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Actualités - REPORTAGE

SOCIAL - Séparés durant leur enfance, ils se retrouvent vingt-cinq ans plus tard Les retrouvailles des enfants Alekji, une belle leçon d’espoir et d’amour

STOCKHOLM, de Nada MERHI C’est un véritable conte. Une histoire comme on n’en voit qu’au cinéma, avec pour héros une maman qui meurt jeune, tuée par un franc-tireur, et des grands-parents qui ne savent que faire de cinq enfants livrés à eux-mêmes. C’est une histoire de mort, d’injustice, de déchirures et de séparation. C’est surtout une histoire d’espoir, d’amour et de retrouvailles inattendues. Liban, 1976. Une jeune Palestinienne de 24 ans traverse tranquillement le camp de Tell el-Zaatar, dans la région de Mkallès, un nourrisson sur les bras. Ses quatre autres enfants la suivaient. Une sourde détonation retentit. La jeune femme tombe, le bébé toujours dans les bras. Une balle de franc-tireur vient de mettre fin à sa vie. Stockholm, 2005. «Nous avons vu ma mère mourir.» C’est Élias qui raconte. Élias est l’aîné de ses quatre frères et sœurs: Lina, Paul, Fadia et Fadi. À l’époque, il n’avait pas plus de 7 ans. «Les voisins sont sortis et nous ont crié de fuir, poursuit-il. J’ai alors couru, entraînant Paul, Lina et Fadia vers Jisr el-Bacha. Fadi, le nourrisson, était mort en même temps que ma mère. Une famille qui connaissait mes parents passait dans la région. Elle nous a ramenés au camp chez nos grands-parents maternels.» Les quatre enfants sont loin de se douter que leur vie allait basculer et qu’ils allaient être séparés. Une séparation qui a un goût de déchirure. Élias poursuit son récit: «Mon père et ma mère ne s’entendaient pas. Ma sœur Lina et moi nous rappelions encore leurs disputes qui finissaient parfois d’une façon brutale et dramatique. Leur mariage était une erreur dès le départ. Il a été arrangé et a fini par prendre une mauvaise tournure.» Le père d’Élias, un Libanais originaire de la Békaa, était un radiologue à l’hôpital de l’Université américaine de Beyrouth. «Il était très compétent et gagnait bien sa vie, souligne Élias. Il ne s’entendait pas non plus avec son propre père. Il négligeait sa famille, mais rien ne prouvait qu’il courait après les femmes ou qu’il dépensait son argent dans les jeux de hasard. Mes grands-parents maternels, par contre, arrivaient à peine à boucler leur fin de mois et ne pouvaient pas subvenir aux besoins de quatre enfants. Ils nous ont alors emmenés chez mes grands-parents paternels.» Ce jour-là marquera les enfants toute leur vie. La grand-mère les emmène en taxi et les laisse dans la rue, devant la maison des Alekji. Elle ne se dérange même pas pour s’assurer que quelqu’un les accueillera. Le taxi redémarre aussitôt. Et Élias qui la poursuivait aussi rapidement que ses petites jambes le lui permettaient: «Ne nous quitte pas, mamie», ne cessait-il de répéter, d’une voix brisée par les sanglots. La série noire des malheurs ne faisait que commencer. Ne pouvant pas s’occuper de tous ses petits-fils, le grand-père décide de «se débarrasser» des deux benjamins. «Ma sœur Fadia a été adoptée par une hôtesse de l’air française, alors que Paul a été remis aux bons soins d’une famille syrienne. Ma sœur Lina et moi-même, par contre, avons été placés en internat dans un couvent à Ajaltoun. Nous y avons grandi séparément. Elle dormait dans le dortoir réservé aux filles et moi dans celui des garçons.» À la recherche de la famille Toute son enfance, Élias demande des nouvelles de ses frère et sœur. Mais les grands-parents se murent dans un silence de plomb. «Ils savaient où vivait Paul, mais ne me disaient rien, déplore Élias. Ils avaient peur que je le retrouve et qu’il quitte sa maison d’adoption.» Des craintes qui s’avèrent justifiées, puisque Paul avait effectivement déserté le domicile de ses parents adoptifs dès qu’il avait découvert l’existence de sa famille biologique. «Paul a quitté la maison de la famille syrienne sans hésitation. J’ai financé sa formation à la coiffure. Il mène actuellement une brillante carrière aux États-Unis», avance Élias. Retrouver Fadia s’avère plus difficile qu’il ne l’avait imaginé. «Mes grands-parents me disaient que son prénom est désormais Françoise et qu’elle vivait en France, confie-t-il. J’ai mené une petite investigation auprès du curé du village et j’ai su, au terme de longues tractations, que Fadia a été adoptée par la famille Maison.» Entre-temps, Élias se marie et émigre en Suède (1993), en compagnie de sa femme Christine, une Suédoise d’origine libanaise. «Je n’ai pas arrêté un seul jour de chercher ma sœur, poursuit-il. J’ai été sept fois en France. J’ai réussi même à parler avec la mère adoptive de ma sœur. Mais elle a refusé de me recevoir. J’ai demandé à rencontrer Fadia, elle me l’a interdit. J’ai réalisé alors que mes grands-parents ne me racontaient que des sornettes. Elle ne vivait pas dans un château, comme ils le prétendaient, ni apprenait à jouer au piano. Elle était malheureuse. Et c’est à ce moment-là que j’ai réalisé que ma sœur Lina et moi, qui considérions que nous vivions dans la misère puisque nous étions en internat, étions en fait plus fortunés. Au terme de longues investigations, j’ai réussi à trouver le quartier dans lequel elle vivait depuis qu’elle avait quitté la maison de ses parents. Je me suis rendu avec mon épouse en France. Mais je ne l’ai pas trouvée. Elle avait déménagé.» Nous sommes en 2000. «Spårlöst Försvunnen – Le disparu» De retour en Suède, Christine décide d’exposer le cas de son mari aux producteurs de l’émission Spårlöst Försvunnen (Le disparu) qui passait sur la 3e chaîne de la télévision suédoise. Elle agit à l’insu de son mari. Mais elle fait part de son initiative à l’oncle maternel d’Élias, qui vit en Allemagne. Ce dernier lui conseille de chercher par la même occasion Fadi, le nourrisson que tout le monde croyait mort en même temps que la maman. «Il s’est emporté quand je lui ai dit que Fadi était décédé, raconte Christine. Il m’a alors confié qu’il était toujours en vie et que ce sont les voisins qui l’avaient pris. Il m’a donné un nom. Stéphane Angel. De Zahlé. » Un nom qui permet à la chaîne suédoise d’entreprendre son investigation. Une investigation qui a coûté plus de 130000 dollars et qui a conduit les producteurs de l’émission au Liban, aux États-Unis, en France et en Allemagne. « À maintes reprises, les producteurs m’ont appelée, me disant qu’ils laissaient tomber le projet, parce qu’ils n’arrivaient plus à avancer dans leur enquête. Et plusieurs fois, ils m’ont rappelée, m’annonçant qu’ils avaient trouvé une nouvelle piste», se souvient Christine. Finalement, au bout de neuf mois, la chaîne suédoise invite Élias à son plateau. «Tout au long de l’émission, je pensais que j’allais enfin rencontrer Fadia et j’étais heureux, confie-t-il. Je n’ai à aucun moment soupçonné qu’il pouvait aussi s’agir de mon frère Fadi. D’ailleurs, quand on avait passé durant l’émission des reportages sur mon petit frère, je croyais qu’il s’agissait de moi. En fait, Fadi et moi, on se ressemble comme deux gouttes d’eau. Comme moi, il s’était également lancé dans une carrière de chef cuisinier. Ce n’est qu’à la dernière minute de l’émission que j’ai réalisé qu’il s’agissait de mon frère que je croyais mort. Les présentateurs me disent: “Fadia n’a pas pu quitter la France. Mais Fadi est là”. Il m’a fallu quelques secondes pour comprendre ce qui se passait. J’ai eu le souffle coupé. Je n’arrivais plus à respirer. Les larmes coulaient tout au long de mes joues et je ne n’arrivais pas à me retenir. Nous nous sommes jetés dans les bras l’un de l’autre.» «Fadia avait des problèmes en France, ce qui l’a empêchée de participer à l’émission, explique Élias. Je me suis rendu chez elle, à plusieurs reprises. Je voulais qu’elle sache que je suis là pour elle et que je suis prêt à l’aider. Lorsqu’elle a appris à me connaître et à avoir confiance en moi, elle m’a appelé pour l’aider à quitter la France avec sa fille.» Et de souligner: «Nous sommes très attachés les uns aux autres, malgré les longues années de séparation, ajoute Élias. En 2001, nous nous sommes réunis au Liban. Fadia n’a pas pu quitter la France à cause de ses problèmes.» Dans son restaurant de Stockholm, qu’il a baptisé au nom de son pays natal, Lebanon, Élias égrène ses souvenirs, à mesure qu’il feuillette les coupures de presse relatant son histoire et ses succès professionnels. Actuellement, Paul et Fadi, Georges de son prénom d’adoption, vivent aux États-Unis. Quant à Fadia, Marie de son prénom d’adoption, elle vit en Suède avec sa fille Antoinette et son frère Élias. «Je leur ai acheté une maison et j’ai arrangé leurs papiers officiels, dit-il. Fadia apprend le suédois et m’aide un peu dans le restaurant. Plus tard, elle poursuivra des études de comptabilité. Antoinette va à l’école.» Développe-t-il un sentiment de rancune à l’égard de sa famille? «Non, répond-il. Mais ils ont mal agi. Au lieu de nous séparer de cette façon abominable, ils auraient pu placer Fadia et Paul chez ma tante qui vit en France ou chez mon oncle qui vit aux États-Unis. Pourquoi les avoir donnés à des étrangers?» Élias est père de deux enfants, Christopher, 12 ans, et Gabriella, 6 ans. Avec sa femme et sa belle-mère, il dirige son restaurant situé à la rue Hamngatan 6, à Stockholm. Il ne compte pas rentrer au Liban, du moins pas dans un avenir proche. Mais la nostalgie du Liban ne le quitte pas. Une nostalgie qui l’a poussé à œuvrer à être une source de fierté pour son pays.

STOCKHOLM, de Nada MERHI

C’est un véritable conte. Une histoire comme on n’en voit qu’au cinéma, avec pour héros une maman qui meurt jeune, tuée par un franc-tireur, et des grands-parents qui ne savent que faire de cinq enfants livrés à eux-mêmes. C’est une histoire de mort, d’injustice, de déchirures et de séparation. C’est surtout une histoire d’espoir, d’amour et...