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Actualités - CHRONOLOGIE

THÉÂTRE - À la salle Gulbenkian (LAU) Grinçant ras-le-bol de la politique avec «Les chaises» de Issam Mahfouz

Ils sont fous, mais pas tant que ça! Les gens du pouvoir, bien entendu. Une pièce courte (30 minutes), mais percutante, signée Issam Mahfouz, les propulse sous les feux de la rampe entre Charenton et l’Hôpital de La Croix… Tous les mordus du théâtre se souviennent de ce dramaturge libanais né en 1939 et qui, titillé par la politique, a fait sa petite grande révolution sur scène. Des moments forts pour une expression dramaturgique âpre et sans concession, faite de parodie, de satire, de dérision, d’un monde cruel et sans pitié. À titre de rappels, des œuvres à la fois sulfureuses et retentissantes, sentant le scandale et la provocation. Pour les années 1970, on se souvient, entre autres, de al-Zanzalakht, al-Dictator, Zeinab Wal Shakhs et Man Katal Serhan Serhan. Une série de titres qui se passent de tout commentaire, pour évoquer le mal et la poisse de gouverner. Ras-le-bol du virus de la politique sans pouvoir jamais l’éradiquer ! Aujourd’hui, âgé et malade, Issam Mahfouz fait l’objet d’un hommage estudiantin rendu par les jeunes du département des beaux-arts de la LAU qui lui dédient, à la salle Gulbenkian, avec un touchant souhait de prompte guérison, une production qui ouvre brillamment la saison. Il s’agit des Chaises, titre bien ionisation, et on ne manquera pas d’évoquer, chemin faisant, avec l’impensable déballage politicard, le célèbre dramaturge roumain dans sa logorrhée verbale éminemment absurde. Rappelons que Issam Mahfouz est l’un des premiers dramaturges à avoir subtilement utilisé un mélange de dialecte libanais et d’arabe littéraire sous les sunlights, opérant ainsi un séduisant lifting linguistique dans la langue de Gibran qui a fait date et des émules. Des cachets de Panadol distribués à l’entrée, en présentant les billets, et des placeuses en blouses d’infirmières pour vous guider à vos sièges (une salle envahie par la jeunesse), car tout le monde est malade. Malade de vantardise et d’écœurement politique, et tout le monde conviendra, le moment est absolument bien choisi. Une réalité et un sentiment commun rageusement partagé par tous. Sur scène, deux banquettes blanches, un enclos tout aussi blanc avec des personnages-perruches, totalement disjonctés, eux aussi en habits d’hôpital, le visage presque enfariné pour une étrange pâleur. Une brochette de déments qui pinaillent, éructent et piaillent. Ils piaillent comme des oiseaux pris de panique dans une volière menacée. Caricaturales à souhait, hilarantes à force de tension et d’obsession, les premières images de cette pièce ahurissante et grinçante donnent déjà le ton d’une nervosité soutenue, avec des acteurs électrisés et conquis par le jeu. Ils s’amusent autant qu’ils amusent le public dans cette histoire de fous et de folie pour une chaise où l’on pose arrogamment les fesses… Quel sentiment d’exaltation quand les forts broient les minus ! Vraiment ? Il faut croire que tout le monde a sa graine de dictature et d’hitlérisme… Drame universel qu’on n’a pas fini d’explorer à nos dépens : ainsi est faite odieusement et mesquinement la nature humaine. On palabre, on s’essouffle, on manigance, on complote, on supplie, on menace pour un bout de pouvoir terrestre, qui n’ira finalement pas plus loin qu’une dérisoire traversée humaine. Une leçon de sagesse peut-être, ou une irritante dénonciation, voilà l’enjeu de Issam Mahfouz à travers des mots perfidement vitriolés et à l’emporte-pièce. Corrosive, dynamique, inventive et brillante mise en scène de Dina Kreik et Ghassan Safa, qui ont souvent éclipsé la gravité du texte pour ne lui restituer, et à raison, que sa force de revendication et sa véhémence outrancière. Les acteurs (une dizaine, dont un Ahmad Mahfouz, serait-il le fils de Issam ?), tous impeccables, sont inspirés et d’une drôlerie décapante. À chacun son numéro, ses tics et ses fantasmes qui concrétisent, avec virtuosité et sans nul doute d’une manière emphatique et caricaturée, le ras-le-bol de la population. Incroyable interactivité du public et des acteurs, absolument en osmose dans une situation intenable. Les mots fusent, les gestes font tout déraper et le public réagit immédiatement. C’est du baume au cœur que de pouvoir se dérider avec autant de décontraction et de dire ce qui dérange, de dévoiler le non-dit avec tant de franchise, tant d’aplomb, tant d’outrecuidance. Mais que l’on tende enfin les oreilles, la jeunesse veut faire passer là un message. Edgar DAVIDIAN
Ils sont fous, mais pas tant que ça! Les gens du pouvoir, bien entendu. Une pièce courte (30 minutes), mais percutante, signée Issam Mahfouz, les propulse sous les feux de la rampe entre Charenton et l’Hôpital de La Croix… Tous les mordus du théâtre se souviennent de ce dramaturge libanais né en 1939 et qui, titillé par la politique, a fait sa petite grande révolution sur scène. Des...