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Actualités - OPINION

LE POINT Justice de vainqueurs

L’homme qui se tenait hier devant les membres du Tribunal spécial irakien, il ne sera certes pas malaisé de l’envoyer devant un peloton d’exécution. « Je suis le président de la République », avait-il déjà lancé aux marines qui venaient de le sortir, il y a vingt-deux mois, du trou à rats où il se terrait depuis des semaines. Cette affirmation, il vient de la réitérer à plusieurs reprises, allant même jusqu’à interpeller le président de la cour, le Kurde Rizkar Mohammed Amine, qu’une telle arrogance a laissé sans voix : « Qui êtes-vous ? Je veux le savoir », sans prendre la peine d’ajouter, mais tout le monde avait complété l’apostrophe : « …pour me juger. » D’emblée, Saddam Hussein a fait valoir qu’il tenait à ses droits constitutionnels, qu’il ne reconnaissait pas l’autorité ayant nommé ses juges, pas plus que la légalité de « cette agression » et que « tout ce qui est basé sur l’injustice est injuste ». Un bourreau devenu justicier, des magistrats dont on tait l’identité « par souci de leur sécurité » et un avocat général ramené au rang d’accusé : l’espace d’un instant, on se serait cru dans un mauvais film dont le scénario aurait été écrit par Franz Kafka. Mais que voulez-vous, il est bien difficile, même déchu, même honni par toute une nation, d’oublier que l’on a été un tyran qui, près d’un quart de siècle durant, a vécu retranché dans sa tour d’ivoire, grisé de louanges, courtisé par le monde entier – eh oui, même par ces Américains qui, aujourd’hui … – et choyé par ses pairs arabes. À peine viennent-elles d’être renvoyées au 28 novembre après un étrangement laborieux démarrage, que les audiences soulèvent déjà de nombreuses interrogations. De tous les crimes abominables commis par le régime de Bagdad, pourquoi avoir choisi de commencer par l’affaire de Doujail quand le 8 juillet 1 982, le village, situé à une soixantaine de kilomètres de la capitale, avait été rasé après une embuscade tendue au cortège présidentiel de Mercedes blanches qui passait par là ? Après tout, il y a eu en vingt ans non moins de 300 charniers et près de 300 000 victimes, qui font l’objet d’une montagne de documents représentant un total de 30 tonnes. L’explication, dit-on, il faut la rechercher dans le fait que l’attentat avait été préparé par des hommes d’al-Daawa, un mouvement d’opposition chiite de l’époque dont faisait partie l’actuel Premier ministre Ibrahim Jaafairi. Mais le plus étrange n’est-il pas que le TSI a été créé en 2003, alors que le pays était encore placé sous l’administration de l’Américain L. Paul Bremer et en vertu d’une loi, édictée au temps de Saddam Hussein, prévoyant que la culpabilité de l’accusé peut être retenue « si les juges se déclarent satisfaits » et non pas « au-delà de tout doute raisonnable », comme dans le système judiciaire US, ainsi que l’a relevé fort opportunément l’organisation Human Rights Watch ? Demain, il sera loisible à la défense de citer, au nombre des pressions exercées par l’actuel pouvoir, et donc d’autant de cas justifiant une demande d’annulation, une déclaration du chef de l’État Jalal Talabani sur le massacre de Kurdes lors de l’opération Anfal – dans laquelle s’inscrivait l’attaque aux armes chimiques de février 1988 contre Halabja – et reconnaissant que « rien que pour cela, Saddam mérite vingt fois l’exécution capitale ». Les avocats pourraient aussi évoquer le fait que le renvoi d’hier est motivé par l’absence de témoins, « trop effrayés pour se présenter à la barre », comme l’a fait valoir le plus sérieusement du monde Rizkar Amin, tandis que Raadi Jouhi, le magistrat qui avait instruit l’affaire, parlait de « réinformer » ceux-là, un délicat euphémisme qui masque bien mal une peu avouable réalité. Plus que tout, c’est la crainte de voir ce procès élargir le fossé, déjà énorme, entre sunnites d’un côté, chiites et Kurdes de l’autre. « Saddam était un héros parce qu’il s’était battu contre les États-Unis ; son procès ne doit pas s’ouvrir alors que l’Irak est occupé par l’armée américaine. » Il est vrai que cette affirmation émane d’un habitant de Falloujah, cité sunnite par excellence, qui tient tête depuis des mois aux forces de la Coalition, et qu’elle est contrebalancée par d’innombrables déclarations couplées à des pressions à peine avouées, violemment hostiles à l’accusé. Les unes et les autres devraient retenir l’attention du gouvernement et donner à réfléchir aux généraux du Pentagone, trop enclins à voir les choses par le mauvais bout de la lorgnette. L’ancien maître du pays aimait se comparer, dit-on, au calife Abou Jaafar el-Mansour, le bâtisseur de la capitale dont la statue qui orne la place de même nom a été dynamitée la veille de l’ouverture du procès. Bien entendu, le parallèle ne peut être né que dans le seul esprit de son lointain et indigne successeur. Encore conviendrait-il de ne pas, à coups d’erreurs et de faux pas, faire un héros d’un être qui, somme toute, n’aura été qu’un hoquet de l’histoire. Trop long, oui, et surtout combien sanglant. Christian MERVILLE

L’homme qui se tenait hier devant les membres du Tribunal spécial irakien, il ne sera certes pas malaisé de l’envoyer devant un peloton d’exécution. « Je suis le président de la République », avait-il déjà lancé aux marines qui venaient de le sortir, il y a vingt-deux mois, du trou à rats où il se terrait depuis des semaines. Cette affirmation, il vient de la réitérer à...