » de 1916. 24 juillet 1922 : confirmation du mandat français sur les États du Levant (Syrie-Liban) par la Société des nations. 23 mai 1926 : proclamation de la République libanaise dotée d’une Constitution parlementaire. 1943 : proclamation du Pacte national et indépendance du Liban (22 novembre). 1946 : évacuation des troupes françaises. 1958 : intervention américaine qui met fin aux troubles déclenchés par des affrontements entre les partisans du président Chamoun et les nationalistes arabes. 1973 : occupation du Liban-Sud par les forces israéliennes. Avril 1975 : déclenchement de la guerre civile libanaise. 1er juin 1976 : intervention syrienne au Liban sous couvert de la Force arabe de dissuasion. 17 mars 1978 : première invasion israélienne ; création de la Finul. 6 juin 1982 : deuxième invasion israélienne et siège de Beyrouth-Ouest. Évacuation des fedayins palestiniens sous la protection d’une force multinationale composée de contingents français, américain et italien. 23 août 1982 : élection du président Béchir Gemayel. Août 1982 : deuxième force multinationale à Beyrouth (France, États-Unis, Italie) jusqu’en mars 1984. 14 septembre 1982 : assassinat du président Béchir Gemayel. 21 septembre 1982 : élection de son frère, Amine Gemayel. 31 octobre 1983 : congrès national de réconciliation à Genève. Mars 1984 : conférence de réconciliation nationale à Lausanne. 28 décembre 1985 : signature de l’accord tripartite de Damas (signé par le mouvement Amal, le Parti socialiste progressiste et les Forces libanaises) qui ne sera pas appliqué. Le 14 mars 1989 : le général Michel Aoun lance la « guerre de libération » contre l’occupation syrienne. 22 octobre 1989 : signature des accords de Taëf, promulgués le 21 septembre 1990, qui ont fondé ce qu’on appelle communément au Liban la « seconde République ». 6 novembre : élection de René Moawad à la présidence de la République. 24 novembre 1989 : assassinat de René Moawad et élection d’Élias Hraoui à la tête de la République. 13 octobre 1990 : reddition du général Aoun, écrasé par l’armée syrienne venue en renfort. Il se réfugie à l’ambassade de France. 22 mai 1991 : Traité de fraternité, de coopération et de coordination entre le Liban et la Syrie. Novembre 1992 : Rafic Hariri forme son premier gouvernement. 19 octobre 1995 : le mandat du président Hraoui est prorogé de trois ans. 13 avril 1996 : l’armée israélienne déclenche l’opération « raisins de la colère », attaque les positions de Hezbollah situées au Liban-Sud et bombarde un poste de la Finul à Cana, entraînant la mort de 102 civils libanais. Novembre 1998 : le général Émile Lahoud succède à Élias Hraoui. 24 mai 2000 : retrait de l’armée israélienne du Liban-Sud qu’elle occupait depuis 1978. Octobre 2004 : le mandat de Lahoud est prorogé de trois ans. 14 février 2005 : assassinat du Premier ministre Rafic Hariri. Avril 2005 : départ des troupes syriennes après 29 ans d’occupation. L’arrêté 318 du 1er septembre 1920 Le 31 août 1920, le général Gouraud signe l’arrêté 318 délimitant l’État du Grand Liban. On peut y lire : « Une commission de délimitation des frontières a été désignée conformément aux stipulations de l’article 2 de la Convention de Paris du 23 décembre 1920 pour fixer le tracé de la frontière syro-libanaise (…) Il importe pour ce faire, de restituer au Liban ses frontières naturelles telles qu’elles ont été définies par ses représentants et réclamées par les vœux unanimes de ses populations (…) Au rapport ont été annexées des cartes de 1/20 000 et 1/50 000 sur lesquelles a été reporté le tracé par la commission et dont une copie a été remise à la Société des nations (…) Les dispositions du présent arrêté sont entrées en vigueur à la date du 1er septembre 1920. » Dans l’article 2 : « Les limites de l’État du Grand Liban sont fixées ainsi qu’il suit, sans préjuger des modifications de détail des frontières qu’il importera de déterminer ultérieurement. Au nord de l’embouchure de Nahr el-Kébir, une ligne suivant le cours de ce fleuve jusqu’à son point de jonction avec son affluent le Wadi Khaled à hauteur de Jisr el-Kamar. À l’est de la ligne de Fîta séparant les vallées du Wadi Khaled et de l’Oronte (Nahr el-Assi) et passant par les villages de Mazraat Marbaana-Hait, à hauteur des villages de Brifa et Matrabeh, cette ligne suit la limite nord du caza de Baalbeck, en direction nord-ouest, sud-est, puis les limites est des cazas de Baalbeck, du Kaa, Rachaya, Hasbaya. Au sud, la frontière palestinienne telle qu’elle sera déterminée par les accords internationaux. À l’ouest, la Méditerranée. » May MAKAREM

La frontière entre le Liban et la Syrie a été tracée sous le mandat français lors de la création du Grand Liban en 1920. Des endroits de cette frontière sont restés toutefois à délimiter. Sous le mandat de Fouad Chéhab, des négociations avaient été engagées sur ce plan entre le Liban et la Syrie, et le premier procès-verbal portant sur la question du tracé date du 27 février...