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LE POINT Cités perdues

Le plus désolant dans la tornade qui vient de s’abattre sur les zones périphériques de Paris (en attendant d’autres grandes villes de France ?), c’est bien sûr sa violence, sa soudaineté – encore qu’il était relativement aisé de prévoir l’une et l’autre. Non, le plus inquiétant, c’est bien plutôt l’impression de désarroi au niveau de la classe politique, cette polémique stérile autant que malvenue qui divise jusqu’aux rangs de la majorité, l’absence à ce jour d’une riposte cohérente, d’un plan exhaustif de règlement des mille et un problèmes qui se posent dans ces véritables bombes à retardement que sont les banlieues. Pourtant, la crise, tout le monde ne cesse de le répéter aujourd’hui, ne date pas d’hier. Elle est née dans les années 80, culminant avec les étés « chauds » de 1990-1991 à Sartrouville et La Courneuve, près de Paris, Vaulx-en-Velin et Vénissieux, près de Lyon, puis en 1998 à Strasbourg et au Havre. Dès le 14 juillet 2001, Jacques Chirac dénonçait « le manque d’autorité de l’État » et s’inquiétait face à « une déferlante de l’insécurité ». Il y a quelques semaines à peine, le ministre de l’Intérieur voulait nettoyer tout cela « au kärcher ». Le 25 octobre à Argenteuil où il s’était rendu pour vérifier la mise en place d’un nouveau dispositif de sécurité, il parlait de « tolérance zéro » et promettait, s’adressant à un groupe de citoyens : « On est là pour éradiquer la gangrène, on va vous débarrasser de cette racaille. » Des propos musclés propres à impressionner l’électeur et de valoir à leur auteur quelques points supplémentaires dans les sondages d’opinion. Il ne semble pas, hélas, que leur effet dissuasif soit assuré. La preuve… On peut s’interroger longuement sur le paradoxe représenté par le fait que les réveils brutaux – en France, au Royaume-Uni, aux États-Unis ou ailleurs – ont toujours eu pour théâtre des pays d’Occident où les droits de la personne passent, et à juste raison, pour être les mieux garantis et les plus respectés dans la pratique, alors que leurs auteurs viennent de contrées où ces mêmes droits sont ignorés ou même carrément bafoués. Précisément, c’est par là même qu’ils attendent de la République qui leur a ouvert ses frontières qu’elle les traite en citoyens comme les autres, égaux en droits et en devoir. Est-ce bien le cas ? Pas toujours, pas partout, pas pour tous. Tout ce lourd contentieux, latent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, voilà que la violence des dernières six journées le place sous les feux d’une violence qui pourrait, si l’on n’y prend garde, échapper bien vite à tout contrôle. Dans la pratique, et Dominique de Villepin a eu raison de le rappeler hier devant l’Assemblée nationale, il y a des problèmes urgents à résoudre, une autorité chancelante à rétablir, un long travail à accomplir dans des zones, ces fameux « quartiers » trop longtemps négligés. Comment ? Certainement pas à coups de grenades lacrymogènes d’un côté, de voitures incendiées de l’autre. Mercredi en début de soirée dans le quartier Anatole-France de Clichy-sous-Bois, des jeunes se préparaient à une nouvelle soirée de guerre avec la police, pour se « venger de l’État qui ne veut pas de nous ». Tout, ou presque, est dans cette petite phrase, preuve combien douloureuse d’une incompréhension, d’une méfiance, toutes deux sources possibles de toutes les dérives. Que sur les bancs parlementaires comme au sein même du gouvernement l’on en vienne à s’étriper allègrement pour un mot de trop, une allusion maladroite n’est pas de nature à redorer le blason d’une autorité qui, en vingt-cinq ans, n’a pas su ou voulu s’attaquer à la dérive du fameux modèle français d’intégration. Aux dernières nouvelles, Nicolas Sarkozy se retrouve lâché par la majorité – constituée pour l’essentiel d’une UMP dont il est le président –, forcé d’accepter un appui moins que tiède du Premier ministre, en conflit avec le ministre délégué à la Promotion de l’Égalité des chances, Azouz Begag, confronté enfin à une opposition de gauche qui, oubliant ses propres appétences, lui reproche d’être obnubilé par sa candidature à l’Élysée. Le président, lui, en déphasage total avec l’événement, se contente de prôner l’apaisement des esprits et l’ouverture d’un dialogue « pour une application ferme de la loi ». Sur un blog, œuvre sans doute d’un groupe de « beurs », on peut lire cette phrase qui devrait donner à réfléchir à plus d’un : « Que Dieu bénisse la France parce que la guerre va commencer. » La guerre, ils seraient bien pris ceux qui, inconsidérément, la prêche aujourd’hui et qui pourraient fort bien, demain, en être les premières victimes à Villiers-le-Bel, Aulnay-sous-Bois ou à Mantes-la-Jolie, autant de noms qui fleurent si bon cette doulce France refuge des opprimés. « Jours tranquilles à Clichy »… Mais à quoi donc pensait-il, Henry Miller, quand il avait écrit cela ? Christian MERVILLE
Le plus désolant dans la tornade qui vient de s’abattre sur les zones périphériques de Paris (en attendant d’autres grandes villes de France ?), c’est bien sûr sa violence, sa soudaineté – encore qu’il était relativement aisé de prévoir l’une et l’autre. Non, le plus inquiétant, c’est bien plutôt l’impression de désarroi au niveau de la classe politique, cette...